C - Historique de la fonction sémiotique de l'écrit

Avec l'écriture, l'enfant est confronté à un niveau de représentation d'un important degré d'abstraction.

Ce système n'a pas toujours été le même ; il a évolué au cours des âges. J. David et J.-P. Jaffré (1993) parlent d'une "double logique des écritures" ; l'obligation de faire sens et la nécessité d'économie de la trace.

Ainsi ont été mises en évidence des modifications des modes de représentation. Cette évolution va d'une représentation figurative du signifié à un code formé de signes abstraits.

Les systèmes d'écriture tendent vers une abstraction plus élevée et deviennent des codes de communication dont les signes ont rompu la majorité de leurs liens avec le sens du mot.

Pour illustrer ces étapes de l'écrit alphabétique, on reprend traditionnellement la classification de M. Cohen (1953) avec ses trois phases – les pictogrammes, les idéogrammes et les phonogrammes –, qui caractérisent la tendance toujours plus marquée à l'économie des systèmes.

Le pictogramme n'est pas compréhensible hors de la communauté qui l'a choisi puisque c'est un "dessin complexe" illustrant le sens d'un message sans référence à l'énoncé parlé.

L'idéogramme, quant à lui, est un "signe chose" (M. Cohen, ibid.) qui, bien que représentant chaque objet par un signe, n'est toujours pas le plus économique, même s'il illustre la découverte de la segmentation de la chaîne orale en mots distincts. C'est le système que l'on découvre dans la langue chinoise où il a pour fonction la représentation d'une notion ou d'un concept et non pas de la sonorité d'un mot.

A. Jacquet-Andrieu (2001, p. 143) évoque la distinction suivante entre ces deux vocables : «D'un point de vue linguistique, on retient le terme idéogramme pour rendre compte de l'aspect formel, représenté du signe ; le pictogramme en est l'actualisation concrète».

On entre avec l'emploi des phonogrammes dans un système d'une très grande économie et d'un important niveau d'abstraction. D'une part, il est possible de composer un nombre infini de messages à partir de quelques signes, et, d'autre part, on y trouve une analyse poussée des structures phonétiques minimales de la langue : les phonèmes deviennent les unités constitutives des vocables, les mots en sont les actualisations phonétiques.

Pour J.-P. Jaffré et J.-M. Sandon (1996, p. 158), «d'un point de vue linguistique, les formes de l'écriture sont le résultat d'un processus lent et complexe, lui-même produit d'une rencontre à chaque fois originale entre les besoins d'une société et le potentiel intellectuel de ses élites (scribes, prêtres…) [...]. Cela dit, une écriture donnée, quels que soient son lieu et son époque d'apparition, n'échappe pas aux contingences linguistiques, et particulièrement à celles du principe phonographique».

La langue française écrite appartient, à l'intérieur des écritures alphabétiques, au système morphophonologique, se séparant des écritures idéographiques et des écritures syllabiques (à chaque syllabe correspond un signe particulier ; cf. l'hiragana japonais) ou consonantiques (les signes notent les consonnes de la langue, les voyelles n'étant indiquées qu'en cas de nécessité ; cf. l'hébreu, l'arabe).

L'apparition des écritures alphabétiques s'explique par le haut degré d'abstraction des segments de la parole (les phones) sur lesquels ce système se fonde.

Le système français d'écriture, type même de plurisystème moderne complet, entretient des relations complexes avec le réel et avec la langue orale, et comporte des structures propres qui l'en distinguent. Nous approfondirons dans le prochain chapitre cette sorte de structure architecturale faite de pièces séparées ou ajoutées.