A. Les querelles d’honneur.

Si l'on en croit les procédures judiciaires, celles, bien sûr, qui sont instruites par le tribunal royal de la Sénéchaussée criminelle mais aussi celles qu'examinent, dans les limites territoriales de la ville, les justices ecclésiastiques d'Ainay et de Saint Jean, la défense de l'honneur joue un rôle de tout premier plan ( 983 ). Un comptage systématique des cas traités par ces trois juridictions montre en effet qu'entre 43% et 55% des conflits de voisinage ont pour origine des agissements, des gestes ou des propos diffamatoires ( jugés comme tels, en tout cas, par l'accusateur) visant à discréditer un individu ( 984 ). L'importance du chiffre n'étonne guère. Il coïncide avec les observations faites dans les autres villes du royaume. A Toulouse, par exemple, 40% des délits arbitrés par la Tournelle entre 1715 et 1789 concernent des calomnies ou des injures entre particuliers ( 985 ). Dans la capitale, le peuple parisien manifeste une susceptibilité analogue et pourchasse sans faiblesse les mauvais propos ( 986 ). A Lille, les attaques verbales représentent une bonne moitié des délits sanctionnés par l’autorité municipale ( 987 ). Partout, l'honorabilité semble s'inscrire au coeur des relations sociales et des préoccupations individuelles. Comment comprendre cette vigilance du point d'honneur ? A quel modèle socioculturel renvoie-t-elle ? De quelle manière calomnie-t-on son voisin ? L'examen des archives ciminelles permet en partie de répondre à ces interrogations.

Notes
983.

() Sur les différentes juridictions qui se partagent le droit de police à Lyon, voir dans l’introduction générale la note 2 p. 56.

984.

() Pour les trois juridictions, la répartition se présente de la façon suivante : Sénéchaussée criminelle = 46%, Ainay = 43%; Saint-Jean = 55%. Avec 107 liasses, les archives de la Sénéchaussée criminelle constituent, pour la période étudiée (1776-1790), la masse documentaire la plus importante. Le chapitre d'Ainay regroupe 8 liasses, celui de Saint-Jean 2. Bien entendu, par leur quantité même, les procédures judiciaires de la Sénéchaussée criminelle demeurent la source d'informations privilégiée.

985.

() Castan (Y.), Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, 1974, 699 pages, p. 111.

986.

() Lenoir, Lieutenant général de la police, écrit ainsi dans ses Mémoires : « Les plaintes au sujet d'injures et de diffamation étaient fréquentes à Paris. Les uns en poursuivaient la réparation devant les tribunaux ordinaires. Le plus grand nombre de Parisiens importunaient la police de leurs contestations domestiques et de leur point d'honneur ». Lenoir, Mémoires manuscrits, cité par Farge (A.) in La vie fragile, op. cit., p. 29.

987.

() Guignet (P.), op. cit., 323.