B - Aspects neurolinguistiques

Le langage est probablement la fonction cognitive la plus élaborée, et certainement la plus importante pour l'être humain. Dans un certain sens, il s'agit d'un épiphénomène non pas localisé dans une région spécifique du cerveau, mais dépendant plutôt, pour être exprimé, de fonctions cognitives très diversifiées se trouvant dans différentes régions cérébrales. Dans des conditions normales, la plupart de ces fonctions spécifiques se trouvent dans l'hémisphère gauche chez un sujet unilingue. Progressivement, on a réalisé que les sujets bilingues constituaient un cas d'organisation et de fonctionnement cognitif remarquable à plusieurs titres.

Ce type de sujet manifeste une des caractéristiques du système cognitif humain, celle qui consiste à enregistrer et à utiliser deux grammaires différentes pour exprimer une réalité sémantique structurelle.

Les caractéristiques de quelques langues et les pré-requis pour en apprendre de nouvelles exigent ainsi l'apport de fonctions localisées dans d'autres régions incluant l'hémisphère droit.

L. Galloway (1983) affirme que les bilingues appartenant à des groupes minoritaires ou socio-ethniques non acculturés, ou qui subissent une forte pression à l'assimilation par la structure sociale dominante, manifestent une plus forte implication de l'hémisphère droit pour le langage, que les groupes témoins majoritaires ou les groupes ethniques acculturés ou établis. Ces affirmations ont été très controversées (cf. débat B. Bernstein – W. Labov).

En outre, il y a deux facteurs dépendants l'un de l'autre dans l'apprentissage d'une langue : l'environnement qui impose ses propres exigences aux processus cognitifs exploités par le cerveau, et le développement, durant lequel certains processus particuliers du cerveau subissent des changements.

Ces trois variables principales, l'acquisition d'une langue, l'environnement et le développement sont en interaction de façon complexe. Quelques-unes de ces interactions pourront être clarifiées au fur et à mesure que de nouvelles données seront recueillies. Nous serons alors en mesure d'apprécier la manière dont les processus cérébraux et surtout ces fonctions spécialisées de l'hémisphère droit et gauche participent activement au langage, à l'acquisition des langues et aux mises en relations des différentes langues.

Cependant le bilinguisme ne requiert pas de facultés cérébrales ni de processus mentaux qui ne s'observeraient pas chez les unilingues (M. Paradis, 1980), même s'il est reconnu que le bilinguisme précoce permet un développement plus rapide de la latéralité ainsi qu'une grande bilatéralité.

Pour E. Bialystok (1991), il n'y a pas de schéma de développement uniforme des enfants bilingues et des enfants monolingues. Les sujets bilingues peuvent différer des autres en quelques uns mais pas en tous les éléments constitutifs de pensée. En outre, quelques enfants bilingues peuvent différer d'autres bilingues dans ces schémas de développement. Paradoxalement, ce serait l'étude de la diversité observable des enfants bilingues dans leurs aptitudes sociale, cognitive et linguistique qui conduirait à la compréhension la plus universelle des voies dans lesquelles langage et processus cognitifs se développent chez ceux-ci.

Si une langue était un simple outil, transparent et tout prêt à communiquer, sans y toucher, des idées qui seraient déjà là, toutes faites et bien formées avant d'être mises en mots, la tâche de professeur serait facile.

Mais la langue est tout autre chose. Elle est porteuse d'une culture, d'une histoire, de toute l'épaisseur d'une représentation du monde. Loin d'être un médium transparent, elle est, heureusement, opaque, pleine de surprises et de labyrinthes que les poètes explorent et dont les "communicants" n'ont que faire. Apprendre une langue, c'est donc accepter un décentrement, accepter à la fois la rencontre avec l'autre et la part d'autre qui est en soi.

La complexité du phénomène du bilinguisme ressort bien à la lumière de ces considérations. La confrontation d'un individu, au confluent de deux cultures, de deux langues, de deux modes de vie ou de pensée peut déboucher sur des voies de coexistence très variées (complémentarité, dualité, entente, conflit), et être la source d'un enrichissement ou d'un appauvrissement de l'individu à différents niveaux.