2. Topographie urbaine.

A partir de la profession déclarée des plaignants, des accusés et des témoins, il est possible d'ébaucher une géographie sociale de la cité lyonnaise. Pour mieux appréhender les formes de ségrégation qui peuvent exister à l'échelon du quartier ou de la rue, il suffit de répartir, par grands secteurs d'activités, les 6967 hommes et femmes qui composent l'échantillon. La classification adoptée ici est celle que propose M. Garden dans sa thèse, Lyon et les Lyonnais au XVIIIème siècle ( 219 ). Elle partage la société lyonnaise en plusieurs groupes professionnels au sein desquels coexistent des métiers de nature très différente. De l'avis même de l'auteur, cette division est imparfaite car elle ne rend pas compte de l'extrême complexité des structures socio-économiques. Elle dissimule notamment tous ces groupes charnières, à cheval entre plusieurs catégories professionnelles et, donc, difficiles à répartir. Cette classification, néanmoins, a le mérite de présenter de façon commode et cohérente les grands ensembles catégoriels que renferme la ville. Six grands groupes sont ainsi proposés : les journaliers et les domestiques, les artisans, les membres des arts libéraux et les commis, les négociants et les marchands, les bourgeois et les nobles, les femmes, enfin, qui exercent une activité autonome.

Les journaliers et les domestiques - quelque peu sous-estimés dans l'échantillon - constituent un masse de travailleurs pauvres et sans qualification ( 220 ). Nés le plus souvent en dehors de Lyon, les deux tiers d'entre eux proviennent des provinces voisines du Lyonnais ou du Dauphiné ( 221 ). Beaucoup quittent leur village sans avoir appris le moindre métier et gagnent la cité dans l'espoir d'y trouver un travail. Les autorités municipales et les maîtres de métier témoignent à leur égard d'une certaine libéralité. Ils les laissent s'établir à Lyon sans trop de réticences. De fait, leur absence de spécialisation les empêche de rivaliser avec les artisans ou de les concurrencer. On les retrouve en différents endroits de la ville, occupés comme « manœuvres » sur les chantiers de Perrache ou comme ouvriers dans les manufactures textiles. D'autres s'engagent sur les ports ou à la douane pour décharger les bateaux et livrer des chargements dans les maisons bourgeoises de la ville : ce sont les affaneurs, nommés aussi crocheteurs ou, plus rarement, portefaix ( 222 ). Quelques-uns, enfin, se consacrent aux multiples petits métiers sans qualification et sans règlementation tels que le colportage, la revente de fruits et d'herbages, la coupe de bois, le transport en chaise ou encore la domesticité. Ensemble, ils composent le « menu peuple » et exercent une activité qui n'est pas un « art » dans la mesure où elle n'est sujette à aucun apprentissage. A ce titre, ils forment un groupe méprisé des autres classes populaires ( 223 ).

Le groupe des artisans comprend les membres des nombreuses communautés d'art et de métiers de la ville ( 224 ). On y trouve des travailleurs spécialisés qui ont subi de nombreuses années d'apprentissage avant d'exercer leur métier. Trois types d'activité arrivent largement en tête : la fabrique des étoffes de soie (elle totalise 38,3% des artisans selon M. Garden), l'habillement (15,7%), la chapellerie (8,6%). Puis viennent les métiers du bâtiment, de la chaussure, de l'alimentation, du travail du métal, de la tannerie, de l'orfèvrerie, de l'imprimerie etc...( 225 ). Au total, plus de 200 professions sont repertoriées qui relèvent du secteur artisanal. Ces activités, toutefois, ne connaissent pas toutes la même organisation. Les ouvriers en soie, par exemple, ou les fabricants de gaze travaillent à domicile et restent entièrement dépendants des marchands qui écoulent leur marchandise ( 226 ). Les chapeliers, les corroyeurs ou les teinturiers exercent au contraire dans des manufactures où cohabite, en moyenne une quarantaine d'ouvriers ( 227 ). Leur situation évoque plutôt l'ouvrier de l'ère industrielle que l'artisan d'Ancien Régime. Quant aux professionnels de l'alimentation, - les boulangers, pâtissiers, charcutiers, rôtisseurs - ils ont pour unité de travail leur boutique et disposent d'une main d'oeuvre avant tout familiale. Ainsi, le monde de l'artisanat lyonnais présente-t-il les visages les plus divers. La variété des statuts et du mode d'organisation des métiers lui ôte toute homogénéité véritable. Ce qu'il faut souligner quand on sait qu'il représente plus de 60% de la population active à la veille de la Révolution ( 228 ).

La catégorie des « professions libérales » forme, elle aussi, un ensemble hétérogène qui ne se rattache ni au monde de l'atelier ni à celui de la manufacture ou du grand commerce. Elle regroupe aussi bien les maîtres d'écoles, les artistes, les membres des professions médicales, les huissiers, les avocats, les employés qui travaillent au service d'un négociant....bref, toutes sortes de métiers extrêmement différents. Quatre groupes principaux peuvent être distingués. Les titulaires d'offices de judicature et les hommes de loi composent un premier ensemble. Ils sont entourés d'une foule de clercs et d'étudiants en droit qui attendent l'occasion d'acheter une charge. Les commis des négociants, les teneurs de livres et les dessinateurs en constituent un second. A noter que ces derniers sont indispensables à la bonne marche et au renom de la Fabrique des étoffes de soie. Les enseignants, les instituteurs, les comédiens et les musiciens forment une troisième catégorie au niveau de vie plutôt modeste. Enfin sont à classer parmi les activités libérales toutes celles qu'exerce le corps médical - les médecins et les chirurgiens notamment - Ces professionnels de la santé connaissent des situations très variables qui oscillent selon leur renommée et la qualité de leur clientèle.

Les marchands et les négociants constituent un milieu social disparate bien que globalement aisé. Les premiers comprennent les marchands-fabricants qui dominent la Fabrique ainsi que les membres des quatre corps marchands de la ville : les merciers, les drapiers les toiliers et les épiciers. Se désignent parfois aussi comme marchands, les colporteurs, les fruitiers, les herbagers ou les marchands de fromages qui déposent leurs étals le long des places ou des rues. Leur richesse, toutefois, reste très relative et s'apparente plutôt à celle des journaliers et des petits métiers non spécialisés qu'à celle des commerçants. La catégorie des négociants, quant à elle, n'est intégrée à aucune corporation. Lui est ordinairement adjointe celle des banquiers, les deux activités ne se trouvant jamais dissociées à l'époque moderne. Elle évolue en dehors des corps de métiers et compose un groupe puissant, influent et souvent fortuné. On connaît, par exemple, la richesse des frères Courajod, domiciliés dans le quartier Saint-Clair ou encore celle de Charles Sériziat, le plus important des marchands de blé du quai Saint-Vincent ( 229 ). Les travaux de M. Garden, toutefois, ont nuancé cette vision. Si la spéculation ou le profit permet de réaliser des fortunes considérables, la croissance économique reste fragile et personne n'est à l'abri d'un revers de fortune. D'autre part, la classe des marchands et des négociants comprend en son sein une foule de petits revendeurs dont les revenus demeurent bien incertains.

Par commodité, les bourgeois et les nobles sont regroupés dans une seule et même catégorie. Les premiers sont le plus souvent des hommes retirés des affaires, des négociants ou des officiers de justice, bourgeois par leur propriété et par leur « droit de bourgeoisie » qu'ils ont acquis en se faisant inscrire sur le registre des nommées. On notera chez eux l'existence de nombreuses femmes - des veuves surtout - qui vivent modestement dans leur maison bien que, parfois, elles disposent de revenus fonciers confortables ( 230 ). Si, en règle générale, la bourgeoisie vit dans une relative aisance, son niveau de fortune cependant semble bien faible comparé à celui des nobles. Ces derniers, pourtant, sont peu nombreux à Lyon. Anoblis depuis peu de temps grâce à l'exercice du Consulat ou à l'acquisition de certains offices, ils se distinguent par leur prospérité et leur niveau de vie. Deux tiers d'entre eux possèdent un hôtel particulier auquel s'ajoutent parfois des maisons de rapport. L'origine récente et souvent modeste des nobles n'a donc pas empêché l'ascension sociale de ce groupe très minoritaire qui possède, à la veille de la Révolution, des ressources considérables. Les Tolozan, d’Albon, Nicolas de Montribloud et consorts en sont l'illustration la plus éclatante.

Les métiers féminins tiennent une grande place dans la cité lyonnaise. Leur importance a été soulignée par les historiens pour qui ils représentent 11%, au moins, de la population active ( 231 ). Encore, ne sont comptabilisées ici que les femmes qui déclarent exercer une profession autonome, à l'exception, donc, de toutes celles qui travaillent en association avec leur époux dans les ateliers de fabrication ou derrière le comptoir d'une boutique. Certaines d'entre elles, venues des villages avoisinants, deviennent domestiques chez un particulier ou servantes dans une boutique. D'autres s'engagent dans la Fabrique pour préparer le travail des métiers ou aider au tissage : ce sont les tireuses de cordes, les plieuses, les ourdisseuses ou les dévideuses ( 232 ). D'autres encore travaillent pour les marchands de la ville, les négociants ou les tailleurs comme brodeuses, dentelières, couturières, blanchisseuses. Quelques unes enfin se font embaucher dans les manufactures textiles qui parsèment la ville ou dans les manufactures de chapeaux pour y effectuer des tâches difficiles. Elles s'activent aux côtés d’autres travailleurs masculins et exercent les métiers d'ouvrières cardeuses, de déjareuses ou de garnisseuses. Quel que soit le métier, le travail, commencé jeune, se poursuit souvent la vie entière ( 233 ). Célibataires, mariées ou veuves, les femmes interrompent rarement leur activité ( 234 ). La mort du mari, toutefois, peut avoir des conséquences dramatiques. Pour survivre, il leur faut parfois s'associer et travailler en chambre avec quelques compagnes d'infortune. A moins que la revente de fruits et de légumes ne leur permettent de subsister misérablement.

A partir de cette classification socioprofessionelle, il est possible d'esquisser la composition socioprofessionnelle des plaignants, des accusés et des témoins dont il est fait mention dans les archives judiciaires. Cette nomenclature nominative contient, on l’a dit, le nom de 4665 personnes parmi lesquelles 3276 déclarent exercer une activité, soit un Lyonnais sur 45.

Tableau 5. La composition socioprofessionnelle de l'échantillon. Etude de 3276 cas

Catégories professionnelles

% de la population salariée

Journaliers et domestiques

10%

Artisans

46,5%

Professions libérales

9,3%

Marchands-Négociants

14,6%

Nobles et Bourgeois

6%

Professions féminines

14,5%

Reste à savoir si la liste des voisins est représentative de l’ensemble de la population lyonnaise et susceptible d’être utilisée pour examiner la partition de la ville. A cet égard, la comparaison avec les chiffres avancés par M. Garden est éclairante car elle permet de confronter les résultats. Le dépouillemnt des 3 sections de la contribution mobilière à partir desquelles l’auteur dresse la composition socioprofessionnelle de la société lyonnaise (8252 personnes) se présente comme suit :

Tableau 6. La composition socioprofessionnelle de la société lyonnaise d’après M. Garden.

Catégories professionnelles

% de la population salariée

Journaliers et domestiques

16,1%

Artisans

43,6%

Professions libérales

5%

Marchands-Négociants

7,8%

Nobles et Bourgeois

15,8%

Professions féminines

11,7%

Les écarts les plus significatifs concernent les journaliers, les négociants les nobles et les bourgeois. Entre les autres catégories socioprofessionnelles, les pourcentages diffèrent assez peu. Plusieurs explications sont possibles pour rendre compte de ces variations. Tout d’abord, les souces à partir desquelles est établie la liste des voisins – les archives criminelles – sont évidemment biaisées : comme chacun ne se porte pas en justice, l’échantillon reflète donc imparfaitement la société lyonnaise. En second lieu, le recours aux tribunaux est loin d’être une pratique unanime et systématique. Les jounaliers préfèrent souvent s’adresser à un tiers pour trouver un accommodement. Ils éviteront ainsi d’engager un procès qui peut se révéler long et coûteux ( 235 ). A l’inverse, les négociants et les marchands saisissent volontiers la justice quand il s’agit de laver leur honneur bafoué. Leur réputation en effet ne compose-t-elle pas le fondement même de leur réusite ( 236 ) ? Quant aux nobles et aux bourgeois, leur sous-représentation dans les archives criminelles sont un phénomène bien connu que les historiens ont souvent souligné ( 237 ). Ces réserves étant faites , la liste des voisins présente un éventail suffisamment vaste de la société lyonnaise pour pouvoir mettre en lumière les continuités et les discontinuités de la topographie urbaine. Il est donc loisible d’esquisser la composition sociologique des 28 quartiers de la ville.

Tableau 7. La composition sociologique des quartiers en % de la population classée par grandes catégories socioprofessionnelle.
Le côté de Fourvière
Les quartiers Journ. Artisans
Prof.
Libérales
Négts-
Mds
Nobles
Bourg.
Prof Fém.

Rue Juiverie

4%

48%

8%



11%

7%

22%

Place
Neuve

8%

31%

32%

10%

6%

13%

Pierre-Scize

9%

62%

4%

8%

2%

15%

Le Change

13%

42%

11%

19%

4%

11%

Le Gourguillon


6%


28%


18%


27%


4%


17%

Portefroc

12%

31%

9%

22%

6%

14%

Saint-Georges

6%

58%

9%

10%

1%

16%

Saint-Paul

40%

35%

4%

3%

1%

17%
La presqu’île. Etude de 3276 cas

Les quartiers

Journaliers

Artisans

Prof. libérales

Négts-Mds

Bourgeois nobles

Prof. Féminines

Bonrencontre

10%

49%

13%

6%

1%

21%

Rue de l’Hôpital

12%

58%

4%

3%

1%

22%

Rue Neuve

8%

38%

13%

17%

2%

22%

Plat d’argent

11%

55%

5%

17%

1%

11%

Louis-Le-Grand

12%

38%

6%

11%

17%

6%

Rue Thomassin

19%

40%

7%

4%

1%

29%

Saint-Nizier

7%

39%

9%

22%

5%

18%

Terreaux

12%

41%

8%

11%

12%

16%

Griffon

9%

19%

11%

34%

11%

16%

Place Saint-Pierre

8%

48%

7%

11%

5%

21%

La Pêcherie

18%

43%

6%

4%

1%

28%

Rue Buisson

7%

55%

10%

6%

3%

19%

La Croisette

8%

42%

15%

21%

%

12%

Rue Tupin

6%

39%

12%

20%

2%

21%

Quai Saint-Vincent

23%

38%

5%

16%

2%

16%

Grande-Côte

13%

39%

14%

11%

5%

18%

Bellecordière

23%

39%

6%

17%

2%

13%

Place Confort

17%

48%

4%

13%

1%

17%

Port du Temple

13%

42%

9%

12%

4%

20%

Le Plâtre

7%

43%

6%

18%

5%

21%

Avant tout, l'impression qui domine en examinant ces chiffres est celle d'un milieu urbain fortement différencié. Les six catégories socioprofessionnelles en effet sont présentes et dispersées dans tous les secteurs de la ville. Globalement, les quartiers apparaissent comme des unités territoriales socialement composites, ce qui n'exclut pas cependant l’existence de pennonages plus typés socialement. Le recours à la carte permet de mettre en valeur les singularités du découpage urbain.

Carte 3. La localisation des journaliers.
Carte 3. La localisation des journaliers.
Carte 4. La localisation des artisans.
Carte 4. La localisation des artisans.
Carte 5. La localisation des professions libérales.
Carte 5. La localisation des professions libérales.
Carte 6. La localisation des négociants et des marchands.
Carte 6. La localisation des négociants et des marchands.
Carte 7. La localisation des nobles et des bourgeois.
Carte 7. La localisation des nobles et des bourgeois.
Carte 8. La localisation des professions féminines.
Carte 8. La localisation des professions féminines.

En examinant ces cartes, on constate le regroupement de quelques groupes professionnels dans certains quartiers. Ainsi Saint-Vincent abrite-t-il 23% de journaliers, le Port Saint-Paul 40% - des colporteurs ou des gens des rivières en règle générale qui travaillent sur les berges de la Saône – Bellecordière 23%. Les quartiers qui bordent le Rhône – la rue de l’Hôpital, Bonrencontre, Rue Neuve, le Plâtre - mais aussi ceux qui longent la Saône – le Port du Temple, rue Tupin, la Pêcherie – logent plus de 20% de femmes salariées, souvent des veuves ou des célibataires peu fortunées. Pierre-Scize compte 62% d’artisans – des ouvriers en soie pour la plupart – Saint-Georges et la rue de l’Hôpital 58%, le Plat d’argent 55% ( 238 ). La Place Neuve concentre, à elle seule, 32% de voisins exerçant une activité libérale. Quant au Griffon, il connaît une forte concentration de marchands ou de négociants (34%), nombreux à venir s'installer dans cet espace résidentiel.

A côté de ces pennonages marqués par la présence de quelques catégories socioprofesssionelles, il en existe d’autres, beaucoup plus disparates, où règne une certaine forme « d’interclassisme ». A la Grande-Côte, dans les quartiers de la rue Neuve et du Change, à Saint-Nizier et aux Terreaux, par exemple, se côtoie une population bigarrée qui exerce les activités les plus diverses : ouvriers de la soie, de la passementerie, de la futainerie, domestiques, garde-malades, lavandières, cordonniers, lingères, teneurs de livres, architectes, perruquiers, travailleurs du bâtiment, chirurgiens, marchands, bourgeois….tous partagent le même horizon géographique. La société des voisins apparaît ici comme un véritable creuset où se regroupent des individus au profil très différent.

Sans doute, la taille des quartiers - souvent toute relative d'ailleurs - renforce-t-elle ce sentiment d'hétérogénéité. De fait, à l'échelon de la rue, se manifeste parfois une plus grande unité socioprofessionnelle, comme le montrent les exemples ci-dessous.

Tableau 8. La composition socioprofessionnelle de quelques rues lyonnaises. La rive droite de la Saône.

Les rues

Journaliers

Artisans

Prof. Libérales

Négts-Mds

Bourgeois Nobles

Prof. féminines

R. Saint-Jean

6%

32%

13%

36%

5%

8%

R. Saint-Georges

8%

66%

9%

4%

1%

12%

Pl. Neuve

4%

12%

65%

9%

4%

6%

R. du Bœuf

3%

9%

62%

10%

7%

9%

R. Juiverie

7%

32%

10%

6%

23%

12%

R. de Flandres

32%

46%

4%

5%

1%

12%
La presqu’île.

Les rues

Journaliers

Artisans

Prof. Libérales

Négts-Mds

Bourgeois Nobles

Prof. Féminines

Pl. Bellecour

10%

13%

12%

14%

43%

8%

R. Paradis

12%

71%

5%

4%

0%

8%

R.de la Gerbe

8%

63%

9%

8%

2%

10%

R. Thomassin

9%

62%

3%

10%

1%

15%

R. Grolée

10%

60%

11%

4%

2%

13%

Mtée Gde-Côte

17%

51%

5%

14%

1%

12%

R. Pêcherie

14%

56%

4%

7%

1%

18%

Q. Saint-Clair

4%

12%

14%

58%

6%

6%

Sur la rive gauche de la Saône, la rue Saint-Jean comprend 36% de marchands aux spécialités les plus diverses. On y rencontre aussi bien des herboristes, des épiciers, des vinaigriers que des merciers ou des armuriers. Plus au sud, la rue Saint-Georges accueille 66% d'artisans dont une majorité de fabricants en étoffes de soie. La place Neuve et la rue du Boeuf, sises l'une et l'autre dans le quartier Sainte-Croix, sont peuplées d’individus dont la profession relève, trois fois sur quatre, des arts libéraux ou de l'administration : là demeurent beaucoup d'hommes de loi, d'avocats, de procureurs, d'huissiers, de greffiers ou encore d'officiers royaux. La rue Juiverie est surtout marquée par la présence d'une puissante bourgeoisie, anciennement implantée dans ce qui fut une véritable artère « italienne » ( 239 ). Enfin, rue de Flandres près du Change, 32% des résidents sont des journaliers qui exercent sur les ports ou sur la rivière.

Entre le Rhône et la Saône, la place Bellecour - haut lieu de l'aristocratie et de la fortune - compte 45% de bourgeois et de nobles. Les affaneurs peuplent plutôt les maisons qui bordent la rue de la Charité ou les quais du Rhône. Assez populaire, la paroisse Saint-Nizier comprend surtout des artisans : ainsi en est-il des rues Paradis (71% des foyers), de la Gerbe (63%), Thomassin (62%), Grolée (60%). On retrouve également une forte implantation artisanale - des ouvriers du textile surtout - aux abords des Terreaux, montée de la Grande-Côte (51%), par exemple, ou encore rue de la Pêcherie (56%). Quant aux négociants, ils peuplent à 58% le quai Saint-Clair, une artère nouvellement érigée par Soufflot où la valeur des maisons est élevée ( 240 ).

A partir de ces quelques exemples cependant, il serait hasardeux de conclure à un espace urbain socialement cloisonné. Certes, il existe bien quelques activités professionnelles concentrées dans certains secteurs de la ville : les bouchers, par exemple, se regroupent autour des boucheries Saint-Georges, Saint-Paul, des Terreaux ou de l'Hôtel-Dieu, les meuniers, les teinturiers, les affaneurs résident plutôt aux abords des fleuves, sur la Saône, à Saint-Clair ou à la Quarantaine, les ouvriers en soie peuplent la rive droite de la Saône, Saint-Nizier ou la Grande Côte. A l'échelon de la ville, on constate aussi une opposition grandissante entre les deux rives de la Saône. Du côté de Fourvière, les berges de la rivière abritent souvent de vieilles maisons décrépies comme le montrent certaines gravures ( 241 ). A l'inverse, des habitations beaucoup plus cossues longent le Rhône (le quai de Retz), jouxtent l'Hôtel de Ville ou la place Bellecour. Des quartiers se paupérisent (Saint-Georges, rue Thomassin, la Pêcherie, Saint-Vincent, Place Confort, Port Saint-Paul) tandis que d’autres sont en plein essor (les Terreaux, le Griffon, Bellecour). Toutefois, en dépit de ces contrastes, les quartiers comme les rues ne sont jamais tout à fait homogènes. Ils abritent toujours une population hétéroclite, occupée aux métiers les plus divers. Le quartier Louis-le Grand, par exemple, comprend 12% de travailleurs non qualifiés. Saint-Vincent, un des secteurs les plus populaires de la ville, accueille 13% de marchands et de négociants. La Grande-Côte loge 5% de nobles ou de bourgeois mais aussi 18% de femmes salariées. Même quand une branche d'activité domine une zone urbaine, la variété des productions, des statuts et des conditions confèrent au lieu une hétérogénéité certaine. Sans nier l'existence d'une certaine forme de ségrégation horizontale, l'examen des adresses conduit donc à nuancer la vision qui voudrait que s'opposent strictement des quartiers « riches » et des quartiers « pauvres ». La situation la plus courante, semble-t-il, au sein d’un même pennonage, reste celle d’une juxtaposition de maisons ou d’îlots d’habitations à la valeur et au peuplement très contrastés. M. Garden a souligné cette hétérogénéité dans l’analyse qu’il fait de la section nord-est de la ville en 1791. Cet espace qui correspond en gros à la paroisse Saint-Pierre Saint-Saturnin, au nord de la presqu’île, associe des résidences nouvelles sur le quai Saint-Clair et des îlots plus anciens, sur les pentes de la Croix Rousse, vétustes et malodorants ( 242 ). A l’instar de cette partie de la ville, de nombreux secteurs connaissent une ségrégation géographique qui procède par « petites touches » et qui se développe en liaison avec la construction de quartiers neufs ou résidentiels. Plus généralement, la restructuration urbaine et la promotion immobilière renforcent la divison sociale d’un espace dont le visage reste cependant fortement contasté.

Ces discontinuités se retrouvent aussi à l'intérieur des immeubles et renvoient à des « manières d'habiter » très diverses.

Notes
219.

() Garden (M.)., op.cit., p. 198.

220.

() Voir les remarques p. 146.

221.

() Garden (M.), op. cit., p.166

222.

() Rossiaud (J.), « L’affaneur rhodanien et lyonnais au XVème siècle, essai de définition d’un groupe socio-professionnel », Mélanges d’histoire lyonnaise, 1990, pp. 377-406.

223.

() Garden (M.), op. cit., p. 233.

224.

() A Lyon, on dénombre 72 communautés d'art et de métiers jusqu'à la réforme de Turgot en 1776. Après son échec, 41 d'entre elles sont rétablies. Sur ce thème, voir Kaplan (S.), La fin des corporations, Fayard, 2001, 740 pages.

225.

() Garden (M.), op. cit., p. 318.

226.

() Godart (J.), L’ouvrier en soie. Monographie du tisseur lyonnais. Etude historique, économique et sociale, E. Nicols, 1899, III-542 pages.

227.

() Bayard (F.), Vivre à Lyon sous Ancien Régime, op. cit., p.156.

228.

() Garden (M.), op. cit., p. 315.

229.

() Trénard (L.), La Révolution française dans la région Rhône-Alpes, op. cit. p.75.

230.

() Garden (M.), op. cit., p. 204.

231.

() Garden (M.), op. cit., p. 200.

232.

() Budin (J.-F.), Les métiers féminins de la soie à Lyon aux XVIIème et XVIIIIème siècles, mémoire de maîtrise, sous la direction de F. Bayard, 2000, 2 volumes, 109 et 65 pages, Centre Pierre Léon.

233.

() Garden (M.), op. cit., p. 200.

234.

() Ibid.

235.

() Cf deuxième partie, chapitre 3, A.

236.

() Cf  troisième partie, chapitre 1, A, 1.

237.

() Ainsi par exemple Castan (N.) in Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, Flammarion, 1980, 313 pages, pp. 288-290.

238.

() La part des artisans dans la société lyonnaise a été régulièrement soulignée par les historiens de la ville. Dans l’échantillon ci-dessus, leur pourcentage oscille entre 38 et 62 %. Seul le quartier du Griffon en coomprend moins de 20 % ( 19 %).

239.

() Zeller (O.) in Bayard (F.) et Cayez (P.) (sld), op. cit., p. 186.

240.

() Garden (M.), op. cit., p. 17.

241.

() Ainsi, par exemple, cette gravure de J.-J. de Boissieu reproduite in Perez (M.-F.), L’œuvre de Jean-Jacques de Boissieu, 1736-1810, Genève, 1994, 399 pages, p. 317, où l’on voit, sur la rive droite de la Saône, une suite ininterrompue de vieilles masures qui viennent toucher l’eau.

242.

() Garden (M.), op. cit., pp. 204-210.