1.Le sens géographique du mot voisin.

Le dénombrement systématique, dans les archives judiciaires, du mot voisin – où qu’il se trouve dans la phrase et quelle que soit sa fonction grammaticale - autorise une approche sémantique destinée à mieux comprendre le sens que le terme recouvre chez les Lyonnais de la fin du siècle. Adjectif ou substantif, sujet, attribut ou complément, le vocable doit être repéré et ses différentes significations précisées. La première piste qu’on se propose d’explorer consiste à définir le mot voisin , dans son acception spatiale. A partir de quelle distance géographique, un voisin est-il reconnu comme tel ? Corrélativement, au-delà de quelle limite cette notion cesse-t-elle d’être pertinente ?

Tableau 1. La définition géographique du voisin. Etude de 1036 occurrences

Voisin désigne un homme ou une femme qui loge :

Nombre de mentions

-Sur le même palier

87

-Dans le même corps de logis

68

-A un autre étage mais dans la même maison

378

Total même maison

533

-Dans la même rue

314

-Dans une autre rue mais dans le même quartier

152

-Autre cas

37

Du relevé des occurrences figurant dans ce tableau, se dégagent plusieurs sortes d’informations.

En premier lieu, dans son acception la plus courante, le voisin désigne l’individu qui réside à proximité immédiate, c’est-à-dire dans le même immeuble (ou maison), qu’il soit domicilié – ou non – dans le même corps de logis (68 occurrences), au même étage ou sur le même palier (87 occurrences). Précisons d’ailleurs que dans ces deux derniers cas, le terme consacré est celui de « pré », « près » ou « proche » voisin, un terme officialisé par les autorités auquel se rattache un certain nombre d’obligations ( 175 ). Louise Damange, épouse Lait, se classe ainsi parmi les « proches » voisines de la fille Lafitte, « laquelle a son domicile dans la même maison et précisément juste à côté…. (du sien) » ( 176 ). Cas identique pour le dénommé Barrère qui loge « porte à porte avec….(les époux Royet) » ( 177 ).

La qualité de voisin est attribuée aussi, bien qu’à un degré moindre aux habitants d’une même rue ou d’une même place.  Pierre Quinet, maître pâtissier « a pour voisin le sieur Lance enjoliveur qui demeure la même rue….en face » ( 178 ). Jacques Vermare habite « place du Change…. vis à vis les époux Renaud, ses voisins » ( 179 ). On notera toutefois que, fort logiquement, dans les rues surpeuplées du centre ville ou dans les grandes artères, le voisin désigne rarement une personne domiciliée à plus de quelques bâtiments de distance. Ainsi, par exemple, le ménage Peyron, domicilié rue de la Poulaillerie, reconnaît avoir pour voisin « Antoine Goutelle logé deux maisons plus bas ». En revanche, il ignore l’existence de François Lacroix qui réside à quelques pas de là, « à l’angle de la rue du Bessard » ( 180 ). A l’inverse, dans les espaces moins denses ou parsemés d’hôtels particuliers, l’intervalle augmente et l’horizon du voisinage se fait moins rétréci.

Deux voisins, enfin, peuvent résider dans des rues qui portent des noms différents. Jacques Couterisan, sergent du guet, habite montée du Change. Il témoigne dans une affaire « en qualité de voisin du domicile des Guigonnand », lesquels résident rue Juiverie ( 181 ). Les époux Cheval, rue Pareille, évoquent « leur voisine….Geneviève Rousset » domiciliée rue Saint-Marcel ( 182 ). Dans tous les cas rencontrés, ou presque, il s’agit de personnes résidant dans un même quartier, à une relative proximité les unes des autres par conséquent, puisque les quartiers de Lyon, ceux de la presqu’île en tout cas, recouvrent des superficies assez restreintes ( 183 ).

Reste le cas de ceux qui se déclarent voisins alors qu’ils résident dans des quartiers différents. Ils sont peu nombreux et ne représentent que 3,6% du total. Cette particularité s’explique aisément. Le découpage urbain a pu séparer en deux pennonages différents un même îlot d’habitations ou encore, et surtout, la juxtaposition des quartiers rend certains immeubles contigus. La maison Cusset, par exemple, située rue de l’Enfant qui pisse (quartier de la Place Saint-Pierre) jouxte des demeures établies dans le quartier de la Pêcherie ( 184 ). Doit-on tenir compte de ces situations particulières au risque de brouiller la figure du voisin et de donner du voisinage une image incertaine ? Evidemment non. Par conséquent, ne seront pas pris en compte les individus issus de pennonages différents, le quartier marquant la limite au-delà de laquelle une petite partie seulement des habitants les reconnaissent comme voisins.

Après examen des archives judiciaires, il est donc possible de donner du voisin la définition suivante : dans son acception spatiale, le terme désigne un ou plusieurs individus qui résident dans la même maison, la même rue ou le même quartier. Si ladéfinition reste approximative et élastique – mais comment pourrait-elle être plus précise ?- elle a l’avantage de fixer un cadre cohérent et non équivoque. Aussi est-ce celle qui sera retenue pendant toute la conduite de cette étude

Notes
175.

( ) Cf. note (1) p. 111. De nombreux exemples montrent que le “près” ou le “proche” voisin est régulièrement sollicité pour servir de relais aux décisions de justice. Illustration : « En vertu d ‘un décret de prise de corps passé en la Sénéchaussée criminelle de Lyon le 24 mai dernier à l’encontre du sieur Durand, faute par ce dernier d’y avoir satisfait….nous nous sommes transportés au devant ….(du) domicile dudit Durand où étant….j’ai affiché copie….contre la porte de son domicile….et l’ai recommandé à un proche voisin » Arch. dép. Rhône, BP 3436, 17 février 1777.

176.

( ) Arch. dép. Rhône, BP 3454, 8 mars 1779.

177.

( ) Arch. dép. Rhône, BP 3454, 20 février 1779.

178.

( ) Arch. dép. Rhône, BP 3463, 30 avril 1780.

179.

( ) Arch. dép. Rhône, BP 3473, 12 août 1781.

180.

( ) Arch. dép. Rhône, BP 3508, 10 juillet 1786.

181.

( ) Arch. dép. Rhône, BP 3472, 11 juin 1781.

182.

( ) Arch. dép. Rhône, BP 3471, 3 avril 1781.

183.

( ) Le quartier de la Croisette, par exemple, situé au cœur de la presqu’île, couvre une superficie de 23000 m2 sur laquelle sont bâties cent six constructions.

184.

( ) Cottin (B.), op. cit., vol. 4, p . 75.