B - Travaux d'inspiration piagétienne dans un contexte comparatif

Nous avons abordé plus haut les spécificités du système graphique de la langue française, régi par les trois principes : phonographique, morphographique et logographique.

Les recherches conduites dans divers pays occidentaux ont confirmé l'existence d'une psychogenèse de l'écrit. Cependant, elles ont aussi révélé des divergences partielles imputables aux différences entre les langues orales et leurs systèmes de transposition graphique.

Ces éléments interviendraient essentiellement à partir des premières mises en correspondance entre l'oral et l'écrit (J.-P. Jaffré et J. David, 1993).

Ainsi par exemple, il semble que les enfants anglophones américains utilisent rarement la correspondance syllabique retrouvée chez les enfants mexicains par E. Ferreiro. En revanche, beaucoup emploient une correspondance consonantique dans le sens où ils notent les sons consonantiques sans que le nombre de graphies corresponde à celui des syllabes (ex.: cmt pour "cement").

Cette différence paraît liée au fait que les syllabes et les sons vocaliques sont plus nettement prononcés en espagnol. En anglais, les sons vocaliques sont peu perçus quand ils se trouvent dans des syllabes non accentuées. En outre, les syllabes sont plus complexes et contiennent plus de sons consonantiques qu'en espagnol où les successions consonne-voyelle sont plus fréquentes. D'autre part, les substantifs monosyllabiques sont beaucoup plus courants en anglais ; or ils sont source de déstabilisation de l'hypothèse syllabique qui, si elle apparaît, semble disparaître rapidement (J.-P. Jaffré et J. David, 1993).

Ce même conflit est également observé en français dans les productions enfantines étudiées par J.-M. Besse (1993a).

La comparaison des procédures utilisées par les enfants anglophones et francophones montre également des différences caractéristiques :

Ces facteurs divergents influencent la production des premières écritures et peuvent expliquer en partie la difficulté que rencontrent les élèves anglais pour transcrire les voyelles de leur langue et, comparativement, l'instabilité de la notation des consonnes chez les sujets français (J.-P. Jaffré et J.-M. Sandon, 1996).

Quant aux études sur l'allemand, elles ont permis d'observer des effets plus marqués de la médiation phonologique que ceux relevés en anglais et en français. Il semble que les enfants s'appuient dès les débuts de l'apprentissage sur les relations phonie-graphie, sans passer par le stade logographique ; c'est le cas des langues à orthographe opaque au sens plus ou moins éloigné de la forme phonique (prononciation) (L. Sprenger-Charolles, 1993).

Voyons dans la partie suivante les spécificités relevées dans le cadre des recherches françaises.