II - Migrants du Proche-Orient

Durant les années 1980, la répartition cartographique des membres de la diaspora a subi des transformations profondes. Le principe des vases communicants a favorisé les communautés de France et des Etats-Unis.

Les flux migratoires arméniens de l'Est vers l'Ouest ont contribué depuis 50 ans à une occidentalisation progressive de la diaspora, et particulièrement depuis ces deux dernières décennies. En effet, à partir de 1975, date de la déstabilisation du régime libanais, et après la révolution islamique de l'Imam Khomeyni en 1979, ces deux bastions que sont les communautés du Liban et d'Iran ont été fortement ébranlés.

Un nouveau flux migratoire est venu en France, en Angleterre, au Canada et surtout aux Etats-Unis ; il s'est amplifié durant les mois où la violence était à son paroxysme. Bien que le mouvement soit difficile à évaluer d'un point de vue quantitatif, dans un cas comme dans l'autre l'émigration a été massive.

L'échelonnement des vagues migratoires au sein d'une même population a modifié le profil de la communauté arménienne de France, en a hétérogénéisé les pratiques culturelles (M. Hovanessian, 1992).

De 1950 à 1975, la communauté arménienne du Liban, petit pays de 10 452 km2 où coexistent 17 communautés religieuses, avait acquis une grande importance numérique, une fonction culturelle (avec ses écoles, où l'enseignement est totalement dispensé en langue arménienne, ses institutions et ses publications) et un rôle administratif qui lui conféraient une primauté par rapport à la diaspora toute entière. En effet, les Arméniens réfugiés au Liban y ont gardé leur langue, leurs coutumes, et des députés les représentent à l'Assemblée Nationale, constituant ainsi un moteur important de la vie économique libanaise (K. Haddad, 1998).

Le démantèlement de ces communautés d'Orient a donc draîné de nouvelles populations vers la France. Mais le sort des Arméniens de Turquie, du Liban ou d'Iran a suscité des sursauts de solidarité plutôt modérés, excepté chez quelques leaders ou intellectuels (M. Bardakdjian, 1984). Les migrants évoquent souvent un sentiment de solitude.

Pour M. Hovanessian (ibid.), les Arméniens du versant oriental de la diaspora seraient même perçus comme des éléments perturbateurs et se sont plaints de l'absence de structures d'accueil au sein de la communauté arménienne pour les aider à trouver un logement, un travail (M. Hovanessian, 1995). Il est vrai que, même plongée dans une crise profonde, la communauté établie au Liban avait gardé un esprit communautaire, grâce au regroupement des individus en quartiers arméniens organisés.

Ces migrants bousculent ainsi en France l'équilibre communautaire, car ils maintiennent la connotation "immigrée" du phénomène arménien, de plus en plus occultée dans les mentalités de ces acteurs de la société française (M. Hovanessian, 1992).

En outre, si la migration des Arméniens du Liban ou d'Iran se justifie pour des raisons politiques, un certain flou caractérise les causes de l'immigration venant de Turquie.

Jusque dans les années 1950, et ceci malgré les massacres de 1915, la communauté arménienne d'Istanbul a été importante et bien organisée.

La situation économique des Arméniens, relativement bonne, les avait retenus dans ce pays, malgré un sentiment constant d'insécurité.

Mais, à partir de 1985, une vague d'immigration est constatée en direction de la France.

Des intentions de départ préméditées, motivées par le profit, leurs sont souvent attribuées, et l'on grossit volontairement leur "turcophilie" en raison de leur pratique de la langue turque.

Ces Arméniens font l'objet d'une marginalisation supplémentaire dans leur communauté d'origine, et leur mise à l'écart, non pas comme force de travail mais comme potentiel représentatif de la communauté, nous révèle un ensemble de tensions internes dont les origines sont parfois très subjectives (M. Hovanessian, ibid.). Les nouveaux venus introduisent des discontinuités dans ce processus ; on les compare parfois aux premiers immigrés des années 1930, démunis, sans ressources, sans patrie, et qui, grâce à leur mérite, ont modifié la condition sociale des générations nouvelles. Cependant, ces nouveaux venus ont dynamisé la communauté qui, à leur contact, reprend conscience de sa différence ; ils ont contribué à la revalorisation du capital linguistique.

Cette même différence d'intégration dans la communauté d'origine est constatée pour les ressortissants d'Arménie.