B. Les querelles de nature financière ou « économique ».

La société lyonnaise, les pages précédentes le montrent, place l'honneur au coeur des préoccupations quotidiennes et manifeste une grande sensibilité pour tout ce qui regarde les mauvais propos. Les insinuations à caractère « économique », c'est-à-dire celles qui mettent en doute l'honnêteté et la probité de l'individu sont innombrables. Elles ont une résonance particulièrement vive et déclenchent aussitôt, on l'a vu, une riposte de l'offensé. Paradoxalement, si l'on dénombre les plaintes qui opposent les membres du voisinage, qu'il s'agisse de conflits d'intérêt, de rivalités de commerce, de vol avec ou sans effraction, de dettes, de défauts de paiement, bref de querelles de nature financière ou « économique », on constate qu'elles composent 18% seulement des conflits entre voisins. C'est, somme toute, peu de choses, sans commune mesure en tout cas avec le torrent d'allégations contenu dans les archives criminelles qui laisserait supposer une délinquance beaucoup plus importante. Cette distorsion entre une malhonnêteté prétendue parce que redoutée et une malhonnêteté avérée témoigne à l'évidence de la grande précarité des populations : la lutte pour la survie engendre une émotivité populaire exacerbée, mélée d'inquiétude et de soupçons. « ....il y a une semaine entre huit heures et neuf heures du matin, dépose l'épouse d'un compagnon chapelier, se trouvant rue Thomassin elle vit le sieur Emery compagnon chapelier avec un de ses enfants à la main s'arrêter devant la boutique de la plaignante (il s'agit d'une revendeuse)....elle déposante ouit la plaignante dire Pourquoi vous arrêtez vous au devant de ma boutique, cherchez vous à me voler quelque chose?.....elle sortit donna un soufflet au sieur Emery qui la saisit par la tête.... » ( 1072 ). Cette obsession du vol et des agissements déloyaux engendrent un climat lourd de sous-entendus qui menace à chaque instant le fragile équilibre de la maisonnée. Le peu que l'on possède est jalousement gardé et reste toujours l'objet d'une vigilante attention. Entre voisins, la suspicion est grande, les sens toujours en éveil. Quelques locataires, plus défiants encore que les autres, n'hésitent pas à multiplier les accusations perfides, déclenchant ainsi des disputes sans fin. Pierrette Mannecy, une bourgeoise de la rue des Deux Angles, en fait l'amère expérience. « ....Elle a entendu la dame veuve Reverony (sa voisine de palier) qui....(a) attiré par ses cris tous les voisins en disant que la plaignante lui avait volé son bois, qu'il lui en manquait un(e) moule et demi que c'était elle qui lui avait volé qu'elle était une gueuse une coquine une voleuse.....Elle ajouta....(qu'il fallait) se défier d'elle, bien fermer son grenier à clé parce que l'hiver précédent elle lui avait volé deux moules de bois.... » ( 1073 ). Par delà ces attaques qui relèvent de la calomnie ordinaire et qui rythment la vie des immeubles lyonnais, qu'en est-il, au juste, de la malhonnêteté entre voisins ? Quel visage la friponnerie et la « carambouille » revêtent-elles véritablement ? De quels types de larcins les membres de la communauté se rendent-ils coupables ? A ces questions, les procédures judiciaires offrent quelques éléments de réponse.

Notes
1072.

() Arch. dép. Rhône, BP 3472, 19 juillet 1781.

1073.

() Arch. dép. Rhône, BP 3535, 12 mai 1790.