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Avant-propos

Je suis né en 1962 dans une famille francophone. Mon grand-père était mandarin et il avait appris le français dans une école coloniale. Il l’utilisait dans son travail et après la Révolution en 1945, il est devenu professeur de français au Département de Français de l’Ecole Normale Supérieure des Langues Etrangères de Hanoi (aujourd’hui, c’est le Département de Langue et de Civilisation Françaises de l’Ecole Supérieure des Langues Etrangères à l’Université Nationale de Hanoi). Je n’oublierai jamais les matins où j’étais réveillé par mon grand-père et avant d’avoir la permission de prendre mon petit déjeuner, je devais lire à haute voix la conjugaison d’une dizaine de verbes que j’avais apprise par cœur la veille. Donc je peux dire que j’ai connu le français à l’âge de cinq ans. Ma mère a appris aussi cette langue de mon grand-père et elle était professeur de psychologie dans cette même école. Mon père était médecin, il parle aussi bien français. Maintenant ils sont en retraite et ils commencent à l’apprendre à mes enfants.

De 1969 à 1976, j’ai passé les années à l’école primaire et au collège sans apprendre une langue étrangère, car c’étaient les années de guerre. Mais j’apprenais toujours le français chez moi. Et heureusement, en 1977, j’ai réussi à passer le concours d’entrée à l’Ecole Annexe, spécialisée en langues étrangères, de l’Ecole Normale Supérieure des Langues Etrangères où j’ai suivi mes études secondaires tout en apprenant le français comme matière principale. J’ai continué mes années d’étudiant dans cette école supérieure et en 1984, je suis devenu professeur de français dans le département où mon grand-père avait enseigné.

Après treize années comme enseignant de français, en 1997, j’ai eu l’occasion de partir en France grâce à une bourse d’études du gouvernement français. Avant d’aller en France, je me suis dit que je n’aurais aucun problème de communication avec les Français. Mais à ma grande surprise, j’ai eu beaucoup de difficultés à communiquer avec eux : quand ils parlaient, je comprenais mal ce qu’ils disaient et quand je parlais ou écrivais, ils comprenaient mal mes idées. Souvent, leur façon de parler me choquait : par exemple, je ne comprenais pas pourquoi ils se remerciaient sans cesse même entre les intimes. Quand je m’intéressais à leur famille, à leur âge, etc. comme on le fait souvent au Vietnam, j’avais l’impression qu’ils étaient étonnés et même choqués par mes questions «rituelles». Je me suis dit : qu’est ce qui se passe avec un professeur de français, un enfant d’une famille francophone ? qu’est-ce qui me manque ? C’était la première fois que je mettais mon français en question. C’était aussi une de mes volontés de découverte en France.

Durant les années d’études en maîtrise et en DEA en sciences du langage à l’Université Lumière Lyon 2, j’ai découvert peu à peu qu’il y avait, en dehors de la langue avec ses règles de grammaire et son vocabulaire, des «styles communicatifs» propres aux cultures, que les variations culturelles pouvaient entraîner un certain nombre de malentendus en situation de communication interculturelle et qu’on pourrait éviter certains malentendus si on connaissait ces différences. Cette découverte m’a ouvert des perspectives de recherche très difficiles mais aussi très passionnantes : les interactions verbales dans une perspective interculturelle.

Comme la plupart des Vietnamiens, j’ai des difficultés à vivre avec mon salaire. Ma famille possède une petite pièce au rez-de-chaussée qui donne sur une rue animée. Nous avons décidé de la transformer en un petit magasin pour augmenter le revenu de la famille. En dehors des heures de cours, je travaille donc comme patron de ce petit magasin. C’était tout naturel que j’observe les techniques de vente des français, tout en espérant apprendre quelque chose de nouveau. J’ai constaté qu’il y avait beaucoup de différences dans l’organisation des transactions et donc des différences dans les interactions commerciales : en France, on se salue dans les magasins ; il n’y a pas de marchandage car les prix sont affichés ; les interactions se passent d’une façon plus simple et plus consensuelle, etc. Mon expérience de «commerçant» m’a permis de mieux interpréter les données non seulement du point de vue d’un linguiste mais aussi d’un vendeur.

Je travaille actuellement dans le Groupe de Recherches sur les Interactions Communicatives (GRIC) de L’Université Lumière Lyon 2. Ce groupe se compose de chercheurs et d’étudiants de différentes cultures. Cela me permet de bénéficier des entretiens et des échanges importants entre les membres du groupe pour avoir une bonne interprétation des données en français. Les interactions commerciales sont actuellement un des objets de recherche de ce groupe.

J’ai décidé de me lancer dans une étude comparative du fonctionnement des interactions dans les petits commerces en France et au Vietnam, car je pensais que je réunissais toutes les conditions nécessaires à une telle étude. Ce travail de recherche a été commencé en maîtrise et poursuivi en DEA. Cette thèse est le résultat du travail effectué durant mes années de séjour en France et entrecoupées de retours au Vietnam.

En rédigeant ce mémoire, je suis toujours conscient de la faiblesse de mon français et de mon style de présentation, peut-être plus vietnamien que français. Cela peut sans doute créer des difficultés, voire des malentendus, pour les lecteurs français, que je prie sincèrement de m’en excuser.