2. La durée d’occupation des logements.

La durée du séjour des Lyonnais se présente de la façon suivante :

Graphique 2.
Graphique 2.

Le graphique ci-dessus présente une image contrastée de l'occupation des maisons lyonnaises. Des gens installés, stabilisés par plus de 3 années de résidence dans un logement (57%) côtoient des locataires éphémères (17%), domiciliés quelques mois sous une soupente avant d'emménager ailleurs. Le quart restant est composé d'habitants qui ont séjourné moins de 3 ans dans leur appartement. Bien entendu, tous ces chiffres recouvrent des situations particulières très différentes. Déménager d'un appartement peut s'expliquer par la naissance d'un enfant, le changement d'employeur, l'ascension ou la dégringolade dans l'échelle sociale, la mort du conjoint ou l'acquisition d'un nouveau métier pour les ouvriers en soie. Au-delà de ces raisons personnelles cependant, s'esquissent des attitudes caractéristiques, propres aux différentes catégories socioprofessionnelles de la société lyonnaise.

Graphique 3. La durée du séjour dans un appartement selon les catégories socioprofessionnelles. Etude de 136 cas.
Graphique 3. La durée du séjour dans un appartement selon les catégories socioprofessionnelles. Etude de 136 cas.

Ces graphiques mettent en évidence la coupure qui existe dans la société lyonnaise entre membres des métiers sans spécialisation et des métiers féminins d'une part, et membres des professions reconnues et respectées dans la ville d'autre part. Les premiers regroupent les journaliers, tels qu'on les a définis précédemment, et les femmes célibataires. Ils se caractérisent par une instabilité récurrente doublée d'une grande dépendance économique. Les seconds réunissent les artisans, les négociants, les marchands, les nobles ou les bourgeois. Ils composent un groupe beaucoup moins mobile que le précédent parce qu'ils exercent une profession régulière et bénéficient d'une situation financière généralement plus confortable. Cette vue d'ensemble doit être précisée par l'examen systématique de chacune des catégories socioprofessionnelles.

De tous les travailleurs, les journaliers et les domestiques sont les plus instables : 32% d'entre eux séjournent moins de 1 an dans un appartement et 27% s'y installent pour une période n'excédant pas 3 ans. Autrement dit, plus de la moitié de ce « menu peuple » change régulièrement de foyer, victime, d'abord, de son déclassement professionnel. Ces chiffres, certes, ne doivent pas être pris au pied de la lettre. Ils sont sans doute gonflés par la nature de l'échantillon qui majore la pauvreté et la précarité populaires. Néanmoins, ils expriment assez bien la réalité d'un petit peuple mouvant et insaisissable, qui déménage au gré des difficultés conjoncturelles et des embauches saisonnières. Si, de toutes les catégories socioprofessionnelles, les journaliers sont les plus mobiles, c'est parce qu'ils sont les moins qualifiés. Louis Berton, domestique chez le Sieur Dussaussoy est originaire de Suisse. Il « est né dans la vallée de Luzerne….a été domestique et facteur de magasin pendant 7 à 8 mois chez le Sieur Henri, marchand fabricant en indiennerie….affaneur sur le port de la Feuillée....domestique encore....commissionnaire....puis....écrivain public » ( 317 ). Le passage d'un métier à un autre est fréquent et se double souvent d'un changement de domicile. Les fonctions d'ailleurs restent imprécises et les termes employés pour les qualifier ambigus. Les journaliers, par exemple, peuvent désigner des ouvriers employés dans les travaux de terrassement ou de gros-oeuvre. Ce sont alors des sortes de manoeuvres payés à la journée et logés en chambres garnies ( 318 ). Les hommes de peine sont parfois regardés comme des domestiques à l'image de Jean Judacier, un affaneur, que les habitants d'un immeuble de la place du Vieux Gouvernement assimilent au « domestique de la maison » ( 319 ). L'imprécision des termes est révélatrice. Elle montre que contrairement à l'apprenti, le travailleur non qualifié ne peut espérer s'intégrer par son travail aux différents corps constitués de la ville. La recherche permanente de nouveaux employeurs lui interdit de trouver dans sa profession l'assurance de revenus réguliers et le condamne à une instabilité chronique. C'est que la concurrence est rude et le travail trop incertain pour pouvoir s'installer durablement dans un appartement. La situation la plus courante voit se succéder les déménagements. Les voituriers, les charretiers et les mariniers dépendent entièrement de ceux qui leur fournissent du travail et sont souvent en instance de départ pour des missions plus ou moins lointaines. Jean Lacombe, charretier pour la conduite des coches et diligences de Savoie loge par intermittence chez un cabaretier petite rue des Feuillants. Il « ....couche dans une soupente placée dans une chambre au premier étage qui prend son entrée par le cabaret ....mais (il) reste de longs mois absents » ( 320 ). Les scieurs de long s'enrôlent chez des charpentiers ou chez les bourgeois et sillonnent la ville en quête d'un emploi éphémère. Les domestiques, qui sont presque toujours des forains, cherchent à se placer dans les maisons lyonnaises. Les plus pauvres d'entre eux deviennent serviteurs d'un maître de métier, garçon d'écurie ou homme à tout faire chez un cabaretier. On les retrouve souvent ballotés d'un employeur à un autre, sans garantie aucune, et astreints aux tâches les plus rebutantes. Rares sont ceux qui disposent d'un logement indépendant à l'instar de Jean Carmaux, un homme de 43 ans : « ....domestique au service de la dame Buner marchande de poissons; ayant néanmoins son domicile rue Juiverie » ( 321 ). Ce type de situation reste exceptionnel. Les domestiques dans leur immense majorité logent chez leur maître auquel ils demeurent entièrement subordonnés. Dans les maisons cossues, le sort de la domesticité ne paraît guère plus enviable. Si le personnel semble généralement mieux traité et surtout mieux nourri, il est en proie, lui aussi, à une instabilité récurrente. L'irrégularité ou le non-paiement des gages, notamment, déclenche la colère de ces hommes et occasionne de nombreux départs. « ....son maitre, explique Louis Narbonne domestique chez un marchand farinier, ne voulut pas lui payer le prix de la journée le jour qu'il le renvoya....Se voyant lui même insulté de la part dudit (maître) il le traita à la vérité d'ivrogne et de mâtin » ( 322 ). Les difficiles conditions d'existence et le mépris dont la profession est entourée explique que l'immense majorité des domestiques soit d'origine rurale et que la fonction attire très peu de Lyonnais de souche.

Globalement, les travailleurs non qualifiés résistent mal aux soubresauts conjoncturels. En cas de nécessité, ils ne disposent d'aucune avance pécuniaire qui puisse les mettre à l'abri du besoin. Le chômage ou la maladie débouche vite sur le dénuement le plus extrême et c'est pourquoi ils sont perçus comme un véritable fléau. « ....il est natif, rapporte Fleury Dupré 27 ans, de Saint Christophe en Jarest....et ne sait pas lire. Il était ci-devant domestique mais est actuellement sans profession et loge depuis environ 2 mois en chambre garnie chez la dame veuve Fillon. Il lui doit 54 livres et 12 sols....et ne peut payer le montant du compte ni donner caution ou représenter des effets saisissables » ( 323 ). Parfois la pauvreté est telle qu'elle entraîne la dislocation des ménages. Les conjoints se séparent et, chacun de leur côté, s'efforcent de survivre, au hasard des places et des propositions de travail. Magdeleine Page a épousé un journalier; « ....elle a dû se séparer de biens d'avec le Sieur Gonin son mari, cuisinier, car leur peu de fortune ne leur permit pas de demeurer ensemble....(elle) s'est retirée dans une chambre où elle travaille de ses mains pour vivre et son mari se mit cuisinier chez des traiteurs ». Après quelques semaines passées au service d'un aubergiste du quai Saint-Vincent, l'époux Gonin se retrouve sans travail. De désespoir, il se donne la mort : « il connaissait depuis longtemps, dépose un témoin, le Sieur Gonin pour avoir servi en tant que cuisinier dans différentes maisons bourgeoises de la ville....le défunt disait que s'il ne trouvait du travail pour subsister, il se détruirait » ( 324 ).Toutes les issues, bien sûr, ne sont pas aussi dramatiques. Pourtant, le taux de suicide des travailleurs non qualifiés semble singulièrement élevé au cours des années qui précèdent la Révolution : sur 44 suicides consignés dans les archives criminelles, 47 % émanent de cette catégorie socioprofessionnelle. A travers ce chiffre, s'exprime toute la difficulté à vivre du petit peuple lyonnais, touché de plein fouet quand survient une dépression économique ( 325 ).

Pour corriger ce tableau un peu trop noir, il convient d'ajouter que, si la mobilité géographique et la précarité économique restent le lot de la plupart des journaliers, une partie de ces travailleurs parvient cependant à se fixer plus durablement dans un immeuble ou dans un quartier. 59% d'entre eux séjournent moins de 4 ans dans un appartement mais 40% y restent plus longtemps. Un bon tiers parvient donc à « s'installer » ce qui montre qu'au sein du monde des journaliers, il existe une certaine hiérarchie. Les plus stables semblent être les jardiniers. La faiblesse de l'échantillon mais surtout les limites géographiques qu'on s'est fixées dans cette étude (la cité intra-muros) interdisent d'en savoir beaucoup plus sur ce groupe de travailleurs, domicilié principalement dans les faubourgs. Des 3 jardiniers recensés ici, tous demeurent dans le quartier des Chartreux. Le premier d'entre eux, le sieur Bergeon, porte plainte contre son propriétaire qui refuse de renouveler le bail d'un appartement qu'il a occupé « pendant 5 ans » précise-t-il. Les deux autres sont ses voisins et demeurent depuis plus de 10 ans dans le quartier ( 326 ). Ce séjour prolongé des jardiniers, s'il contraste avec la mobilité des autres journaliers, n'étonne guère. Ceux-là, en effet, constituent un groupe à part, assez fermé et homogène comme l'a souligné M. Garden ( 327 ). Ils forment l'élite du petit peuple et possède, en général, quelques biens. Leur stabilité cependant reste une exception ( 328 ).

Dans le groupe des femmes qui exercent une activité salariée autonome, on dénombre principalement des filles célibataires et des veuves, logées chez l’employeur ou disposant d’un logement indépendant. Sur les 43 femmes recensées ici, 22% d'entre elles quittent leur domicile moins de 1 an après leur installation, 33% y séjournent de 1 à 3 ans, 43%, enfin, s'y installent plus de 3 ans. Ces chiffres témoignent globalement d'une grande instabilité et rappellent, par bien des aspects, la situation observée chez les journaliers. Ils renvoient aussi à des réalités assez différentes selon le type d'activité exercé.

De toutes les femmes, les domestiques sont les plus mobiles. 32% d'entre elles demeurent moins de 1 an chez leur maître et 63% ne franchissent pas le seuil des 3 ans. La nature même de la profession et la mauvaise image de marque qu'elle draine explique en partie cette instabilité( 329 ). Les contrats de mariage analysés par M. Garden montrent que la plupart de ces domestiques viennent de la campagne et plus particulièrement des trois provinces du Lyonnais, du Dauphiné et du Bugey ( 330 ). Ces jeunes filles arrivent en ville et se placent comme domestiques dans les maisons nobles ou bourgeoises ou, plus modestement, comme servantes ou filles de boutique chez les artisans. Certaines d’entre elles travaillent aussi dans les ateliers de soierie ( 331 ). Logées chez l'employeur, elles ne disposent d'aucune autonomie. Leur condition d'existence est précaire et la dépendance vis à vis du maître totale. Devant l'afflux de main-d'oeuvre, certains employeurs témoignent d'une grande sévérité. Parfois, les archives judiciaires évoquent le sort de ces pauvres filles, remerciées sans aucun ménagement et renvoyées à la rue du jour au lendemain. A cet égard, le cas de Marie Brudel est exemplaire. Cette jeune servante a été placée chez la femme d'un riche négociant, Jacques Antoine Guichard. Accusée d'avoir égaré ou subtilisé deux paires de bas et quelques mauvais chiffons, elle est aussitôt congédiée. Auparavant, sa maîtresse l'a brutalisée avec tant de force que « depuis ce temps ....(la domestique) est au lit....et sur le point ....(d'être) envoyée à l'hôpital » ( 332 ). L'instabilité des filles domestiques ne provient pas seulement de l'arbitraire auquel elles sont habituellement soumises. Elle trouve aussi son explication dans le fait que cette condition reste une activité temporaire, propre aux célibataires. Un calcul effectué à partir des dépositions de témoins révèlent que l'âge moyen de celles-ci s'établit à 23,8 ans. 72% d'entre elles ont moins de 26 ans dont 44% moins de 21 ans. Seules 16% de ces filles célibataires dépassent la trentaine et vieillissent au service d'un maître. Le mariage interrompt donc la condition domestique et amène tout naturellement la nouvelle épouse à déménager pour s'installer avec son mari.

Les femmes monopolisent d'autres activités encore. Beaucoup viennent des campagnes avoisinantes et se font embaucher pour dévider la soie, faire des canettes ou tirer les cordes du métier à tisser. D’autres travaillent dans les manufactures textiles, exercent comme chapelières ou encore deviennent couturières ou blanchisseuses. Quelle que soit leur activité, ces femmes jouissent d’un statut professionnnel imprécis et exercent des fonctions interchangeables, en particulier celles qui sont embauchées dans les ateliers des fabricants. Quelques métiers, plus délicats, nécessitent une période d'apprentissage. Les procédures judiciaires évoquent ainsi le cas d' « apprentisses » tailleuses, raccomodeuses, brodeuses, dévideuses, gazières ou fleuristes. La plupart d'entre elles ne sont placées que quelques mois voire quelques semaines, le temps de se familiariser avec leur nouvelle profession. Une convention est alors établie entre l'employeur et les parents (ou les tuteurs) de la jeune fille et précise les modalités de l'apprentissage. Parfois, cependant, l'exercice du métier se révèle si dur qu'il entraîne le départ précipité des nouvelles recrues, effrayées par les mauvaises conditions de travail. Le plus souvent, elles retournent chez leurs parents en se promettant de ne jamais revenir. Mais il arrive aussi que les jeunes filles disparaissent tout à fait, sans laisser d'adresse. Les familles désemparées s'adressent alors à la Sénéchaussée criminelle, inquiètes pour leur fille qu'elles savent seule et isolée. Ce qu'elles redoutent surtout c'est que ces jeunes proies aient été enlevées comme l'explique Pierre Florant, guichetier des prisons Saint Joseph : « ....sa belle soeur, nouvellement arrivée à Lyon, âgée de 10 ans et placée en apprentissage chez la dame Guitoud....a été enlevée. Elle ne s'est pas rendue chez sa maîtresse; il l'a fait demander dans le voisinage et a fait toutes les recherches imaginables dans la ville sans avoir pu la découvrir. Elle a disparu vers 5 heures du soir et craint qu'elle n'est été séduite ou enlevée » ( 333 ). Quelquefois l'inquiétude est justifiée. Un séducteur a eu raison de la naïveté de la jeune fille en lui promettant une vie plus belle et le mariage. Naturellement, toutes les mises en apprentissage ne se soldent pas de façon aussi dramatique. Certaines d’entre elles témoignent même du souci des familles d'apprendre un métier véritable à leur fille. L’instruction est parfois assez poussée comme chez cette apprentie, Françoise Blaise, installée chez une marchande brodeuse pour se perfectionner dans la profession. Sa mère l'a placée chez cette femme à la sortie du couvent. « ....son espoir n'a pas été trompé. Pendant 6 années et demi de séjour qu'a fait sa fille....(la marchande brodeuse) a toujours été honnête et de bonne conduite et elle mérite la plus aveugle confiance « (334). Un autre exemple d'apprentissage de longue durée est encore fourni par Pierrette Farge, une fille dévideuse domiciliée rue Saint-Marcel. Sa mère « ....(a fait) convention avec la fille Gemme de lui apprendre le métier de dévideuse de soie, qu'elle travaillerait 2 ans et qu'elle la nourrirait et la logerait.... » ( 335 ). Ces cas restent rares. En effet, si quelques femmes célibataires deviennent de véritables chefs d'ateliers, la grande majorité d'entre elles reste affectée à des tâches subalternes, précaires et sous-payées.

Les ouvrières en soie, les dévideuses, les tireuses de cordes offrent, après les domestiques, l'image d'une grande instabilité. 24% d'entre elles séjournent moins de 1 an dans un appartement et 47 % ne s'y installent pas plus de trois ans. Seules, 38 % semblent se fixer davantage en s'établissant 4 ans et plus. Si le changement de domicile est aussi fréquent, c'est que la pauvreté interdit généralement à ces filles de disposer d'un logement indépendant. Seule une petite minorité d'ouvrières parvient en fin de carrière à s'acheter ou à louer une chambre. Les autres habitent le plus souvent chez le fabricant, à proximité immédiate de l'atelier comme ces deux ourdisseuses célibataires, Marguerite Dufour et Dominique Manevran : « ....elles demeurent ensemble rue Royale maison Pitiot....occupant un appartement au 4ème étage....elles travaillent pour les sieurs Caillat frères, fabricants, qui payent le loyer de leurs appartements et leurs ourdissoirs....des ouvriers y....(viennent) parce qu'il y a du travail.... » ( 336 ). La vulnérabilité de ces ouvrières se manifeste principalement en période de crise, lorsque l'activité de La Fabrique s'essouffle et que les commandes diminuent ( 337 ). Cette fragilité se double aussi d'une inégalité de traitement. De fait, les femmes composent une main-d'oeuvre sous-payée, conformément aux directives consulaires de 1786 qui accordent aux fabricants de faire travailler des jeunes filles sur les métiers avec un salaire inférieur à celui des compagnons. Ces conditions difficiles d'existence, aggravées encore par l'exercice d'activités non qualifiées, expliquent les nombreux déménagements à l'intérieur de la ville. Seul le mariage, contracté en général après de longues années de travail passées à épargner quelques sous, fixera plus durablement quelques unes d'entre elles.

Les ouvrières des manufactures textiles ne semblent pas jouir d'un sort plus enviable. La faiblesse de l'échantillon interdit de mener un examen approfondi puisque 3 ouvrières seulement sont recensées. La plus stable, Benoîte Fournier, a 22 ans. Elle est restée 18 mois chez un fabricant de gaze ( 338 ). Une autre est ouvrière en dessin. Elle était auparavant domestique et a travaillé 11 mois chez un fabricant( 339 ). La dernière, enfin, une ouvrière en gaze, n'a demeuré que 8 mois chez son employeur avant d'être mise à la porte( 340 ). La misère, le manque de considération et la rudesse avec laquelle ces jeunes filles sont traitées transparaissent parfois dans les procédures judiciaires. Ils ne semblent, en revanche, guère émouvoir les témoins, convoqués par le tribunal de la Sénéchaussée criminelle. « ....vendredi entre 7 ou 8 heures du soir, explique l'un d'entre eux, ....il vit Anne Bertholy (la fille ouvrière) saisie aux cheveux par les mariés Rey qui l'entraînèrent dans leur domicile et lui donnèrent des coups. Le déposant voyant que c'était une de leurs filles ouvrières qu'ils maltraitaient ne porta dans le moment aucun secours.... » ( 341 ).

De toutes les femmes célibataires, les plus stables sont les brodeuses. Aucune n'a séjourné moins de 1 an dans son domicile. Chacune a demeuré au moins 2 ans au même endroit. La majorité d'entre elles (5 sur 8) dépasse 4 ans de résidence et certaines, beaucoup plus comme cette maîtresse brodeuse, Antoinette Terrier, qui habite depuis 12 ans le même appartement ou cette autre, Geneviève Rousset, qui est restée 7 ans rue Saint-Marcel dans la maison Reboul( 342 ). On sait que les brodeuses constituent une catégorie sensiblement plus fortunée que les groupes précédents ( 343 ). Certaines d'ailleurs sont des chefs d'atelier dont le métier nécessite une longue période d'apprentissage. Elles exercent pour les négociants ou les marchands une activité spécialisée et délicate, ce qui les distingue des ouvrières et des domestiques, employées à des tâches subalternes. Plus autonomes dans leur métier, elles travaillent souvent à plusieurs dans un même ouvroir. Les plus fortunées font appel à des employées qui travaillent dans leur boutique et approvisionnent les négociants de la ville. Cette relative « aisance » se traduit par une grande stabilité dont l'échantillon se fait l'écho.

D'autres activités, moins propres aux femmes célibataires que les précédentes se rencontrent encore dans l'échantillon : ce sont les métiers de coiffeuses, de blanchisseuses ou de revendeuses. Leur groupe est trop restreint pour permettre une analyse détaillée. Il semble cependant que plus le métier exercé est qualifié, moins on déménage. En témoigne par exemple cette coiffeuse, Jeanne Marie Loupy qui a habité un appartement à la descente du Pont de Pierre pendant 4 ans ( 344 ). Bien entendu, aucune règle, ne peut être fixée car le changement de résidence dépend de facteurs multiples dont beaucoup échappent entièrement. Retenons simplement que la mobilité et l'instabilité restent la situation la plus courante chez les femmes qui exercent une activité autonome.

Avec la catégorie des artisans, on pénètre dans le monde des travailleurs spécialisés, membres des diverses communautés d'arts et de métiers de la ville. L’échantillon comprend 65 hommes issus de ce groupe, soit 42% du corpus. Parmi eux, un ensemble de 17 personnes domine numériquement tous les autres : ce sont les fabricants en soie.

La durée d'occupation d'un logement se présente sous un jour bien différent chez les artisans et chez les travailleuses. Si une minorité d’entre eux (13%) séjourne moins de 1 an dans un appartement, 19% y résident de 1 à 3 ans et 67% (c’est-à-dire 2 artisans sur 3) s’y installent plus de 3 ans. Cette sédentarité traduit l'ancrage des travailleurs qui exercent un métier organisé et reconnu par les autorités. Elle montre que les artisans spécialisés, ayant subi l'apprentissage et accédé au compagnonnage, sont beaucoup plus stables et parviennent à s'intégrer sans difficulté dans la société lyonnaise grâce à leur appartenance à un corps constitué. Louis Cottin est maître charpentier. Il demeure avec sa famille rue Raisin depuis 30 ans ( 345 ). Jean Garnier habite rue Puits du Sel. Lui « ....et son épouse sont établis dans le quartier Pierre Scize depuis plus de 30 ans et y exercent leur métier de forgeur avec la réputation de toute l'honnêteté possible » ( 346 ). Cette fidélité au quartier se poursuit souvent au delà de la mort du conjoint comme l'attestent les dépositions de veuves, épouses d'artisans décédés. La veuve d'un maître fabricant en étoffes de soie est revendeuse de gazes. Voilà 38 ans qu'elle réside dans le quartier du Change. Magdeleine Didier est la veuve d'un fabricant en gaze. Depuis 20 ans, elle est locataire dans la maison Demotteron, rue du Bât d'argent ( 347 ). Les exemples sont trop nombreux pour pouvoir être tous mentionnés.

Au-delà de ces cas individuels, il semble vain de vouloir dégager un comportement spécifique, propre aux différents secteurs qui composent l'artisanat. En effet, les raisons qui poussent à déménager ou à demeurer dans un logement restent le plus souvent inconnues. Seules les singularités ou les réglementations de certains métiers - ceux de la fabrication de la soie ou de la boucherie par exemple - peuvent contribuer à stabiliser quelques groupes d'artisans déjà bien implantés dans la ville. Les ouvriers en soie, en effet, se déplacent difficilement car ils doivent emmener avec eux un matériel lourd et encombrant. De plus, l'installation des métiers en plein ou des métiers en tire exige des locaux vastes, hauts de plafond et assez lumineux pour pouvoir y confectionner des ouvrages délicats. Le déménagement est donc une opération difficile qui ne s'effectue que lorsque les circonstances l'imposent. Dans l'échantillon, 11% seulement des ouvriers en soie (maîtres et compagnons confondus) changent de domicile moins de 1 an après leur installation alors qu’ils sont 68 % à s’installer plus de 3 ans. Ici, donc, le séjour prolongé compose la règle. Chez les bouchers, la situation est différente. Les ordonnances consulaires leur interdisent de s'établir en dehors d'emplacements réservés et limités : seules, la boucherie des Terreaux dans la paroisse de la Platière, celle de l'Hôpital dans la paroisse Saint-Nizier, celle de Saint-Paul dans la paroisse Saint-Paul et celle de Saint-Georges dans la paroisse Saint-Georges sont en mesure de les accueillir. Qui veut se fixer ailleurs, doit obtenir une dérogation ce qui limite considérablement les déplacements à l’intérieur de la ville. La corporation des bouchers, puissante et fermée sur elle-même, apparaît donc éminemment stable. Jean Rozet, un boucher comme l’était déjà son père, demeure dans la Boucherie Saint-Paul depuis plus de 30 ans ( 348 ).

Parmi les 65 artisans répertoriés, 28 sont des compagnons et 37 des maîtres de métiers, exerçant dans les secteurs les plus divers. La durée du séjour dans leur logement se présente comme suit :

Graphique 4.
Graphique 4.

Si l'on examine la mobilité géographique des compagnons, on constate chez eux une relative stabilité : 57% d'entre eux demeurent plus de 3 ans dans le même domicile et 23% y restent de 1 à 3 ans. Seul un petit nombre (18%) s'installe moins de 1 an. Là encore, il faudrait préciser et connaître les raisons de ces déplacements, savoir s'ils correspondent à une modification du statut social (par exemple l'acquisition de la maîtrise) ou s'ils suivent un changement dans la situation conjugale. A défaut, on peut remarquer, par la part relativement faible des compagnons changeant de domicile (ou celui de leur maître s'ils sont logés chez lui), que les années passées en apprentissage ont fait d'eux des hommes assimilés, souvent habiles et appréciés dans leur métier. Plus âgés que les apprentis, ils sont moins sujets aux réactions de panique ou aux fuites prématurées. Un calcul effectué à partir de cet échantillon indique qu'une majorité d'entre eux (54%) ont moins de 28 ans et près des 3/4 (73%) moins de 31 ans. Seuls quelques vieux compagnons ont dépassé les 35 ans et sont des sortes de « manœuvres » employés dans les métiers du bâtiment, ou des artisans trop pauvres pour pouvoir s'installer à leur compte. En règle générale cependant, le profil des compagnons est celui d'hommes jeunes et célibataires qui logent chez un maître. D’ordinaire, leur condition change quand ils atteignent la trentaine. Une fois mariés et après avoir acquis la maîtrise, ils s'installent et disposent généralement d'un logement indépendant. Les plus pauvres cependant restent chez leur employeur malgré leur âge avancé ( 349 ).

Ces observations, naturellement, restent très générales et ne rendent compte que des situations les plus ordinaires. Un élément cependant contribue tout particulièrement à fixer un compagnon : l'espoir de travailler plus tard comme maître de métier. Quand le compagnonnage, en effet, est perçu comme un état intermédiaire entre l'apprentissage et la maîtrise et qu'il constitue une étape dans l'ascension sociale, il est bien accepté. C'est le cas notamment chez les tisseurs de la Fabrique dont l'activité s'exerce dans de petits ateliers dirigés par un maître artisan. C'est aussi le cas des fabricants de bas de soie, des fabricants de gaze, des passementiers, des cordonniers ou des tailleurs qui exercent un métier différent mais réglés selon le même modèle. Le désir d'accéder à la maîtrise et de posséder un jour son atelier personnel est très fort. Il incite le compagnon à prendre son mal en patience et à rester plusieurs années logé dans la soupente du maître. En revanche, dans les manufactures de chapeaux, chez les teinturiers, les corroyeurs ou dans les professions du bâtiment, les structures sont d'un type radicalement différent et rappellent davantage celles de la petite industrie. Le rapport numérique entre maîtres et compagnons montre la suprématie des seconds sur les premiers. Ce déséquilibre impose une hiérarchie pesante. Le compagnon devient un ouvrier au sens moderne du terme, c'est à dire définitivement et l'accession à la maîtrise lui reste fermée. Dans ce cas, l'idéal de l'artisan a cessé d'exister. Le plus souvent, ces compagnons travaillent en dehors de chez eux, dans des manufactures ou sur les chantiers. Ils sont rarement logés chez l'employeur et les moins malheureux disposent d'un logement autonome. Les autres demeurent, à plusieurs parfois, dans des chambres garnies au gré des embauches et des rencontres( 350 ). Les compagnons de certains métiers itinérants comme les compagnons maçons, charpentiers ou tailleurs de pierres sont sans conteste les plus instables. Dans l'échantillon, 3 compagnons maçons ont demeuré 2 mois en chambre garnie puis ont déménagé. Un autre, Claude Bidet, est né en Auvergne. Il habite chez la Veuve Chollet «  logeant et nourrissant des maçons....rue Lainerie.... mais....depuis plus de 15 jours, il a décampé avec ses nippes et hardes pour aller dans l'Auvergne ne sachant quel endroit » ( 351 ). Ces départs sont fréquents comme le sont aussi les allées et venues des compagnons des manufactures textiles : des 3 compagnons chapeliers dont on dispose ici, 2 ont travaillé pendant 15 mois chez le sieur Maunier, rue Palais Grillet, un autre, Etienne Clerc, 6 mois seulement avant de changer d’employeur( 352 ). Par bien des aspects, cette instabilité chronique rappelle celle des travailleurs journaliers.

La stabilité des compagnons - tous secteurs confondus - est inférieure à celle des maîtres artisans : 57% d'entre eux restent plus de 3 ans dans leur domicile contre 74% des maîtres. C'est que les compagnons, généralement plus jeunes, ont aussi moins d'attaches familiales. Il arrive également que, détenteurs d'un savoir-faire précieux, ils cherchent à se dégager de la tutelle du maître et à se placer ailleurs. En principe, avant de changer de place, ils doivent en informer leur employeur. Au moment du départ, celui-ci délivre un billet d'acquit, c'est-à-dire un laissez-passer qui atteste la bonne conduite du compagnon. Ce système est destiné à retenir autant que possible les travailleurs. Il assure aussi une certaine « sécurité de l’emploi » aux salariés. En période de récession cependant, celle-ci est loin d’être garantie. Quand crise il y a, elle se traduit par une raréfaction de l’embauche et par une compression du personnel. Le compagnon peut alors se retrouver sans travail et contraint de mener une existence vagabonde. En janvier 1790, en pleine époque de troubles économiques et politiques, François Roy, compagnon chapelier est arrêté par la compagnie du Guet. Il est soupçonné d'avoir voulu voler une paire de draps dans un grenier. Devant le tribunal, il raconte son histoire : « ....il est enfant de la ville et est de retour de Paris depuis environ 4 ans....il s'est placé chez différents maîtres mais....a dû rester 15 mois à l'hôpital atteint de fièvre....Ne trouvant pas d'ouvrage de sa profession, il s'est occupé sur le port et même à la vuidange....Il a logé chez la dame veuve Colomb et chez un nommé Marcel mais....n'y ayant pas trouvé de lit en dernier, il avait couché chez les Suisses, rue Confort....Il était occupé à chercher un logement lorsqu'il a été arrêté. Ayant été rue Basseville chez une devideuse de soie qui loge à tant par mois....pour lui demander un logement, elle lui dit qu'elle n'en avait pas de libre et l'envoya dans une maison....chez une femme dont il a oublié le nom » ( 353 ). Toute l'instabilité des compagnons des manufactures transparaît dans ce témoignage. Elle rappelle à bien des égards la situation des couches les plus pauvres de la cité.

Les membres des « professions libérales », les négociants et les marchands, les nobles et les bourgeois sont regroupés ici de façon artificielle. La médiocrité des occurrences (28 cas) mais surtout la grande diversité de situations que renferment ces activités professionnelles rendent l’analyse difficile. Il serait hasardeux de chercher à découvrir un comportement spécifique qui caractérise chacune de ces catégories et les différencie les unes des autres. On rappellera simplement que, de manière générale, leur aisance - variable bien sûr selon les professions et les individus - les met à l'abri de cette instabilité chronique, propre au petit peuple des journaliers et des femmes salariées. La plupart de ces hommes, d'ailleurs, doivent être propriétaires même si, par ailleurs, ils louent l’appartement où ils résident habituellement ( 354 ). Les plus riches partagent leur temps entre une résidence située à la campagne et un logement en ville, conformément au modèle dominant, très en vogue parmi les élites ( 355 ). Le profil qui transparaît ici est donc, globalement, celui de classes stables et solidement établies. 11% des déposants déclarent demeurer moins de 1 an dans leur appartement; 24% y restent de 1 à 3 ans; 61% emménagent plus longtemps.

Des différences sensibles cependant s'esquissent dans l'échantillon. Les membres des « professions libérales » semblent être les plus mobiles, les personnes jeunes surtout. C'est le cas, par exemple, de ce musicien de 23 ans, André Perrot, locataire du sieur Rouvier chez qui il occupe une chambre du 26 novembre 1781 au 19 aôut 1782 ou encore d'Alexandre Roux, commis de 22 ans « ....natif du Languedoc ....à Lyon depuis 11 mois...à son arrivée, il s'est placé chez le sieur Rivoire, marchand de gaze chez lequel il a demeuré 5 mois étant nourri depuis....il est entré chez le sieur Michaud....depuis la Saint Jean dernier » ( 356 ). L'un et l'autre sont célibataires et n'ont aucune charge de famille. Ils se placent auprès de l’employeur le plus offrant quitte à l’abandonner quand une proposition plus intéressante s'offre à eux. Peut-être en est-il de même des clercs et des licenciés en droit qui gravitent autour des études de notaires en attendant d'acheter une charge ? Il faudrait pouvoir connaître les itinéraires de chacun pour s'en assurer. Ce qui est sûr, c'est que, de toutes les catégories étudiées, ce sont les négociants, les marchands, les bourgeois et les nobles qui semblent les plus durablement installés. Aucun de ceux qu'on a pu recenser dans cet échantillon ne séjourne moins de 4 ans dans un appartement. Cette stabilité reflète une certaine pérennité, propre aux classes aisées. Les négociants et les marchands ne sont-ils pas issus, la plupart du temps, d'un milieu dans lequel on exerçait déjà une activité commerciale ? Surtout, elle apparaît comme un élément indispensable, nécessaire à toute réussite professionnelle : comment, lorsqu'on est marchand ou négociant, gagner la confiance du public et asseoir sa réputation autrement qu'en se fixant durablement ? Mériter l'estime de la clientèle demande du temps. Dans l'échantillon, on dispose d'un marchand poilier et d'un marchand ceinturonnier ayant demeuré chacun 20 ans dans le même logement; d'un marchand de tableaux installé pendant 10 ans dans le quartier d'Ainay; de 2 marchands doreurs, locataires pendant 7 ans de leurs appartements et de leurs magasins; d'autres encore....( 357 ). En fin de carrière beaucoup de négociants et de marchands se retirent des affaires après avoir installé à leur place un de leurs enfants. La plupart deviennent alors des « bourgeois » au sens que ce terme a pris à la fin de l'Ancien Régime. Bourgeois et bourgeoises font preuve d'une grande stabilité dans leur domiciliation. Tous s'y établissent au moins 4 ans et certains beaucoup plus. La dame Laffrey, bourgeoise de la rue Juiverie, est locataire dans la maison Dupeyron depuis 14 ans. La dame Varlot locataire dans la maison Gabet s'y est installée voilà 10 ans. Le sieur Mannecy, bourgeois, loue depuis plus de 6 ans un appartement rue des Deux Angles ( 358 ). Ce type de séjour prolongé se vérifie aussi chez le seul noble qui figure dans l'échantillon. Au cours d'une affaire judiciaire qui met aux prises deux époux, il déclare, comme témoin, qu'ayant habité pendant 10 ans dans la même maison que la plaignante, il se porte garant de sa probité( 359 ). Comme en témoignent tous ces exemples, la stabilité des classes les plus aisées est une réalité bien attestée.

Pour achever cet examen de la mobilité géographique des Lyonnais, il est nécessaire de dégager les traits essentiels que les exemples individuels ont pu masquer.

Le déplacement des ménages a pour origine de nombreux facteurs. La plupart d'entre eux sont inconnus : certains relèvent de décisions purement individuelles, d'autres d'une modification du statut social ou d'un changement dans la situation conjugale ou familiale. L'analyse comparée des diverses catégories socioprofessionnelles révèle cependant des comportements différents. Elle trace une ligne de fracture entre les groupes les plus fragiles de la ville, les journaliers, les domestiques, les femmes célibataires et ceux à qui le métier confère une certaine dignité sociale et, parfois, une véritable aisance matérielle, comme c'est le cas des artisans, des membres des « professions libérales », des marchands, des bourgeois et des nobles. Les chiffres sont là. 32% des journaliers et 22% des femmes célibataires s'installent moins de 3 ans dans leur appartement contre 11% seulement de ceux qui appartiennent aux autres catégories sociales. Le quartier et les individus qui le composent offrent ainsi un double visage : une part majoritaire de résidents « stables » (58%) restent plus de 3 ans dans leur logement tandis qu'une fraction importante des habitants du quartier (41%) investissent les maisons de façon éphémère. Les premiers sont parfois établis depuis longtemps et il n'est pas exceptionnel de rencontrer une famille installée dans un même logis depuis plusieurs générations. Cette occupation prolongée, d'ailleurs, est toujours mise en avant quand on a maille à partir avec la justice car l’on espère qu'elle sera retenue comme un argument favorable par le tribunal. Les seconds sont beaucoup plus mobiles, quelquefois même insaisissables. Un calcul effectué à partir des diverses procédures de la Sénéchaussée criminelle montre qu'un tiers des déménagements furtifs concernent des femmes, des célibataires pour la plupart (74%), occupées aux travaux pénibles de la soie ou aux autres activités du textile. 24% d'entre eux concernent des journaliers. La grande précarité contribue ainsi à faire de ces travailleurs des êtres vulnérables et très mobiles.

Où vont ceux qui déménagent ? Rares sont les procédures qui le précisent. Sur un échantillon de 23 plaignants, 14 ont quitté leur appartement et se sont installés dans un autre quartier. Les autres n’ont parcouru que quelques centaines de mètres. Le nombre de cas demeure évidemment insuffisant pour en tirer un enseignement quelconque.

Ainsi, à l'image des habitants qui le peuplent, le quartier constitue un cadre qui se renouvelle perpétuellement. Le déménagement des ménages et l'arrivée massive de nouveaux éléments venus de l'extérieur en font un espace en mouvement où coexistent des familles stabilisées par leur métier et des groupes beaucoup plus mouvants, en proie à une instabilité chronique. La communauté de voisinage regroupe ainsi des individus disparates qui doivent apprendre à vivre ensemble et à se supporter.

Notes
317.

() Arch. dép. Rhône, BP 3535, 2 mai 1790.

318.

() Voir première partie, chapitre 2, p. 141.

319.

() Arch. dép. Rhône, BP 3459, 12 octobre 1779.

320.

() Arch. dép. Rhône, BP 3511, 25 novembre 1786.

321.

() Arch. dép. Rhône, BP 3459, 12 novembre 1779.

322.

() Arch. dép. Rhône, BP 3479. 11 mai 1782.

323.

() Arch. dép. Rhône, BP 3479, 3 octobre 1782.

324.

() Arch. dép. Rhône, BP 3455, 17 juin 1779.

325.

( ) Sur la banalisation du suicide au siècle des Lumières, consulter Minois (G.), Histoire du suicide. La société occidentale face à la mort volontaire, Fayard, 1995, 421 pages, pp. 221-245. Voir aussi Duplâtre (A.), Le suicide aux XVIIème et XVIII° siècles. L’exemple de la généralité de Lyonnais et du Beaujolais, mémoire de maîtrise sous la direction de F Bayard, 1998, 123-XIII pages, Centre Pierre Léon, p. 84, notamment, où elle souligne qu’un suicide sur deux provient des quartiers populaires de la rue de l’Hôpital ou du Plat d’argent.

326.

() Arch. dép. Rhône, BP 3514, 3 avril 1787.

327.

() Garden (M.), op.cit., p. 259 et suivantes.

328.

() Sur la profession des jardiniers, consulter Montenach (A.), Jardins et jardiniers à Lyon aux XVIIème et XVIIIème siècle, mémoire de maîtrise sous la direction de F. Bayard, 1994, 2 vol., 122 et 39 pages, Centre Pierre Léon.

329.

() Gutton (J-P.), Domestiques et serviteurs dans la France d’Ancien Régime, op. cit., pp. 202-203.

330.

() Garden (M.), op. cit., p. 251.

331.

() Sur la pluralité des fonctions domestiques et l’ambiguïté du terme, voir les remarques de Gutton (J.-P.), Domestiques et serviteurs dans la France d’Ancien Régime, Aubier Montaigne, op. cit., pp. 11-15 et 69-72.

332.

() Arch. dép. Rhône, BP 3533, 17 novembre 1789.

333.

() Arch. dép. Rhône, BP 3520, 9 février 1788.

334.

() Arch. dép. Rhône, BP 3482, 9 octobre 1782.

335.

() Arch. dép. Rhône, BP 3509, 29 juillet 1786.

336.

() Arch. dép. Rhône, BP 3501, 2 juillet 1785.

337.

() Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, la Fabrique est périodiquement secouée par des crises. Ainsi en 1756, 1766, 1771, 1784, 1787. Cf. Bayard (F.), Cayez (P.) (sld), op. cit., pp. 107-128.

338.

() Arch. dép. Rhône, BP 3535, 4 mai 1790.

339.

() Arch. dép. Rhône, BP 3535, 2 mai 1790.

340.

() Antoine Moulager, son employeur raconte : « ....depuis environ 8 mois, ....(il) a pris chez lui en qualité d'ouvrière une nommée Roche; ne lui convenant pas il l'a mise dehors dimanche dernier après lui avoir fait son compte et remis toutes ses nippes et hardes ». Arch. dép. Rhône, BP 3535, 4 mai 1790.

341.

() Arch. dép. Rhône, BP 3455, 17 avril 1779.

342.

() Arch. dép. Rhône, BP 3526, 28 septembre 1788 et BP 3471, 3 avril 1781.

343.

() Garden (M.), op. cit., p. 200.

344.

() Arch. dép. Rhône, BP 3459, 26 octobre 1779.

345.

() Arch. dép. Rhône, BP 3538, 5 mars 1790.

346.

() Arch. dép. Rhône, BP 3481, 1er juillet 1782.

347.

() Arch. dép. Rhône, BP 3510, 10 octobre 1786 et BP 3465, 28 juin 1780.

348.

() Arch. dép. Rhône, BP 3455, 2 juin 1779.

349.

() Pour confirmer ces observations générales, un calcul a été mené à partir de listes de compagnons, convoqués comme témoins par le tribunal de la Sénéchaussée criminelle. Sur 309 compagnons, 57% d'entre eux ont moins de 28 ans, et 71 % moins de 31 ans. ( 27% entre 17 et 22 ans, 25% entre 23 et 27 ans, 19% entre 28 et 30 ans). D'autre part, 65% des compagnons demeurant chez leur maître ont moins de 31 ans.

350.

() Cf. première partie, chapitre 2, p. 151.

351.

() Arch. dép. Rhône, BP 3526, 20 octobre 1788.

352.

() Arch. dép. Rhône, BP 3471, 11 avril 1781 et 15 mars 1781.

353.

() Arch. dép. Rhône, BP 3534, 23 janvier 1790.

354.

() Cf. première partie, chapitre 2, p. 160, note 3.

355.

() Gattefossé (F.), Inventaire des maisons du XVIIème siècle, Lyon-Presqu’île, mémoire de maîtrise sous la direction de D. Ternois, 1972, 248 pages, Bibl. Histoire de l’art, p.32.

356.

() Arch. dép. Rhône, BP 3482, 4 octobre 1782 et BP 3459, 5 novembre 1779.

357.

() Arch. dép. Rhône, B.P.3474, 24 septembre 1781; BP 3458, 26 août 1779; BP 3521, 1er avril 1788; BP 3537, 31 octobre 1790.

358.

() Arch. dép. Rhône, BP 3473, 4 août 1781; BP 3521, 1er avril 1788; BP 3535, 12 mai 1790.

359.

() Arch. dép. Rhône, BP 3521, 1er avril 1788.