A. Esquisse d'une topographie urbaine et sociale.

Entre 1776 et 1790, les archives des tribunaux lyonnais conservent la trace de 4665 voisins - accusés, plaignants, témoins - domiciliés à l'intérieur de la ville. L'examen de leur adresse et de leur profession permet d'esquisser une véritable topographie socio-urbaine de la cité.

1. Les espaces de la ville

Les foyers dont l’échantillon renferme les adresses se répartissent de manière très inégale. Deux secteurs de la ville, aux limites bien définies se dégagent : ce sont la rive droite de la Saône, d’une part, la presqu’île d’autre part..

Graphique 1

En totalisant 19% des foyers, seulement, la rive droite de la Saône apparaît d'emblée comme la partie de la cité où le nombre de plaintes déposées est le moins important. 1324 plaignants, accusés et témoins y sont domiciliés alors qu'ils sont quatre fois plus nombreux à demeurer sur l'autre rive. Ce déséquilibre n'est pas le fait du hasard. Il renvoie au déclin du vieux noyau médiéval amorcé dès la fin du XVI° siècle. Le « côté Fourvière » s'est assoupi. Il ne constitue plus le secteur économique et social prééminent qu'il était encore à l'aube des Temps modernes et dont R. Gascon a mesuré l'opulence à partir des Nommées de 1545 ( 208 ). Si les abords de l'église Saint-Paul, de la cathédrale Saint-Jean, de la Loge du change restent, malgré tout des zones actives, le coeur de la ville, désormais, bat dans la presqu'île. Le centre des activités se situe entre les deux fleuves, là où l'entassement voisine les 1000 habitants à l'hectare ( 209 ). Cet essor se trouve d'ailleurs confirmé par l'expansion spatiale de la presqu'île et par la création de nouveaux îlots d'habitations : Saint-Clair, au nord des Terreaux, Perrache, au sud de Bellecour, en cours de réalisation à la fin du siècle.

D'autres éléments de la topographie urbaine se dégagent de l'examen des adresses des voisins. Ils concernent la géographie des quartiers et des rues.

Contrairement à la paroisse, le quartier constitue un espace aux dimensions restreintes ( 210 ). C'est pourquoi, avec la rue et l'immeuble, il est le seul cadre pertinent qui puisse être retenu pour qui mène une étude sur le voisinage. A la fin du siècle, Lyon intra-muros en compte 28. Huit sont échelonnés sur la rive droite de la Saône, vingt répartis entre les fleuves ( 211 ). Les quartiers (ou pennonages) de la presqu'île sont taillés de façon très irrégulière. Les plus petits sont localisés dans les zones fortement peuplées du centre. Les plus vastes, au contraire, coïncident avec les secteurs de moindre densité. Dans l'esprit des autorités, il s'agit en effet de répartir la population lyonnaise de manière à ce que chaque quartier - qui compose aussi une unité de milice - dispose d'effectifs suffisants pour monter la garde. C’est pourquoi le nombre et la délimitation des quartiers ont changé plusieurs fois au cours des siècles ( 212 ).

Pour mieux localiser les voisins, on s’aidera du plan de Clair Jacquemin (1747), sur lequel l’auteur a pris soin de tracer les 28 quartiers de la ville. Simplifié et réduit aux seules limites des pennonnages, il souligne le poids démographique des quartiers centraux, de dimension restreinte.

Carte 1. La répartition des voisins par quartiers.
Carte 1. La répartition des voisins par quartiers.

Si la carte souligne l'écrasante suprématie de la presqu'île, il met aussi en évidence l'existence de quatre grands ensembles qui regroupent la majorité des foyers. Ce sont, par ordre d'importance, les secteurs des Terreaux, de Saint-Nizier, des Cordeliers et des Jacobins.

Autour de la place des Terreaux se dessine un premier ensemble composé des quartiers Saint-Vincent, du Griffon, du Plâtre et des Terreaux. A eux seuls, ils représentent le quart des foyers de l'échantillon. Aux abords de l'église Saint-Nizier, ce « grand vaisseau » selon l'expression de Clapasson, les pennonages de la rue Tupin, de la Pêcherie, de la place Saint-Pierre forment un second groupe ( 213 ). Ils sont établis dans la paroisse la plus vaste de Lyon, là où la densité humaine atteint son maximum. Les quartiers de la Croisette, de la rue Neuve, de la rue Buisson, du Plat d'Argent et de Bonrencontre jouxtent l'église Saint-Nizier. Ils constituent un troisième ensemble, tourné surtout vers le Rhône et ses activités fluviales. Enfin, une dernière série de pennonages ceinture la place Confort dont on sait qu'elle est de forme triangulaire et marquée en son milieu par une pyramide. Ce sont le Port du Temple, Louis-le-Grand, l'Hôpital, la place Confort, la rue Thomassin, la rue Bellecordière. De taille inégale - le quartier Bellecour s'étend jusqu'à Ainay alors que celui de la rue Thomasin ne couvre que trois rues - ils réunissent près de 15% des adresses consignées dans les procédures.

Sur la rive droite de la Saône, du côté de Fourvière, quatre quartiers font preuve d'un certain dynamisme : Pierre-Scize et le Change, à proximité de l'église Saint-Paul, le Gourgillon et Saint-Georges, au sud de la cathédrale. Deux autres, au contraire, semblent être passablement engourdis : la Place Neuve et le port Saint-Paul. De tous les pennonages, ce sont les moins souvent cités par les plaignants, les accusés ou les témoins, comme lieu de résidence. Sans doute faut-il y voir les signes d'un authentique déclin alors que ces secteurs étaient forts actifs cent cinquante ans auparavant ( 214 ).

L'examen des adresses consignées dans les procédures permet d'aller plus avant et de dresser une véritable liste des rues de Lyon. Si l'on y ajoute les places, les quais et les culs de sac, ce sont les noms de 273 artères qui sont avancés. L'orthographe de certaines d'entre elles est parfois fantaisiste ( 215 ). D'autres peuvent recevoir plusieurs noms ( 216 ). Dans l'ensemble, les voies les plus souvent rapportées sont aussi les plus longues et traversent les quartiers fortement peuplés.

Tableau 4. Les principales artères de la cité lyonnaise. La presqu’île.

Nom des artères

Nombre de mentions

Rue Mercière

83

Rue Pêcherie

80

Rue Thomassin

75

Place Confort

72

Rue de l’Hôpital

71

Place des Terreaux

70

Place Neuve des Carmes

68

Rue Bourgchanin

65

Rue Poulaillerie

63

Rue Tupin

60

Rue Ferrandière

59

Rue Grenette

58

Rue Bât d’argent

58

Rue Mulet

55

Rue du Bessard

54

Rue de la Platière

53

Rue Palais Grillet

51

Montée de la Grande Côte

50

Quai Saint-Clair

49

Rue des Feuillants

48

Rue Royale

46

Rue Grolée

45

Rue Bouteille

43


Rue Terraille


42

Quai de Retz

41

Rue Luizerne

38
Le côté Fourvière.

Nom des artères

Nombre de mentions

Rue Puits-du-sel

90

Rue Saint-Jean

81

Rue Saint-Georges

75

Rue Juiverie

65

Rue de la Bombarde

46

Rue du Bœuf

44

Rue de Flandres

42

Portées sur une carte, ces informations sont plus explicites. Si l’on ne prend en compte que les artères dont le nom est mentionné cinquante fois, au moins, un véritable circuit s’esquisse qui serpente à travers les quartiers de la ville.

Carte 2. Les rues principales
Carte 2. Les rues principales

Dans la presqu'île, l'axe principal, emprunte la rue Bourgchanin, la rue de l'Hôpital puis rejoint la place Confort (ou des Jacobins). Il suit ensuite la rue Mercière, véritable « allée marchande » en dépit de son étroitesse ( 217 ). De là, l'itinéraire gagne la Saône. Il longe les quais de la rivière, chemine à travers la rue de la Pêcherie et achève sa course dans le quartier Saint-Vincent. A cet axe majeur, se greffent de nombreuses voies secondaires. Au sud de l'église Saint-Nizier, les rues Thomassin, Tupin, Ferrandière coupent la rue Mercière à angle droit. Au nord, les rues du Bessard et de la Platière se raccordent à la rue de la Pêcherie. Quant à la place des Terreaux et à celle des Carmes, elles s'ouvrent sur les quartiers neufs de la Grande- Côte et du Griffon que sillonnent la montée de la Grande Côte, le quai Saint-Clair, la rue des Feuillants, sans oublier la rue Royale que les urbanistes ont voulue large et aérée.

Du côté de Fourvière, les rues Saint-Georges, Saint-Jean, Juiverie et Puits-du-sel composent un second tracé. Elles relient la porte Saint-Georges et le quartier de Pierre-Scize avant de franchir la porte de Vaise et de gagner la Bourgogne. Cette artère, parallèle à la Saône, se rattache aussi aux quartiers centraux de la presqu'île grâce à cinq points de franchissement : le vieux pont de pierre bâti face à la place du Change et à Saint-Nizier, ainsi que quatre passerelles en bois et sur pilotis, les ponts d'Ainay, de l'Archevêché, Saint-Vincent et d'Halincourt ( 218 ).

L'examen des adresses permet de distinguer des espaces actifs et agités. Il révèle aussi un certain découpage social de la ville.

Notes
208.

() Gascon (R.), Grand commerce et vie urbaine au XVI° siècle. Lyon et ses marchands, Paris, 1971, 2 vol., 999 pages, vol. I, pp. 445-450.

209.

() Garden (M.), op. cit., p. 168.

210.

() A la veille de la Révolution, Lyon se divise en dix paroisses. La rive droite de la Saône en comprend 5 : Saint-Pierre-le-Vieux, Saint-Paul, Saint-Georges, Sainte-Croix, Fourvière. La presqu’île 5 autres : Saint-Nizier, Saint-Pierre, la Platière, Saint-Vincent, Ainay, cf. Garden (M.), op. cit., p. 27. Quelques pages plus tôt, p. 7, l’auteur donne la superficie de ces dix paroisses urbaines, de taille très différente, à partir d’un plan conservé aux A.M.L.: Saint-Georges 16 ha, Saint-Pierre-le Vieux, 5 ha, Sainte-Croix 27 ha, Saint-Paul 53 ha, Fourvière 9 ha, Saint-Martin d’Ainay 156 ha, Saint-Nizier 45 ha, Saint-Vincent 132 ha, Saint-Pierre 135 ha, Notre-Dame de la Platière 176ha. Sur l’histoire du diocèse de Lyon, consulter Gadille (J), Le diocèse de Lyon, Beauchesne, 1983, 350 pages.

211.

() Sur la rive droite de la Saône, on distingue du nord au sud les quartiers suivants : Pierre-Scize, le Port Saint-Paul, la Juiverie, le Change, la Place Neuve, Portefroc,  le Gourguillon et Saint-Georges. Dans la presqu’île : Saint-Vincent, la Grande-Côte , le Griffon, les Terreaux, la Pêcherie, la Place Saint-Pierre, le Plâtre, la rue Neuve, Saint-Nizier, la rue Tupin, la Croisette, la rue Buisson, la rue Thomassin, le Plat d’argent, la rue Confort, Bonrencontre, le Port du Temple, la rue de l’Hôpital, Bellecordière, Louis-le-Grand.

212.

() Zeller (O.), Les recensements lyonnais de 1597 à 1636, op. cit., pp. 72-79.

213.

() Clapasson (A.), op. cit., p.103.

214.

() Zeller (O.) in Bayard (F.) et Cayez (P.) (sld), op. cit., p. 186.

215.

() On lit par exemple : rue Langille, Genti, Lasnerie, Poularderie, Pallet Grillé etc....

216.

() La rue des Grosses Têtes est aussi appelée rue de l’Epine, la rue de la Poulaillerie rue Vaudran, la petite rue Longue rue Tête de mort, la rue Saint-Paul la rue Misère, la rue Romarin la rue de la Glacière. La rue du Bât d’argent, dans sa partie occidentale devient la rue du Pas-étroit et la rue Ferrandière la rue Portcharlet.

217.

() Maynard (L.), Dictionnaire des lyonnaiseries. Les hommes, le sol, les rues. Histoires et légendes, Lyon, Jean Honoré, 1982, 4 volumes, 385, 400, 399 et 368 pages, T.III, p. 130. Sur l’histoire des rues de Lyon, consulter Vanario (M.), Les rues de Lyon à travers les siècles (XIVème au XXème), Editions lyonnaises d’art et d’histoire, Lugd, 1990, 283 pages.

218.

() Pelletier (J.), Les ponts de Lyon, l’eau et les Lyonnais, Horvath, 1990, 207 pages, pp. 31-36.