a) L'acquisition et l'extinction des servitudes.

A Lyon et en pays de droit écrit, une servitude peut être établie de trois façons bien différentes : par titre, par prescription ou par destination du père de famille.

La servitude acquise par titre est la plus courante. Le titre peut se présenter sous la forme d'un accord ou d'une convention entre deux propriétaires voisins ou encore d'un acte entre vifs, passé sous seing privé lors d'une vente ou d'une donation d'un fonds. Ce peut être aussi une disposition particulière énoncée sur un testament, précisant que l'un des voisins lègue à l'autre une de ses servitudes. Dans tous les cas, il s'agit d'un acte juridique et les parties peuvent toujours modifier une des clauses et en établir de nouvelles.

La servitude peut également être acquise par prescription c'est à dire sans titre, par la seule possession prolongée et non interrompue. Les modalités d'acquisition sont cependant très différentes selon les régions de France. Dans les pays coutumiers, tout est divergence et confusion. La Coutume de Paris, dans son article 186, prohibe entièrement l'acquisition des servitudes par la prescription, même pour une possession dite « immémoriale » c'est à dire centenaire. Par peur de l'usurpation, elle établit la règle « nulle servitude sans titre » ( 115 ). Guyot justifie cette position de la façon suivante : «  La familiarité qui subsiste entre voisins leur fait si souvent tolérer de choses....qu'il n'est pas étonnant....qu'on ait rejeté la prescription des servitudes » ( 116 ). D'autres coutumes, au contraire, admettent la prescription pour toutes les servitudes et cela sans aucune distinction : c'est le cas de la Coutume d'Artois ou de celle d'Auvergne. A Lyon, on adopte un système intermédiaire. Conformément au droit romain, on déclare seulement prescriptibles les servitudes dites « continues » c'est à dire celles qui, une fois établies, s'exercent de façon ininterrompue comme la servitude de ne pas bâtir, de conduite d'eau ou de vue. Elles s'acquièrent par une possession paisible de trente ans et c'est ainsi, par exemple, qu'une fenêtre construite à une distance insuffisante du fonds du voisin peut être conservée en l'état si, pendant trente ans, elle n'a donné lieu à aucune contestation. En revanche, son non-usage pendant une autre période de trente ans entraîne l'extinction de la servitude ( 117 ). Notons qu'à Lyon, une disposition particulière interdit de prescrire contre un bâtiment par crainte sans doute d'une appropriation abusive. Sont au contraire imprescriptibles les servitudes dites « discontinues » car elles ne sont pas susceptibles de possession permanente et « qu'elles ne paraissent que quand on les exerce »( 118 ). C'est le cas notamment des servitudes de passage, de puisage ou encore des eaux d'écoulement. Là, on veut éviter que l'entraide et la solidarité entre voisins ne se transforment en obligation pour le propriétaire et que cette gracieuse et révocable concession ne devienne pour lui une charge insupportable.

Le dernier mode d'établissement des servitudes est celui dit « par destination du père de famille ». Il se propose de résoudre le cas de deux propriétés voisines, appartenant à un seul propriétaire, et entre lesquelles s'établit un arrangement semblable à une servitude s'il s'agissait de deux propriétés appartenant à deux propriétaires différents. C'est le cas par exemple de l'ouverture d'une vue droite dans une première maison à une distance insuffisante d'une seconde maison. Lorsque ces deux fonds appartiennent à une même personne, la servitude, bien sûr, n'existe pas. Cependant, si le propriétaire décède et que l'une des propriétés est vendue, une disposition particulière est convenue qui fait naître, de fait, une servitude sans qu'il y ait ni titre ni prescription. La destination du père de famille se retrouve dans toutes les provinces françaises et équivaut à un titre. Seule, la Coutume de Paris, dans les articles 125 et 126 exige qu'elle soit manifestée par écrit pour être valable et valoir titre ( 119 ).

La propriété qui est assujettie à une servitude s'appelle le fonds servant et le propriétaire ne peut rien faire qui puisse empêcher son exercice même si elle diminue notablement l'usage de son bien. Le fonds qui bénéficie de la servitude s'appelle le fonds dominant : propriétaires, locataires ou usufruitiers sont tous en droit d'en profiter tandis qu'à l'inverse, ceux d'un fonds servant se doivent de la supporter. Les servitudes, à la façon d'un droit immobilier, se transmettent avec la propriété à la mort du propriétaire. Elles sont indivisibles, et, sur un fonds appartenant à plusieurs particuliers, aucune ne pourra être établie sans le consentement de tous les copropriétaires. Chacun d'entre eux, naturellement, aura un droit entier à l'exercice de la servitude laquelle ne pourra s'éteindre que d'un commun accord. Signalons enfin qu'une servitude ne peut être saisie ni hypothéquée séparément et qu'il est impossible de la détacher d'un fonds pour la reporter sur un autre.

Notes
115.

() Du Rousseaud de la Combe (G.), op. cit., V° Servitudes, p. 643-646. 

116.

() Cité par Patault (A.-M.), op. cit., p. 150.

117.

() Du Rousseaud de la Combe (G.), op.cit., ibid.

118.

() Dunod de Charnage (M.F.I.), Traité des prescriptions, de l’aliénation des biens d’église et des dixmes suivant les droits civil et canon, la jurisprudence du royaume, et les usages du comté de Bourgogne, Paris, 1765, 408 pages plus annexes (51 p. et 37 p.), p. 266.

119.

() Carbonnier (J.)., Droit civil, T. III, Les biens, P.U.F., 1992, 426 pages, p.290.