a) Les injures adressées aux femmes.

Les femmes se voient principalement attaquées dans leur conduite sexuelle. « Putain » et « Garce » sont les deux insultes que l'on rencontre le plus communément dans les plaintes et dépositions (respectivement 27% et 12% des occurences), suivies de « Gueuse », « Salope », « Bougresse ». « Voleuse » ne survient qu'à la quatrième place dans l'ordre de fréquence des injures, reléguant ainsi la fonction économique de la femme au second plan. Une telle distribution est édifiante. Le déshonneur féminin s'identifie à la gourmandise sexuelle, à la vertu défaillante et à son aboutissement monstrueux, la prostitution. A l'inverse, l'honneur essentiel réside dans une sage tempérance, les épouses devant se réserver à leur mari. « L'honnêté des femmes, écrit Furetière, c'est la chasteté, la modestie, la pudeur, la retenue » ( 1029 ). C'est pourquoi, en mettant en doute ces vertus cardinales, la calomnie atteint le sexe féminin là où il est le plus vulnérable : des propos diffamatoires peuvent en effet induire le soupçon dans l'esprit du voisinage et, par là-même, menacer gravement le pacte conjugal. C'est précisément ce que redoute la femme Durand, épouse en secondes noces d'un maître chapelier. Au cours de sa plainte, elle dévoile la « méchanceté » de ses voisins qui, dit-elle, « ....n'ont cessé de la poursuivre dans les rues et de lui crier à haute voix qu'elle était une garce, une putain, qu'elle était la maquerelle et la putain de tous les juges qui la connaissaient comme la femme la plus infâme....Ils récidivent chaque jour....lui causant le plus grand désordre dans son ménage, son mari ayant oui parler de toutes ces scènes » ( 1030 ). Même inquiétude chez la femme du sieur Vaginay, marchand boucher à la Boucherie Saint-Paul : « ....depuis un mois Jean Rozet boucher....a formé le projet de la perdre de réputation et de la faire séparer d'habitation d'avec son mari....Il a dit qu'elle a mené une vie déréglée depuis l'âge de treize ans, qu'elle faisait le métier....Il répéta ces propos infâmes devant tous ceux qui composent la Boucherie » ( 1031 ). Les mères de famille sont d'autant plus préoccupées que, par delà ces attaques personnelles, ce sont tous les membres du foyer qui sont visés. Non seulement la crédibilité du couple est en jeu mais l'avenir des enfants est dangereusement hypothéqué. Quelques plaintes reflètent une sourde inquiétude quant au devenir de sa progéniture après qu'une odieuse calomnie ait entaché l'honneur d'une épouse. Tel est le cas, par exemple, soumis à la Sénéchaussée criminelle par Jean Baptiste Richard : sa femme est victime d'attaques répétées de la part d'une voisine mariée à un chapelier. « ....ils ont été étonnés, explique-t-il, d'entendre crier la femme Durand que l'épouse du plaignant était une putain une coureuse une femme débauchée qui entretenait un commerce de libertinage avec....son beau frère et se livrait au premier venu....Une telle diffamation tend à nuire à son commerce et empêche ses enfants de trouver des établissements ». C'est pourquoi le plaignant demande au Lieutenant criminel une punition exemplaire, à la mesure du préjudice subi ( 1032 ).

Pour éviter toute allégation mensongère, les femmes sont contraintes d'embrasser un mode de vie d'une grande transparence. Elles doivent non seulement adopter une ligne de conduite pleine de tempérance et de régularité, mais encore il leur faut savoir rester prudentes pour ne pas prêter le flanc aux attaques. L'épouse du sieur Sarmont est brodeuse. Témoin d'une rixe entre locataires dans l'immeuble qu'elle habite, elle explique en ces termes les raisons qui l'ont incitée à se calfeutrer dans ses appartements : « ....elle qui dépose accoutumée d'entendre très souvent du bruit dans cette maison occasionné par des particuliers qui vont et viennent chez des filles nuitament est rentrée chez elle de peur de s'exposer et d'être insultée comme cela est arrivé nombre de fois à des voisins »( 1033 ). Le prix que l'on attache à sa réputation, la nécessité de conserver, à tout prix, l'estime du voisinage sont en effet des motifs trop sérieux pour risquer de se compromettre. La mesure, la retenue, la décence, composent autant de qualités essentielles qui désignent les « honnêtes femmes ». Les mères de famille le savent bien. Les veuves et les filles célibataires aussi qui sont astreintes aux mêmes règles de l'honorabilité. De façon impérative. Les veuves doivent conserver une moralité irréprochable et faire preuve de discrétion, notamment dans les relations qu'elles entretiennent avec les hommes. A défaut, une mauvaise renommée leur interdira de se remarier et débouchera sur une perte de crédit, préjudiciable à leur survie économique. « Aujourdhui, rapporte la veuve Labourier marchande épicière, ....les mariés Lapierre l'ont publiquement et grièvement insultée au devant de sa boutique. Ils lui ont dit qu'elle était une putain qu'elle avait une vie déréglée....Ces insultes sont les plus attentoires à la réputation de la plaignante qui a toujours joui de l'estime de ses voisins. Elle craint que ces propos portent un très grand préjudice dans l'esprit de ceux avec lesquels elle fait du commerce »( 1034 ). Chez les jeunes filles, les choses se présentent différemment. Il leur faut avant tout résister aux sollicitations des galants et préserver leur virginité. Elles risqueraient, sinon, de compromettre leur établissement futur.

Notes
1029.

() Furetière (A.), op. cit., T.II, V° Honnesteté.

1030.

() Arch. dép. Rhône, BP 3482, 18 septembre 1782.

1031.

() Arch. dép. Rhône, BP 3455, 2 juin 1779.

1032.

() Arch. dép. Rhône, BP 3523, 23 mai 1788.

1033.

() Arch. dép. Rhône, BP 3479, 10 mai 1782.

1034.

() Arch. dép. Rhône, BP 3477, 3 janvier 1782.