D - Travaux d'inspiration socio-constructive

La théorie opératoire de Jean Piaget, fondatrice de la psychologie génétique, a établi la genèse des structures normatives de l'intelligence humaine.

Pour sa part L.S. Vygotsky a démontré l'importance du langage dans le développement et le fonctionnement de la pensée, et de ce fait l'importance de l'environnement social.

Dans son ouvrage fondamental (1934, trad. 1985), ce dernier s'interroge sur les raisons du retard que présente chez un écolier la maîtrise du langage écrit par rapport à celle du langage oral. Il souligne que l'écrit n'est pas la simple traduction du langage oral, en signes graphiques.

Vygotsky est le premier à exposer ces différences de façon systématique, et il n'a été à ce jour contredit ni par les psychologues, ni par les didacticiens.

Il souligne tout d'abord le niveau d'abstraction plus élevé exigé par la langue écrite. Un premier aspect que l'enfant doit abstraire est le niveau sonore de la langue. Une seconde différence provient du fait que l'enfant doit imaginer un interlocuteur. Une troisième différence est le fait que l'incitation et la motivation à recourir au langage écrit sont encore peu à la portée de l'enfant qui commence à écrire.

Les recherches développées par l'équipe EURED ont un double objectif : identifier les stratégies que l'enfant utilise dans la redécouverte du système écrit, et mettre en place une didactique expérimentale visant une appropriation optimale de l'écrit. Cette démarche prend en compte aussi bien les pratiques et les stratégies possédées par l'enfant, que les capacités métalinguistiques et métacognitives lui permettant de penser l'écrit.

L'objectif premier de ces études est de vérifier si l'évolution des écrits des apprenants suit une progression régulière, comme le postule la psycholinguistique génétique, ou si elle est soumise à des facteurs sociaux ; elle relève alors d'une sociogenèse.

Issus des recherches d'Emilia Ferreiro, les travaux de J. et E. Fijalkow (1991) tendent à cerner si, dans un contexte linguistique et didactico-linguistique différent, les apprentis lecteurs-scripteurs s'approprient la langue écrite de la même façon que les enfants étudiés par E. Ferreiro. Ils en concluent que, pour le sujet, la conquête de l'écrit peut se ramener à deux temps : un temps de découverte de l'écrit et un temps de découverte des relations oral-écrit. La suite de l'apprentissage consiste à découvrir les composantes non phonétiques de la langue écrite.

J. Fijalkow et A. Liva (1994) ont utilisé la même technique d'écriture inventée (avec des enfants de GSM, CP et CE1), et ils ont établi une grille élaborée à partir des résultats fournis par les investigations empiriques. Ces auteurs accordent une place plus discrète à la syllabe qu' Emilia Ferreiro.

Cette grille génétique est articulée en quatre grandes catégories de traitement du message :

traitement figuratif où l'enfant dessine ou simule l'écriture ;

traitement visuel où il produit des pseudo-lettres, des simulations et quelques lettres conventionnelles de son prénom et d'autres mots ;

traitement de l'oral dans lequel l'enfant commence à segmenter la phrase et à prendre conscience de la correspondance phonographique ;

traitement orthographique où le scripteur utilise majoritairement des lettres conventionnelles.

Cette prise en compte de la dimension orthographique de la langue va s'effectuer progressivement. On remarquera tout d'abord une écriture orthographique partielle – deux mots de plus de trois lettres, plus de deux mots –, puis une écriture orthographique systématique.

Ces auteurs insistent eux-aussi sur le fait que le prénom de l'enfant apparaisse comme la source principale de toutes ses productions écrites, et qu'en combinant de différentes façons les lettres qui le composent, il réponde aux demandes d'écriture de l'adulte.

La maîtrise de l'écriture de son prénom fournirait ainsi les éléments littéraux qui lui faisaient jusqu'ici défaut et l'amenaient à recourir à des pseudo-lettres. Puis cette source privilégiée perdrait de son influence au fur et à mesure que le scripteur effectuerait d'autres acquisitions littérales et découvrirait que les lettres utilisées dans la langue sont bien plus nombreuses que celles qui permettent d'écrire son prénom.

Les recherches actuelles postulent que les apprentissages de la lecture et de l'écriture suivent le même schéma développemental, avec cependant des dissociations temporelles liées au degré de difficulté que requièrent ces deux activités.

Nous aborderons dans le chapitre suivant ce que recouvre cette activité si complexe qu'est la lecture.