D - Quatrième génération

Elle semble en cours d'assimilation, malgré les efforts pour maintenir l'enseignement de la langue. Les Arméniens suivent le même parcours que toute autre population d'origine étrangère installée depuis un demi siècle ou plus. Les fêtes religieuses se transforment en fêtes familiales autour d'un repas, et les traditions se resserrent sur la famille (A. Roze, 1995).

Pourtant ceux qui ont 20 ou 30 ans aujourd'hui refusent souvent le culte de l'ascension sociale comme clé de leur identité.

Le désir d'intégration effréné de leurs parents les ont, certes, éloignés de leurs racines, mais sans les en couper définitivement (S. von Saxenburg, 1999).

Pour cette génération l'intégration n'est plus une question posée : l'éducation, la situation socio-professionnelle, la connaissance de la langue et la mentalité de la société environnante l'affichent clairement. Une fois la base existentielle assurée, elle peut se permettre de "jouer" avec les questions d'identité, et cela d'autant plus que nous avons affaire là, à un phénomène de mode.

Des questions sont alors posées : peut-on être Arménien hors du territoire ancestral, hors d'une langue, hors d'une nation ?

Pour la jeune génération, la recherche identitaire prend les dimensions d'une quête qui la conduit à un ancrage paradoxal dans un événement inconcevable, intransmissible, et pourtant incontournable. Il s'agit de l'insurmontable nostalgie née de l'évocation du temps antérieur au désastre, d'un temps idéalisé et d'une langue ressentie comme la dernière trace d'une culture presque anéantie.

Le réveil ethnique peut se manifester à différents moments de la vie. La profondeur aussi varie d'un cas à l'autre.

Les jeunes Arméniens luttent pour la reconnaissance officielle du Génocide, ce qui leur permettrait de faire le deuil d'un passé de martyrs. Il existe maintenant en France une mémoire de cette lutte menée pour la reconnaissance du Génocide arménien et sa réparation symbolique. Le vote de l'Assemblée Nationale, le 29 mai 1998, stipulant que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915", marque une étape importante pour la levée du processus de dénégation.

Quand des dizaines de milliers d'Arméniens arrivèrent en France, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, ils apparaissaient tellement ancrés dans leurs traditions que les commentateurs disaient qu'il leur faudrait des décennies pour "s'assimiler". Pourtant, leur évolution a démenti les pronostics les plus pessimistes. Ainsi, à Décines, l'un des hauts lieux de l'immigration arménienne, le taux de mariages mixtes, signe incontestable d'intégration, a progressé très vite jusqu'à atteindre 73% en 1970-1971 (C. Jelen, 1991).

La première génération cherchant à survivre s'est investie sans limite dans le travail, pour oublier le passé. La seconde a prôné l'ascension sociale sans regarder en arrière, la troisième génération a des "états d'âmes" (S. Von Saxenburg, 1999), la quatrième saura peut-être trouver des réponses.