B. Coups et blessures.

Pour connaître la nature et le degré de gravité des blessures infligées par les violents au cours des bagarres, les procédures judiciaires recèlent deux types de documents : la plainte déposée par la victime d'une part, le rapport des médecins ou des chirurgiens royaux d'autre part.

La plainte est une pièce précieuse dans la mesure où elle rend compte de manière détaillée des circonstances et du déroulement des rixes. Elle reste cependant partiale et, somme toute, peu fiable puisque la tendance naturelle du plaignant est de dramatiser toute altercation et de charger, autant que possible, l'agresseur. Il espère par-là émouvoir la justice et obtenir des dommages et intérêts substantiels.

Le rapport des médecins ou des chirurgiens constitue au contraire une source beaucoup plus sûre pour l'historien. Il émane en effet de professionnels dépêchés spécialement auprès des plaignants pour pouvoir constater de visu la nature et la gravité de leurs blessures. Dûment accrédités auprès des tribunaux lyonnais, ces hommes cumulent le plus souvent les titres de docteur en médecine de l'Université de Montpellier et de professeur agrégé au collège des médecins de Lyon. Ils accomplisssent leur mission avec sérieux et ne manifestent, a priori, aucune commisération particulière pour la victime. En témoignent les nombreuses expertises médicales qui relativisent ou contredisent le récit outrancier de certains plaignants. Ainsi, dans la plainte qu'il porte au nom de sa femme, Antoine Saunet, maître charpentier, explique que son épouse a été affreusement maltraitée par un voisin. « Elle agonise, précise-t-il, et a reçu les sacrements ». Envoyés chez la victime, les médecins établissent un diagnostic bien différent et estiment que « 6 jours seulement suffiront pour la remettre sur pied » ( 1268 ). Même exagération chez ce marchand galocher « terrassé à plusieurs coups de poing et de pied », « traîné dans le ruisseau », « frappé à coups de pieds sur toutes les parties du corps, à la tête, aux reins, et sur le ventre » pendant qu'il buvait au cabaret. Depuis ce jour, explique-t-il, « il a des accès fréquents de fièvre, il est hors d'état de travailler à quoi que ce soit....et (se voit) réduit à garder le lit la plus grande partie de la journée ». Le rapport médical, quant à lui, chante une toute autre chanson : « Ne paraissant rien à l'extérieur, nous croyons que ledit Lenoir peut vaquer à son métier sans être obligé de remèdes » ( 1269 ).

Cette fiabilité du témoignage ne constitue pas le seul avantage du rapport médical. Les médecins savent aussi se montrer précis lorsqu'ils s'agit de décrire les blessures des victimes et d'évaluer leur degré de gravité. Un souci évident d'exactitude guide leur plume et cela dans la plupart des cas. « Procédant au rapport des blessures de la femme Pain boulangère, peut-on lire dans un compte rendu de visite, elle nous a dit avoir été maltraitée, avoir mal à la tête, éprouver des frissons et surtout avoir une douleur au côté gauche de la poitrine qui la gêne dans les mouvements de respiration. Nous avons reconnu une contusion avec bosse au dessus du sourcil de l'oeil gauche près de la tempe et une petite playe sur la pommete gauche de 2 pouces. Comme elle est sans fièvre, 8 jours suffiront pour la guérison » ( 1270 ). Certes, tous les rapports médicaux ne sont pas de qualité équivalente et certains, parfois, manquent de détails. Néanmoins, les renseignements qu'ils contiennent demeurent suffisamment explicites pour qu'on puisse y recourir. C'est pourquoi, plus fiables et plus précis que le récit des plaignants, ils ont été utilisés dans ce paragraphe, en dépit de leur relative rareté ( 1271 ). Leur exploitation a permis, dans un premier temps, de recenser les blessures des victimes puis, dans un second temps, d'évaluer, à partir de l'appréciation même des médecins, leur degré de gravité.

Notes
1268.

() Arch. dép. Rhône, BP 3514, 19 avril 1787.

1269.

() Arch. dép. Rhône, BP 3479, 13 mars 1782.

1270.

() Arch. dép. Rhône, BP 3526, 9 octobre 1788.

1271.

() 35% seulement des procédures judiciaires contiennent un rapport médical. Trois raisons principales expliquent la « rareté » de ce document : il a pu se perdre; la procédure a été abandonnée en cours de route ou encore, l'absence de blessures graves ne justifiait pas le déplacement de médecins.