VII - Arménie post-soviétique

En 1988, l'Arménie est la plus petite des Républiques de l'Union soviétique (29 800 km2 seulement). Cependant avec 3 400 000 habitants et une population à 90% arménienne, elle est aussi la République dont la densité et l'homogénéité ethnique sont les plus élevées (A. Ter Minassian, ibid.).

Dans les années 1960-1970, l'Arménie s'est modernisée et couverte d'usines. Mais depuis 1988, son économie a subi des chocs successifs.

Le tremblement de terre de 1988 engendrant 25 000 victimes et 530 000 sinistrés, détruit totalement ou partiellement le quart de l'infrastructure industrielle, le tiers de l'infrastructure agricole, et endommage sérieusement le réseau de communication (A. Ter Minassian, 1995).

A partir de l'automne 1989, le blocus, de plus en plus drastique, imposé par l'Azerbaïdjan entraîne une dégradation constante de l'économie de l'Arménie dépendante des approvisionnements extérieurs.

Particulièrement touchés, les secteurs de l'énergie et des transports entraînent à leur tour la paralysie des autres secteurs de la vie économique, multipliant le nombre de chômeurs, déjà augmenté par l'afflux de quelques 300 000 réfugiés arméniens fuyant l'Azerbaïdjan.

En effet, les deux peuples en présence s'affrontent pour le territoire enclavé appelé Haut-Karabagh, massif de 4 400 km2, peuplé en 1908 de 180 000 habitants dont 75% d'Arméniens et 20% d'Azéris (A. Ter Minassian, ibid.).

Cette guerre, interminable et meurtrière, devenue la "cause nationale" de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan serait due, selon A. Ter Minassian (ibid.), à un "territoire mythique" où les deux peuples, arménien et azéri, inscriraient l'histoire de leurs origines.

Pour les Arméniens, il s'agirait du lieu où le moine Mesrob Machdotz, inventeur de l'alphabet arménien, aurait achevé ses recherches scripturaires et évangélisé les populations locales.

Pour les Azéris, leurs ancêtres – les Albans ou Albanais – y auraient vécu. Puis, au XIe siècle, ils auraient été submergés par les invasions turques, puis linguistiquement assimilés et islamisés.

Tous ces facteurs ont profondément ébranlé les bases de la société arménienne. L'une des conséquences de ces transformations sera un important phénomène d'émigration.

Selon le Gouvernement arménien, entre 1991 et 1995, elle aurait touché 500 à 520 000 personnes ; d'autres sources scientifiques font état de plus d'un million d'émigrants. Pour l'Institut Ministériel des Recherches Economiques d'Erévan, 85% d'entre eux sont partis pour la Russie (J.-N. Kouyoumdjian, 1996).

Pour A. Ter Minassian (ibid.), le développement des migrations saisonnières vers la Russie (en hiver) montre qu'elles sont amplement conjoncturelles et qu'elles devraient cesser avec la normalisation de la vie économique et sociale et le retour de la confiance.

La migration la plus massive concerne donc d'autres régions que l'Ouest. Depuis 1991, elle se déroule entre les anciennes Républiques soviétiques, devenues des Etats autonomes, membres de la Communauté des Etats Indépendants ou des Etats Baltes.

150 000 Arméniens se répartissent dans ce qui fut la diaspora soviétique (Géorgie, Azerbaïdjan, Russie, République d'Asie Centrale).

Malgré le déni des autorités arméniennes, qui considèrent cette émigration comme un phénomène marginal et transitoire, il semble qu'objectivement la situation ait empiré très rapidement.

Ceux qui se sont rendus en France restent à dénombrer (du fait de l'absence de statistiques) ; ceux qui peuvent y demeurer sont en nombre restreint.

Ce phénomène heurterait d'autant plus le nationalisme arménien que l'Arménie était présentée comme la "patrie d'élection", le lieu de "rassemblement" du peuple arménien, au XXe siècle (A. Ter Minassian, ibid.).

Ces migrations engendrent des problèmes aigus, non seulement entre ethnies différentes mais aussi entre les différents groupes ethnoculturels d'un même peuple ; par exemple, entre les Arméniens locaux bien intégrés (de la province russe de Stavropol, située dans le Nord Caucase) et les réfugiés arméniens (surtout ceux venant d'Azerbaïdjan).

Ces derniers ont leurs racines en Iran, et après leur passage par l'Azerbaïdjan (à partir du XVIIIe siècle), ils ont perdu depuis longtemps leur langue maternelle et même certaines coutumes nationales. En effet, à l'époque soviétique, surtout sous Staline, toutes les écoles arméniennes étaient fermées, le maintien des langues nationales n'étant organisé qu'à l'intérieur des frontières d'un territoire national officiellement reconnu (V. Belozerov, P. Touroun, T. Galkina et V. Kolossov, 1998).

Ces mêmes difficultés d'intégration se retrouvent dans les pays occidentaux et seront détaillées dans le prochain chapitre.

‘«Confrontée à une situation inédite – la réapparition d'un État-nation arménien –», la diaspora, pour A. Dédeyan (1998, p. 31) «s'interroge, une fois de plus, sur son identité arménienne».’

La République indépendante d'Arménie existe à nouveau depuis septembre 1991 et on remarque que des personnes de la diaspora arménienne retournent s'y installer.

Selon S. Von Saxenburg (1999), la diaspora se réorganiserait autour d'un mythe du retour, comme si la violence du séisme de 1988 et l'accession à l'indépendance faisaient ressurgir la douleur du déracinement de 1915. Mais ce mythe du retour «ne se limite pas seulement au désir de retourner dans un pays inconnu ; il englobe aussi le désir de renouer avec une appartenance et de reprendre le fil de l'histoire d'un peuple» (p. 20). Ce qui est loin de couler de source.

A. Dédeyan (1999, p. 5) parle à ce propos de «vieux rêves d'unité et d'identité collective partant en fumée dans ces régions d'extrêmes sensibilités, de clivages de mentalités, de mode de vie […] et même de langues», […] «autant de fractures invisibles qui freinent le rapprochement arméno-arménien !».

Dans le développement suivant, nous exposerons comment les Arméniens ont abordé cette problématique d'appartenance face à la société française.