2) Du dessin à l'écriture

Entre 3 et 5 ans, l'on assiste à une évolution du dessin, d'où naîtra l'écriture. C'est une période cruciale pour l'évolution symbolique, car pour acquérir les signes de l'écrit, l'enfant doit perfectionner son système de représentation, à travers le dessin.

H. Wallon et J. Piaget ont exposé le cheminement de l'activité symbolique de manière différente.

Pour Piaget, elle commence à apparaître durant la seconde année, avec la fin de la période sensori-motrice (caractérisée par l'intelligence des situations) et la constitution de la notion de permanence de l'objet. Le jeune enfant devient alors capable de rechercher un objet absent, ce qui implique un début d'image mentale et de représentation de l'objet. Ainsi, vers 1 an 5 mois / 2 ans, par ses jeux de faire semblant et par l'imitation différée d'un modèle extérieur, l'enfant intériorise l'objet.

Pour H. Wallon, le passage de l'intelligence sensori-motrice à l'intelligence "discursive" (ou de représentation) nécessite un passage de l'espace postural à l'espace mental, car la possibilité d'imaginer un objet absent suppose la capacité à l'imaginer dans un espace mental, indépendamment de l'espace postural lié au mouvement. Ainsi, pour cet auteur, le propre de la fonction symbolique est de trouver à un objet sa représentation, et à sa représentation un signe.

Dans cette continuité, nous nous intéresserons au dessin, puisque c'est par la progression de cette activité que l'enfant va s'acheminer vers l'écrit.

En premier lieu, aux environs de 2 ans 1/2, l'enfant qui gribouillait progresse dans l'enrichissement de sa communication avec ses proches. Son graphisme ne comporte encore pas de formes représentatives, mais il l'interprète selon sa fantaisie. Même s'il ne sait pas qu'il s'agit de signes, il commence à mettre en relation son graphisme et la possibilité de communication avec son entourage qui essaie d'interpréter ses productions. Sentant qu'il suscite l'intérêt, le jeune enfant comprend très vite qu'il détient un moyen d'action sur ses proches. Le mécanisme s'enclenche et il continuera à s'essayer dans ce nouveau mode de communication. Il y trouve du plaisir, en fait un jeu.

L'enfant entre dans la courte période du dessin symbolique, point de départ capital pour l'activité de représentation et surtout pour le codage de l'écrit (D. Fily, 1991).

Pourtant la forme n'est pas encore figurative pour lui. Aussi parle-t-il en dessinant, mais la dénomination des tracés ne coïncide pas directement avec leur figuration. C'est néanmoins à partir de ces échanges entre l'adulte et l'enfant que va s'amorcer le dessin figuratif, et c'est grâce à la combinaison dessin et langage que s'améliore la fonction de représentation.

Dans une seconde étape, aux environs de 3 ans, l'enfant s'amuse à jouer le rôle d'un lecteur. Il "fait semblant" de lire, suivant les lignes du doigt tout en créant sa propre histoire. Il s'agit d'une lecture "magique", signe d'affirmation de sa personnalité.

Par ailleurs, sous l'influence de l'école, il va être confronté à des modèles graphiques pour représenter les objets. N'étant pas encore capable de les reproduire fidèlement, il s'aide alors du langage : il "parle" lors de ses productions graphiques, explique ce qu'il a dessiné et énumère les détails. Le langage accompagne donc la représentation graphique.

Ainsi, l'on observe doucement le passage à la figuration schématique de l'objet et donc à une maîtrise plus grande de l'abstraction dans la représentation. L'on assiste peu à peu à la mise en place du pictogramme, et il faut alors distinguer les figurations concrètes de celles qui sont abstraites ou schématiques.

La fonction symbolique marque ainsi son emprise croissante dans le graphisme de l'enfant qui, jusqu'alors, était essentiellement un acte moteur.

Lors d'une troisième étape, vers 3 ans 5 mois/4 ans, l'enfant va tenter de représenter les relations entre les objets. Avec les pictogrammes, il va différencier de plus en plus finement graphisme et écriture.

Cependant, mettre en évidence les relations entre les divers éléments du dessin reste difficile, car il ne fait que juxtaposer des formes dans l'espace, et c'est toujours la verbalisation qui lui permet de relier les éléments représentés.

Et c'est certainement cette présence encore nécessaire du langage pour faire comprendre ses dessins qui fait réaliser à l'enfant les manques de son système pictographique. Il perçoit que ses pictogrammes ne peuvent encore être complètement compris de l'adulte et que le code graphique que celui-ci utilise, et qu'il côtoie de plus en plus à l'école, est d'un niveau autre que le sien.

La différenciation dessin-écriture n'est pas encore faite puisque le signifiant et le signifié ne sont pas totalement séparés. Cependant ces enchaînements sous forme de dessins sont une première étape qui invite l'enfant à jouer avec les fonctions de l'écrit :

– Il produit du graphisme pour quelqu'un et avec une certaine intention (plaire, affirmer un nouveau pouvoir de communication, persuader, etc…)

– Il établit les premières coïncidences entre chaîne temporelle orale et chaîne spatiale graphique, car l'amélioration progressive de la figuration dans le dessin et la perception des relations entre le signe et le son semblent constituer les conditions de la différenciation entre le dessin et l'écrit, dans cette recherche d'une représentation différente de l'univers.

Aussi, accéder à la connaissance du système d'écriture, c'est parvenir à une représentation du monde radicalement différente, allant des unités significatives aux unités hors-sens (syllabes et phonèmes) pour réaliser les correspondances grapho-phonémiques conventionnelles.