III - Du xiie siècle au lendemain du génocide

Selon A. Ter Minassian (1992), l'immigration individuelle des Arméniens en France remonte au XIIe siècle. La civilisation occidentale, et plus particulièrement la culture française, ont toujours fasciné les intellectuels arméniens qui, sans hésiter, venaient étudier à Paris.

Les relations commerciales se sont développées au XVIe siècle, et surtout au XVIIe siècle avec la venue de nombreux négociants arméniens en France. Vers la fin du XVIIe siècle, le nombre d'Arméniens à Marseille devait atteindre 400 personnes, constituant des familles aisées, négociants et artisans pour la plupart.

Au XVIIIe siècle, des Orientalistes parisiens étudièrent la langue, la littérature et l'histoire arméniennes. En 1798, Napoléon favorisa la création d'une chaire d'arménologie à l'Ecole des Langues Orientales.

Au début du XXe siècle, la communauté arménienne de Paris était embryonnaire, originaire de la petite ou grande bourgeoisie de Constantinople, de Smyrne et de Tiflis. Ces Arméniens de longue tradition diasporique, déjà familiarisés avec la culture française, formèrent à Paris un noyau de riches commerçants et d'intellectuels.

En 1910, la communauté arménienne de France comptait 2 000 personnes environ (M. Hovanessian, 1992).

Puis, en 1922, commença l'immigration collective des Arméniens de Turquie, devenus déracinés et orphelins, jetés aux quatre coins du monde. Le Traité de Lausanne (1923) accéléra cette immigration politique et forcée .

Quelques dizaines de milliers d'Arméniens trouvèrent ainsi refuge en France, entre la fin de la Première Guerre Mondiale et la fin des années 1920. Terre d'accueil rêvée, la France avait toujours favorisé les minorités chrétiennes d'Orient.

Ils débarquèrent ainsi à Marseille, dans un grand dénuement. La majorité d'entre eux avaient abandonné leurs biens. Ils arrivaient par bateaux entiers, en provenance du plateau d'Anatolie et de la plaine cilicienne.

Certains voyaient, dans cette ville, une simple escale avant l'Amérique, mais le quota d'immigration de ce pays fut vite atteint. Alors nombre d'entre eux restèrent sur place, d'autant plus que la France, sortie très affaiblie de la Première Guerre Mondiale, manquait de bras. Les immigrés n'ont pas hésité à prendre n'importe quel travail : sur les quais, dans les raffineries de sucre, dans les mines de Gardanne. Les employeurs appréciaient cette main-d'œuvre courageuse et travailleuse. Certaines grandes firmes industrielles allaient même jusqu'à parcourir les orphelinats et les camps de réfugiés de Grèce pour les recruter.

En 1934, 20 000 Arméniens étaient recensés pour la seule ville de Marseille. D'après le recensement préfectoral de 1939, la communauté arménienne du Rhône constituait environ 6% des étrangers du département, et elle était estimée à 5-6000 personnes (P. Videlier, 1994). Dans ses usines, Lyon, ville industrielle, a accueilli les travailleurs qui, suivant leurs contrats d'embauche, s'étaient dispersés dans les villes sidérurgiques, minières, métallurgiques ou textiles de moindre importance du sillon rhodanien (A. Boudjikanian-Keuroghlian, 1994).

En 1923, le premier directeur du nouveau Haut-Commissariat pour les Réfugiés de la Société des Nations, le médecin norvégien Fridjof Nansen, inventa pour les Arméniens et les Russes "apatrides" un passeport avec un statut spécial, dit "Nansen", qui leur donnait le droit de circuler et de travailler (C. Mouradian, 1995).

A partir de 1946, les naturalisations accordées généreusement ont accéléré l'intégration.

Au cours du XXe siècle, d'autres épisodes migratoires marqueront l'histoire de cette diaspora ; les crises politiques permanentes en Europe Orientale et au Proche-Orient susciteront des vagues migratoires arméniennes qui modifieront le profil des communautés de France et d'Europe, généralement bien intégrées (M. Hovanessian, 1992).