Conclusion générale

Au terme de cette thèse, nous allons repréciser le fil conducteur de notre démarche, en en soulignant les acquis, les axes centraux de nos conclusions, les nouvelles questions posées au cours de cette recherche, mais aussi les lacunes ou insuffisances.

Le propos est de souligner les objectifs atteints et les ouvertures que notre démarche de recherche peut susciter.

Dans les repères théoriques, nous avons présenté l'état de la question de l'acquisition de l'écrit dans le domaine de la psychologie génétique et de l'ontogénie du langage. Puis, compte tenu de ce substrat, nous nous sommes attachée à retracer les cheminements intellectuels de l'enfant vers la maîtrise de l'écrit.

Parmi d'autres, les travaux d'E. Ferreiro nous ont montré que l'on pouvait interpréter les productions écrites des enfants en termes de niveau cognitif d'appropriation. Cela nous a permis de comprendre comment ces derniers devenaient lecteurs-scripteurs et pourquoi cet apprentissage posait des problèmes à certains d'entre eux.

Nous avons pu constater que la notion d'apprentissage de la langue écrite recouvre des phénomènes très divers et d'une grande complexité.

Dans l'introduction de cette thèse, nous nous donnions comme objectif de cerner les étapes par lesquelles passent les apprentis-scripteurs arméniens de France, confrontés à l'école journalière arménienne à deux systèmes d'écritures si différents.

Notre exploration de ce domaine a commencé par la réalisation de trois expérimentations portant sur 15 enfants scolarisés en GSM puis en CP. Le but était alors de vérifier des corrélations dans l'appropriation simultanée de ces deux langues écrites et de dégager des similitudes et des différences interlangues.

Ensuite, dans la continuité des deux précédentes, nous avons mené la quatrième expérimentation avec les mêmes élèves scolarisés en CE1. L'objet était de définir la genèse comparée de l'acquisition du pluriel dans les deux langues considérées.

Les données expérimentales obtenues contribuent à vérifier la diversité et l'originalité des moyens mis en œuvre par les enfants pour s'approprier cet objet nouveau qu'est l'écrit, à travers l'acquisition/apprentissage de deux alphabets.

L'interprétation des résultats a été réalisée dans trois perspectives :

– la première regroupait des données recueillies, pour chaque expérimentation, par niveaux de conceptualisations et de procédures de traitement.

– la seconde approfondissait l'analyse de points caractéristiques et les spécificités liées aux langues écrites étudiées.

– la troisième exposait les résultats de plusieurs enfants, considérés comme représentatifs des profils individuels observés dans l'ensemble de la classe, en fonction de leur niveau initial, ainsi que du rythme et de la nature de leur progression.

Les résultats globaux obtenus par notre population, les observations plus affinées d'études transversales et comparatives, ainsi que les éléments de l'étude longitudinale montrent bien que, dans le cas d'une dynamique évolutive favorable, on assiste, chez certains élèves, à une appropriation véritable des deux langues écrites en présence ; un bilettrisme fait suite à leur bilinguisme initial. Nous notons toutefois, même dans le meilleur des cas, un décalage en faveur de la langue française quant au degré de compétence atteint par ces apprenants.

Ces résultats ne sont cependant pas généralisables à l'ensemble de la population que nous avons étudiée ; c'est pourquoi, à partir des données de nos expérimentations, nous n'avons pu esquisser un modèle-type de progression conceptuelle suivant le degré de bilinguisme des enfants.

Avec les observations des 15 enfants, confirmées par l'étude longitudinale, nous mettons l'accent sur les singularités de chacun, à un moment de la vie particulièrement sensible et structurant.

Les élèves qui ont fait l'objet de cette recherche nous font constater la complexité de ce qui se joue pour chacun d'eux dans leur apprentissage. Aussi avons-nous pu éclairer certains aspects du fonctionnement mental et relationnel, impliqués dans les apprentissages à cet âge, et à partir desquels il nous paraît utile de dégager des points essentiels.

Les stratégies d'accès à l'écrit correspondent à la réalité des démarches utilisées par les enfants et constituent une série d'étapes progressives qui les conduisent, selon des configurations propres, vers des modalités d'assimilation et de compréhension de l'écrit de plus en plus élaborées.

L'étape la plus achevée est l'utilisation souple, diversifiée et coordonnée de toutes les stratégies analysées. Cependant, comme le décrivent les théories actuelles (vs. le modèle piagétien), nous avons pu constater une grande variabilité à la fois inter- et intra-individuelle.

Ce constat des variantes de performances vient remettre en question l'ordre séquentiel d'appropriation et d'utilisation des stratégies décrites dans certaines théories fondées sur des stades précis.

La variabilité interindividuelle est également notée par rapport aux deux langues écrites considérées.

Dans le cadre de notre recherche et compte tenu de la méthodologie utilisée, nous avons remarqué une évolution des apprentis-scripteurs, pour la langue française, conforme aux résultats de recherches précédentes sur cette question, sans retard imputable à un bilettrisme imposé.

On assiste également à un transfert de connaissances de l'écrit français, omniprésent, vers l'écrit arménien.

L'écart manifesté entre les deux langues est dû, d'une part, à un enseignement d'arménien limité à une heure par jour et, d'autre part, aux difficultés proprement graphiques de cette langue ; ces dernières entraîneraient une prise en compte plus tardive, chez certains enfants, de l'aspect phonétique.

Notons qu'en GSM, les enfants monolingues comme les petits bilingues assimilent cet apprentissage intensif de deux codes alphabétiques ; malgré un décalage, ils arrivent à maîtriser la forme écrite de l'arménien.

L'alphabétisation, la "transmission", sont certes réussies mais l'appropriation, la "construction" de ce savoir ne peut être durable si d'abord l'enfant ne s'est pas approprié le patrimoine que constitue sa langue orale.

En effet, d'un point de vue génétique, dans des conditions normales, l'oral est un relais nécessaire pour l'entrée dans l'écrit, car l'expression de la langue orale est une base de la compréhension de l'écrit.

L'enfant monolingue peut apprendre à déchiffrer, tout en restant très démuni face à la nécessité de savoir reconnaître et comprendre des structures qu'il a été incapable de découvrir et de s'approprier oralement.

Dans cette évolution, face au rapport à la langue écrite, le rôle de l'école est d'autant plus important si les sollicitations du milieu familial sont limitées, et si les supports écrits mis à la disposition des enfants sont rares. Le moteur principal de leur apprentissage est d'ordre social. Mais les moyens leur en sont donnés essentiellement par l'école (du moins pour ce qui concerne l'arménien).

Dans l'échantillon étudié (expérimentation 1/arm.), seul un enfant, monolingue de surcroît, a considéré l'écrit arménien comme ayant une utilité hors du cadre scolaire, et il a proposé une raison psycho-sociale et affective (éventualité de recevoir une lettre d'un autre Arménien et de pouvoir la lire). Deux élèves réduisent cet apprentissage à son utilité scolaire, et douze d'entre eux (sur 15) s'abstiennent de répondre. Ce nombre élevé d'abstentions démontre le peu d'importance donnée à l'arménien face à la lecture et l'écriture (vs. 3 abstentions pour le français), et leur conception floue des fonctions de l'écrit dans cette langue.

C'est ainsi que nos conclusions rejoignent celles d'A. Donabédian (1994, p. 63), pour qui «l'arménien occidental est bel et bien une langue en péril, au sens où il a subi un changement fondamental de fonction : sa fonction communicative (fonction principale et moteur principal du développement des langues naturelles) est devenue parfaitement secondaire au regard de sa fonction symbolique qui est d'affirmer une identité ethnique». La langue cesse alors d'être un outil de communication pour devenir seulement une représentation symbolique, associée à un groupe ou en lien avec ce dernier.

En outre sa pratique, circonscrite dans le temps et délimitée dans l'espace, devient un objet pédagogique dont l'apprentissage est sans enjeux pratiques immédiats.

Ce statut est tout à fait précaire et ambigu.

Pour C. Hagège (2000, p. 95), «une langue vivante sera définie comme celle d'une communauté qui renouvelle d'elle-même ses locuteurs de naissance ; et une langue morte, si l'on choisit de conserver ce terme, sera celle d'une communauté où la compétence native a totalement disparu, dans la mesure où les locuteurs de naissance n'ont transmis qu'imparfaitement leur savoir, leurs descendants transmettant à leur tour une aptitude de plus en plus faible à parler et à comprendre l'idiome du groupe».

Cet auteur (ibid., p. 213) cite le cas de plusieurs langues mortes en diaspora ; «c'est là le cas du hongrois d'Autriche orientale, du dialecte albanais arvanitika de Grèce, du bhojpuri de Trinité, de l'arménien en France».

Toutefois A. Donabédian (2000, p. 145), relève que «parallèlement à ce mouvement de régression de la transmission familiale, l'apprentissage dans les établissements scolaires arméniens connaît une forte croissance depuis un peu moins d'une décennie».

Concernant la genèse de l'acquisition des morphogrammes du nombre, les procédures constatées pour la langue française sont typiques et en conformité avec les recherches antérieures.

La complexité de l'accord sujet-verbe est supérieure à celle de l'accord déterminant-nom pour lequel les désinences sont plus faciles à comprendre et à mémoriser : pluriel en -s ou en -x, peu d'exceptions à cette loi générale.

Il est donc clair que l'accord verbal est un point réellement central dans l'acquisition de l'orthographe grammaticale. En comparaison, l'accord nominal est relativement simple. Toutefois, lorsque l'évocation de la forme orthographique ne peut prendre appui sur aucune information auditive (cas des morphogrammes vs. morphonogrammes), la maîtrise de l'accord du nom semble malaisé.

Quant à l'arménien, les marques grammaticales du pluriel, audibles, permettent une corrélation entre la catégorie grammaticale du nombre (le pluriel) et le concept sémantique (la pluralité).

Contrairement aux hypothèses émises, cette différence de statut n'est pas à l'origine d'une compréhension et d'une intégration plus rapide de la catégorie grammaticale du nombre à l'écrit.

La compétence orale active n'étant pas acquise par tous les écoliers en CP et en CE1 (du fait d'une pratique insuffisante), notre hypothèse de départ est infirmée.

L'une des remédiations possibles pourrait consister en une instruction directe et systématique de la formation orale du pluriel en arménien, et non plus à une acquisition par simple exposition, apparemment insuffisante.

Compte tenu de ces caractéristiques et de la rareté des recherches menées sur cette question, il serait intéressant d'effectuer une analyse longitudinale avec plusieurs enfants bilingues français/arménien (de 2 ans à 7 ans) sur ce point précis d'acquisition orale des morphogrammes du nombre. La production langagière serait enregistrée sur bandes vidéo dans l'environnement naturel. Pendant les enregistrements, les deux langues seraient séparées selon le principe "une personne – une langue" proposé par Ronjat (1913).

Après cette synthèse des principaux résultats de nos expérimentations, nous nous efforcerons de pointer leurs limites, mais également de montrer leur portée.

Les résultats dégagés dans cette étude, outre le fait qu'ils soient partiels, devraient être confirmés par d'autres recherches plus étendues, avec une population suffisamment importante pour que les statistiques soient significatives.

Compte tenu du faible nombre de sujets et de la durée des séances consacrées à nos expérimentations, nous devons rester prudente quant aux conclusions dégagées et à leur généralisation.

Ces impératifs de recherche découlent des choix méthodologiques et expérimentaux possibles sur le terrain.

Nous pensons toutefois que cette thèse répond à nos objectifs, sans vouloir décrire tout le processus d'apprentissage du lire-écrire dans deux systèmes alphabétiques différents. Les réponses qu'elle tend à dégager contribuent à avancer dans la connaissance de cet apprentissage et dans les méthodes d'enseignement.

Outre son intérêt descriptif et théorique, ce travail a des conséquences didactiques directes. En effet, il importe pour l'enseignant de pouvoir situer les apprenants sur un parcours potentiel, en connaissant les étapes générales de leur développement cognitif. Cette référence permet au didacticien de disposer d'une représentation d'ensemble des capacités des élèves, et de fixer les contours généraux de ses interventions.

Par ailleurs, les données produites remettent en question l'idée de stades strictement établis et successifs dans l'acquisition, et l'existence d'un modèle de développement standard. Un tel constat pourrait inciter les enseignants à être des didacticiens qui, loin d'appliquer des techniques préfabriquées, se livreraient à une constante recherche d'aide adaptée à chacun, considéré comme un être pensant unique.

L'acquisition de la lecture et de l'écriture n'est pas uniquement et simplement un apprentissage technique que l'enfant est amené à maîtriser à un moment donné de son cursus scolaire. En effet, le problème de la lecture dépasse largement le cadre de l'école et s'enracine dans les expériences socio-familiales et culturelles qui précèdent et accompagnent les premiers contacts avec les éléments graphiques, à l'école. L'apprentissage de la lecture-écriture ne peut se concevoir sans une certaine pratique sociale parallèle, impliquant l'enfant dans des situations interactives de communication effective.

Pour l'enseignement de la langue arménienne, il s'agit de tenir compte de la compétence langagière des élèves et de la réalité d'environnements culturels extrêmement variés, afin qu'il ne se produise aucun décalage entre les capacités linguistiques de l'apprenant et ses besoins de communication, souvent très variables d'un enfant à l'autre et déroutantes pour l'enseignant.

Nous mentionnerons également l'importance d'adhérer à la solution de souplesse sans imposer de normes strictes, grâce à un enseignement qui valorise l'amour de la langue arménienne au détriment de règles académiques trop éloignées de la réalité quotidienne. La complexité de l'application pratique d'une telle prise de position doit se dérouler sans étouffer l'accomplissement d'une pédagogie ouverte sur la réalité sociale et humaine dans laquelle elle s'inscrit. Car finalement, adapter les méthodes pédagogiques aux particularités linguistiques et culturelles des Arméniens équivaut à poser la question d'une didactique sensible à la culture des enfants, et elle se doit d'écarter toute contrainte de l'autorité pour favoriser le plaisir d'apprendre.

Il convient également de dépasser l'aspect de la conformité de la production graphique et orthographique pour saisir, à travers la production de l'apprenti-scripteur, la mise en œuvre de procédures plus ou moins performantes, en tout cas "sensées" du point de vue psycholinguistique, et révélatrices d'une réflexion de l'apprentissage sur la langue.

Cette pratique pédagogique, qui reconnaît à l'erreur un statut particulier, nous enseigne que cette dernière fait partie intégrante du processus d'acquisition, parce qu'elle est bien souvent riche d'informations pour l'enseignant soucieux de comprendre les stratégies et les représentations conceptuelles de ses élèves. La réussite ne garantit pas toujours un raisonnement sous-jacent correct.

La diversité des modes d'accès à l'écrit, mêlée à l'hétérogénéité initiale des élèves, rend complexe la conduite de ces apprentissages.

Ces quelques points de repères devraient permettre de pratiquer différemment les activités déjà connues et appliquées au cours des enseignements traditionnels de la lecture-écriture.

Tout au long de ces démarches d'apprentissage, l'essentiel réside, autant pour le formateur que pour l'apprenant, dans la prise de conscience et la mise en œuvre des activités et des connaissances nécessaires pour devenir lecteur-scripteur.

C'est à ce prix que des apprentissages pourront se développer et permettre aux écoliers, selon leurs modalités propres, d'accéder à la maîtrise de la lecture-écriture, au goût de lire et à une compréhension réelle de la langue écrite.

Nous achèverons cette recherche en mentionnant les questions et les pistes restées nouvelles ou en suspens.

Le prolongement le plus immédiat serait, à l'aide d'études microgénétiques, d'analyser l'évolution des productions, procédures et performances d'enfants d'origine arménienne de différents pays pour :

– explorer les interactions entre enseignement et apprentissage, et de constater ou non des modifications de procédures liées à un environnement didactique particulier et à ses conséquences ;

– déceler et expliquer les différences dans les scolarisations préélémentaires, afin de mieux distinguer les variations et leurs causes : ce qui tient à la langue et ce qui relève des particularités du contexte scolaire ;

– analyser, avec une population témoin, si la coexistence de deux écritures différentes peut conduire l'enfant à des progrès plus rapides que ceux d'élèves monolingues usant d'un seul alphabet ;

– étendre les recherches, pour la langue arménienne occidentale, au bilinguisme arménien/français, arménien/anglais, arménien/espagnol, arménien/italien… et, comme le suggèrent J.-P. Jaffré et J. David (1993, p. 127), «évaluer l'effet conjugué ou non des différentes langues sur l'acquisition de l'écrit».

La diaspora arménienne est complexe puisqu'elle subsiste dans des environnements diversifiés sur les plans linguistique, culturel, religieux, politique.

Nous séparerons donc le cas particulier des communautés du Moyen-Orient, où l'arménien n'est pas en position linguistique mineure, comme dans les autres pays de la diaspora. Le trilinguisme que l'on y rencontre la plupart du temps (arménien/arabe/anglais ou français) est encore bien différent ; enseignées oralement, souvent dès la maternelle, les trois langues sont ensuite présentées dans leur forme écrite, bien différenciées dès la maternelle, parfois avec leurs trois systèmes d'écriture.

Cette piste d'étude serait intéressante et enrichirait certainement nos connaissances sur la genèse de l'écrit et les conceptualisations enfantines afférentes. Au cours d'un voyage au Liban, nous avons eu l'occasion de réfléchir à cette question, en réalisant une courte étude avec deux enfants scolarisés en CP dans une école privée où le français leur était enseigné quotidiennement à mi-temps. Dans ce contexte socioculturel, les premiers résultats laissent à penser que les difficultés rencontrées sont comparables à celles observées avec les élèves arméniens de France.

Pour être tranchée, la question de l'influence du bilinguisme demande d'autres études longitudinales sur le développement langagier des enfants monolingues. Toutefois cela sera impossible pour la variante occidentale de l'arménien en tant que langue diasporique.

Même si ces propositions demeurent embryonnaires, elles pourraient favoriser le développement des compétences en lecture-écriture. Il reste donc à développer des expériences et des recherches pour savoir comment, jusqu'où et pour qui elles pourraient étayer cet enseignement relié à l'apprentissage, quels seraient les avantages mais aussi les écueils et les limites…

Le langage est à la fois un objet cognitif et social, point essentiel pour les perspectives didactiques et pédagogiques.

Si l'exercice requis pour l'apprentissage d'une langue étrangère ou ethnique paraît généralement si délicat, c'est qu'en sollicitant à la fois le rapport au savoir, le rapport à la langue et le support de la culture, les bases mêmes de la structuration psychique de l'élève sont éprouvées et, avec elles, l'instrument et la matière de cette structuration : le langage, la langue maternelle.

Toute tentative pour apprendre une autre langue vient déranger, interroger, modifier ce qui est inscrit en l'enfant avec les mots de la première.

La perspective constructiviste piagétienne offre un cadre théorique et méthodologique où l'entretien individuel permet de saisir la dynamique de la pensée enfantine, son activité conceptualisatrice et les procédures déployées pour écrire des mots.

Nous avons vu que, pour bien comprendre les opérations du sujet-scripteur sur la langue, il est nécessaire de prendre en compte l'enfant et son environnement culturel et social.

Cette dynamique permet à chaque élève de construire son parcours personnel de production et d'apprentissage.

En effet, nous avons montré, à travers cette recherche, que les savoirs s'élaborent selon des itinéraires individuels à partir de ruptures, d'anticipations et de réorganisations successives qui sont le contraire d'une progression linéaire à petits pas dont l'enseignant pourrait contrôler toutes les étapes et en déclencher mécaniquement le déroulement.

La production écrite est une activité cognitive complexe, qui aboutit presque toujours chez les apprenants à une surcharge cognitive. Elle implique essentiellement le développement de savoir-faire et non une accumulation de savoirs. Elle doit être appréhendée autrement que comme un simple savoir technico-scolaire soumis à un enseignement formel et systématique, que l'enfant serait amené à maîtriser au même moment que ses camarades. Il s'agit d'une activité de communication effective et d'une individualisation intégrée à des pratiques communautaires et sociales. Ceci semble plus difficile à réaliser pour l'écrit arménien, qui évolue dans un contexte socio-politique différent du français, et dont les fonctions sociales sont de moins en moins nombreuses.

A l'heure actuelle, où les Arméniens s'interrogent sur l'avenir de la langue arménienne occidentale, nous espérons que la réflexion engagée ici permettra de dégager quelques pistes qui pourront éventuellement contribuer aux recherches sur d'autres langues diasporiques.

R. Marienstras (1975, p. 83), note que les Sionistes interprètent le fait diasporique comme une situation pathologique. Il s'agit pour eux de l'alternative suivante : «Partir en Israël pour rester Juifs, ou s'assimiler».

Cependant pour cet auteur, la différence est que «dans la situation historique présente, le milieu d'origine d'un grand nombre de Juifs diasporiques est précisément celui où ils vivent […]. Ils ne se considèrent pas en exil. Leur situation véritable est celle de la dispersion acceptée, ou pour mieux dire, de la dispersion revendiquée».

Le parallèle avec la situation du peuple arménien en diaspora peut être effectué ; peuple au confluent de deux ou trois langues et cultures différentes, dans des civilisations où s'opposent culture dominante et culture dominée, langue privilégiée et langue déshéritée.

Cependant, quelle que soit l'importance de la préservation de l'identité de la culture, il existe une prise de conscience de plus en plus forte des individus, que les cultures sont en croisement et que le dialogue et l'interrelation s'imposent. C'est également l'optique de R. Marienstras (1975, p. 180), «qui fait de chaque culture un bien irremplaçable, et la participation à plusieurs cultures non pas une trahison, mais un enrichissement».

L'école, lieu privilégié d'épanouissement individuel, se doit de rendre réel l'accès à l'interculturalité. Etayant des ponts entre ethnies et cultures, elle peut être le lieu de survie, puis d'épanouissement d'une langue diasporique, maintenue en vie à travers une démarche psychogénétique et une didactique développée dans le respect des autres langues en présence, au profit d'une harmonie linguistique librement consentie.