A - Influence des systèmes d'écriture

Nina Catach (1986) insiste sur ce point en se posant la question suivante : «Existe-t-il des liens entre la lecture et un système d'écriture donné ?».

Se basant sur les "niveaux de rapports" à mémoriser, elle explique que les problèmes sont moindres lorsqu'il n'existe qu'un niveau de rapport à intégrer (cas des langues espagnole ou serbo-croate). Lorsque les correspondances grapho-phonétiques sont comprises (elles se font pratiquement sans variation), beaucoup de difficultés sont aplanies.

En revanche l'écriture du français, complexifiée pour diverses raisons, a engendré une pluralité de types de codage que N. Catach a mise en évidence dans son analyse de la composition des textes français. Elle a ainsi défini trois types de graphèmes :

– Les phonogrammes constituent 80 à 85% des graphèmes et sont donc à la base du système français d'écriture. Ils correspondent au principe alphabétique et notent les phonèmes, unités vides de sens et en nombre fini. Ils sont représentés majoritairement par les lettres de l'alphabet, base de la langue française.

L'écriture française dispose de plus de graphies que de phonèmes à transcrire, et comporte des graphies pouvant prendre des valeurs phoniques différentes.

A cette classification s'ajoutent des valeurs phonologiques motivées morphologiquement. Quand chaque graphie correspond à un seul phonème, il n'y a pas de difficulté pour la convertir en sa forme phonologique. Mais pour écrire, il faut souvent faire un choix de graphies, motivé par des informations phonologiques, morphologiques, sémantiques et étymologiques. Il est donc souvent impossible de prédire l'orthographe des mots sur la seule base de leur forme phonologique, synchronique.

– Les morphogrammes (3 à 6% des graphèmes) apportent des informations complémentaires. Ce sont des unités graphiques en rapport avec des unités pourvues de sens lexical ou grammatical. Ils se situent surtout aux jointures des mots et constituent les marques de genre, de nombre, les suffixes, les préfixes, les radicaux, les dérivés. Ils sont prononcés ou non (ex.: le -s du pluriel).

– Les logogrammes (3 à 6% des graphèmes) correspondent à une écriture de sens plus que de sons, et notent le signifié. Ce type de graphème a pu être utilisé, tout comme les variations d'écriture d'un même phonème, pour faciliter la reconnaissance visuelle de certains mots, en particulier des homophones (ex.: vingt, vin, vain …).

– Enfin, 12 à 13% des graphèmes sont des "reliquats" d'écritures anciennes, des lettres étymologiques ou historiques. Elles témoignent de l'origine et de l'histoire du mot, et ont aussi une fonction logographique.

Ce "plurisystème graphique" (N. Catach, 1986) rend plus difficile la redécouverte des règles de codage du français. Dans ce système graphique, la dimension alphabétique se heurte à de sérieux obstacles. En effet, la différence importante entre le nombre de phonèmes et le nombre de graphèmes compliquent singulièrement le tableau des relations phonographiques (J.-P. Jaffré, J.-M. Sandon, 1996).

L'apprenant français ayant une écriture alphabétique est donc encore loin de la norme orthographique. Il doit découvrir les morphogrammes, les logogrammes, les diverses particularités des correspondances graphèmes-phonèmes qui, elles-aussi, sont moins régulières et univoques que dans le système graphique de l'espagnol, du serbo-croate ou du finnois.

Ainsi, de par sa spécificité, le système français d'écriture soulève des problèmes cognitifs particuliers.