2) Courant analytique

Ses tenants mettent en cause le principe même de la méthode synthétique. L'hypothèse de base est que l'apprentissage de la lecture doit prendre pour point de départ l'écrit dans sa globalité. Les méthodes s'appuient ainsi sur les ressorts idéovisuels de la lecture, dans le cadre d'une appréhension directe des formes de l'écrit, avant d'en enseigner les différentes graphies en correspondance avec les sons.

ex.: "La méthode du sablier" de R. Préfontaine.

La base est un ensemble de comptines où un segment est répété souvent ; à partir de celui-ci, l'enfant va découvrir les différents "costumes" ou graphies et permettre des remontées du phonème vers le sens.

ex.: "Au fil des mots" de C. Toyardot, C. Rollant et C. Giribone.

L'utilisation de l'Alphabet Phonétique International permet d'amener l'enfant à opposer ce qu'il voit à ce qu'il entend. La progression se fait d'après la fréquence du phonème dans la langue et en fonction de sa simplicité.

Entre ces deux pôles extrêmes se distribuent diverses autres méthodes, dites "mixtes". Des voies de compromis sont recherchées, en insistant plus ou moins sur la logique de l'une ou de l'autre méthode.

L'évolution des recherches pédagogiques a permis de dépasser aujourd'hui la controverse des méthodes (notamment l'antagonisme traditionnel entre la méthode syllabique et la méthode globale), même si l'on ne peut nier que, à l'observation, certaines apparaissent plus opportunes que d'autres.

Cependant si la méthode globale a surtout généré des passions à l'école maternelle, où apprendre à lire n'est pas sanctionné, peu de classes primaires l'appliquent.

De fait, cette méthode "idéo-visuelle" fera moins l'objet de pratiques réelles que de plaidoyers sur l'apprentissage de la lecture.

Cependant deux faits sont à souligner :

– la lecture doit d'une part être envisagée prioritairement comme une activité productrice de sens, dans une perspective résolument cognitiviste, là où certaines approches traditionnelles ne considéraient, le plus souvent, que l'exercice d'un mécanisme de nature exclusivement perceptive (la lecture est d'abord conçue comme un travail à partir d'un matériel perceptif, auditif et/ou visuel, restitué par le déchiffrage),

– l'activité propre de l'apprenant tend d'autre part à être réhabilitée par rapport aux prescriptions de la méthode qui jusqu'alors s'imposaient à lui. Et l'on s'interroge plus directement sur la nature et l'évolution des stratégies d'apprentissage de la langue écrite.

Les prises de position en faveur de l'écriture comme préalable nécessaire à l'apprentissage de la lecture ne cessent de se multiplier aujourd'hui.

‘«On considère souvent la lecture et l'écriture comme des miroirs l'une de l'autre, comme des reflets de la communication par le moyen du langage observée sous des angles opposés. Mais les aptitudes et connaissances utilisées pour lire et celles utilisées pour écrire, sont radicalement différentes, tout comme le sont les stratégies d'apprentissage de la lecture et de l'écriture» (F. Smith, 1980, p. 85).’

Il est important de rappeler que c'est sur l'écriture que s'enseigne la lecture. Toute production écrite est un construit humain. L'écriture peut être considérée comme un objet complexe, qui peut donner prise à différents modes et niveaux de perception, et qui détient différentes fonctions : celles des usages qui en sont faits, que ce soit au stade de l'émission ou à celui de la réception.

Ainsi l'écriture sert-elle à apprendre à lire à l'enfant (D. Belin, 1988).

Les recherches récentes en psycholinguistique de l'écrit, centrées sur l'observation de l'activité de l'apprenti et présentées dans le chapitre précédent, amènent aujourd'hui à de nouvelles conceptions de l'apprentissage, plus respectueuses de l'évolution de l'enfant lui-même.

Cette conquête nouvelle qu'est la lecture va non seulement dépendre de facteurs déjà évoqués – intelligence, langue, motricité, autonomie, rythme, adaptation au changement –, elle va s'inscrire aussi comme possible ou non, ou entravée par le fonctionnement psychique à ce moment de la vie (marquée par le déclin de l'Œdipe et le démarrage de la période de latence).

Nous considérons alors que le poids de la vie fantasmatique et pulsionnelle va jouer de manière tout à fait discriminante dans les activités psychiques, notamment dans les activités d'apprentissage scolaire et d'utilisation de la pensée. Celles-ci peuvent en effet être entravées, si le champ mental qui leur est nécessaire pour se développer est utilisé à d'autres fins.

Si beaucoup de travaux ont été consacrés à la lecture, peu existent sur la production de l'écrit et l'une de ses composantes essentielles : la capacité d'orthographier.

Ce désintérêt est paradoxal, tant il est vrai – si l'on se réfère aux remous suscités par le problème de la réforme en 1990 – que l'orthographe constitue, tout particulièrement en français, un sujet constant de préoccupation et de polémique.

Nous constaterons au travers du chapitre suivant toute la complexité de notre système orthographique et aborderons le point particulier de l'ontogenèse du nombre.