2. Le temps de l’agressivité.

Les plaintes des victimes sont, en règle générale, suffisamment précises pour pouvoir établir un calendrier des saisons, des jours et des heures pendant lesquels se déroulent les conflits de voisinage. A défaut, lorsque le récit du plaignant reste imprécis, les dépositions des témoins constituent une autre source d'informations possible. Les indications qu'elles contiennent en effet fournissent d'ordinaire beaucoup de détails, même si toutes ne sont pas de valeur égale. Les unes proposent une datation et un horaire rigoureux, fixant à la fois l'heure, le jour et le mois où s'est déroulé l'événement (« Le lundi 3 septembre à 8 heures du soir »). D'autres, plus nombreuses, fournissent simplement une date (« Le 29 juillet 1778 ») ou un jour de la semaine (« Lundi dernier ») suivi ou non d'une indication horaire (« Le 23 de ce mois, sur les 9 heures du soir »). D'autres encore se situent par rapport à un événement précis en liaison avec le calendrier chrétien (« Le jour de la Saint-Jean dernier ») ou avec l'affaire en cours (« Le jour énoncé en la plainte »). Enfin, 10% environ des dépositions proposent une datation très imprécise, se contentant d'indiquer un jour de la semaine (« Un lundi »), un mois (« Le mois de septembre dernier ») voire une allusion temporelle vague (« Il y a environ 5 semaines »). En dépit de ces imprécisions, il est possible, en croisant toutes les informations disponibles, de repérer les périodes propices - ou non - à l'éclosion de la violence entre voisins. La répartition mensuelle des conflits de voisinage - commençons par eux - s'établit ainsi :

Graphique 47. La répartition mensuelle des conflits de voisinage.
Graphique 47. La répartition mensuelle des conflits de voisinage.

Au regard de ces chiffres et de ces statistiques, les querelles de voisinage ne semblent souffrir aucun répit. Chaque mois voit son lot de disputes ressurgir avec des nuances cependant qu'il convient de souligner

Si le printemps et l'été s'avèrent plus conflictuels que les mois d'automne et d'hiver, chaque saison possède des caractéristiques qui lui sont propres. En hiver, février est paisible mais mars déjà apparaît plus agité. Au printemps, avril inaugure un cycle de violences qui se poursuit pendant tout l’été. En automne le calme se réinstalle progressivement et décroît rapidement à partir d’octobre. Ces variations s'expliquent surtout par la fluctuation des relations sociales que le voisinage entretient avec ses pairs. Le surcroît d'agressivité ou sa diminution va de pair avec une sociabilité qui se fait plus ou moins intense selon les saisons et les périodes. Si les mois d'avril, juin, juillet et août connaissent un développement significatif de querelles, c'est parce qu'après le froid et les intempéries, les rapports entre voisins se font plus denses. Les portes des cabarets ferment plus tard (22 heures), les rues voient le retour des petits revendeurs et chacun musarde davantage devant les étals de boutiques. Peut-être faut-il y voir aussi le résultat d'un calendrier festif particulièrement chargé ces mois là ? Aux premiers jours du printemps, le dimanche des Rameaux, les Pénitents Blancs organisent une grande procession, musique en tête, et défilent en brandissant une torche et une branche de palmier ( 1403 ). En avril, le premier dimanche après Pâques, on célèbre Saint Roch en souvenir d'une épidémie de peste. Deux semaines plus tard, ce sont les pauvres de Lyon qui parcourent les rues de la presqu'île avant de se rendre à Saint-Jean pour assister à une messe solennelle. En mai et en juin, les fêtes des Rogations et de la Fête-Dieu donnent lieu à de nombreuses réjouissances. Celle dite des « merveilles » est célébrée avec un faste particulier : un cortège de bateaux où prennent place les dignitaires de l'Eglise, les échevins et les marchands les plus riches de la cité descendent la Saône depuis Vaise puis se rendent à pied à Saint-Nizier; après l'office, on danse, on festoie, et on pratique des joutes nautiques auxquelles participent les équipes des différents quartiers de la ville. A la fin du mois de juin, la fête de la Saint-Jean marque le retour de l'été et débute la veille par l'allumage de feux de joie. Au mois d'août enfin, place Bellecour, les arquebusiers - chargés d'ordinaire du maintien de l'ordre - participent à un concours de tir très populaire à l'issue duquel les compagnies offrent un grand souper ( 1404 ). Toutes ces manifestations coîncident avec le retour des beaux jours et expriment le plaisir d'avoir passé une période difficile. Elles multiplient les occasions de frictions entre voisins espiègles ou chahuteurs, y compris pendant les cérémonies religieuses ou les processions. « Le jour de la petite Fête-Dieu,explique un affaneur, se trouvant sur la place de la Feuillée au moment où se donnait la bénédiction du Saint-Sacrement, il vit deux frères Astier qui s'amusaient à coudre les jupons de plusieurs femmes les uns avec les autres....et pour les en faire apercevoir et les obliger à se lever, lesdits frères Astier firent semblant de passer la main sous les jupons à ces femmes., ce qui les fit beaucoup crier.....que tout cela engendra une querelle » ( 1405 ). Cette période festive est aussi celle de la fréquentation assidue des cabarets, des repas bien arrosés et des promenades en famille. Elle a pour corollaire une sociabilité à la fois plus intense et beaucoup plus ouverte sur l'extérieur de la maison. Les rapports de voisinage se déplacent, les lieux d'affrontement aussi, comme le montre clairement la répartition annuelle des querelles entre voisins.

Tableau 62. Etude de 765 cas
Mois % de conflits Extérieur de l’immeuble Intérieur de l’immeuble
Janvier 4% 1,5% 2,5%
Février 6% 2% 4%
Mars 11% 4% 7%
Avril 18% 8% 10%
Mai 10% 6% 4%
Juin 14 8% 7%
Juillet 11% 7% 4%
Août 8% 5% 3%
Septembre 6% 3,5% 2,5%
Octobre 5% 2% 3%
Novembre 4% 2,5% 1,5%
Décembre 2% 1% 1%

Les sollicitations extérieures commandées par un calendrier des réjouissances particulièrement fourni ne sont évidemment pas les seules à pousser les Lyonnais hors de leurs maisons. Ces derniers profitent aussi de la belle saison pour échapper aux tensions de l’immeuble et aux difficultés propres à toute collectivité surpeuplée. Les longs mois d’hiver en effet ont vu les locataires se replier sur les espaces confinés de la maisonnée et du foyer domestique. Il a fallu aussi s’adapter à des conditions matérielles difficiles ; supporter la promiscuité, le bruit et les rumeurs persistantes ; subir les scènes entre voisins irascibles et agressifs. D’octobre à mars, le nombre de disputes au sein de l’immeuble n’est-il pas deux fois plus élevé (ou presque) qu’entre avril et septembre ? Par contraste, le printemps et l’été représentent une sorte de revanche prise sur une période de difficultés. Une certaine exubérance populaire s’esquisse. Elle a pour mots convivialité, débordement, boisson et s’exprime d’abord à l’extérieur des maisons.

A cette répartition mensuelle des conflits se superpose une répartition hebdomadaire que les sources judiciaires permettent d’établir avec précision.

Graphique 48.
Graphique 48.

Entre jours « ordinaires » de la semaine, la distribution s'opère de façon régulière : le nombre de querelles est presque constant, hormis une légère décrue les jeudis, vendredis et samedis. Les dimanches et les jours fériés en revanche, lorsque les travailleurs cessent leurs activités, on constate un regain de violence qui s'explique aisément. Chacun profite de ce moment de liberté pour se délasser, flâner ou vaquer à ses occupations. Certaines femmes s'acquittent des travaux collectifs de nettoyage, à l'instar de Benoîte Fayolle qui balaye l'allée de sa maison le dimanche 1er juillet 1787 à 11 heures du matin, déclenchant aussitôt la colère de sa voisine ( 1406 ). D'autres préfèrent se promener en famille sur les bords du Rhône, de la Saône, aux Brotteaux ou, mieux, encore place Bellecour, « la plus belle place d'Europe ». Surtout, les dimanches et jours fériés voient les cabarets se remplir d'une clientèle nombreuse et composite. Là, on boit, on bavarde mais surtout on joue. Les jeux d'argent notamment jouissent de la faveur du public pendant tout l'Ancien Régime ( 1407 ). A l'instar des grands, le peuple joue beaucoup même si les enjeux sont moins élevés. Au cours des parties de cartes qu'ils disputent, Jacques Servian mise une bouteille de bière, Augustin Méligot une tasse de café et Jean Peyrolle quelques sous( 1408 ). Bien que le pouvoir royal mène la lutte contre les maisons de jeu, ses édits et ses ordonnances se révèlent inefficaces. Les cabaretiers couvrent cette passion malgré les sentences de police et les menaces de fermeture qui pèsent sur leur établissement. Ils ferment les yeux devant cet engouement populaire, à l'origine, on l'imagine, de nombreux désordres. Si la répression du jeu est menée conjointement par les autorités religieuses et politiques c'est parce qu’à leurs yeux il fait peser un risque majeur sur l'ordre public et sur la morale : il cause la ruine des familles, génère des querelles, menace l'Etat par les attroupements qu'il suscite. D'autre part et surtout, il relève d'un ordre de sociabilité que les réformateurs du siècle des Lumières contestent de plus en plus violemment ( 1409 ). Le jeu, en effet, est l'occasion de se rassembler entre amis, parents ou voisins; de venir boire ou manger au cabaret; de baigner dans une ambiance conviviale et joyeuse. Au fond, les autorités assimilent au divertissement l'ivrognerie, l'oisiveté, la violence et la débauche. D'où la réitération de réglements municipaux qui visent à canaliser les débordements coutumiers en fixant pour les cabarets et les débits de boissons des horaires précis d'ouverture. Que ces mesures soient inefficaces, cela a déjà été dit et répété. Les consommateurs semblent disposer du cabaret comme bon leur semble au grand dam des commissaires de polices, incapables de faire appliquer la loi ( 1410 ). Des bagarres naissent entre les clients et les représentants de l’ordre dont les archives judiciaires ne sont que le vague écho. « Nous commissaires de police….savoir faisons qu’aujourd’hui….sur l’heure de midi seraient venus à nous Louis Rey, commissaire de police de cette ville assisté de Doriel huissier….qui nous a dit que ce jour….faisant sa ronde pendant l’office divin….passant au devant du cabaret du nommé Sigand ils trouvèrent une des planches de la fermeture dudit cabaret ouverte….Le dit Rey annonça (au garçon cabaretier) ses qualités et l’interpella de lui dire si s’il y avait quelqu’un dans ledit cabaret, il lui a répondu que non et voulant y entrer ledit garçon cabaretier a repoussé avec brutalité ledit Rey et s’est mis à crier F….moy le camp….des gens comme vous ne devez pas entrer chez moi….Le bruit considérable qu’avait fait le garçon a fait assembler beaucoup de monde dans l’allée et au devant dudit cabaret….et lesdits Rey, Maurice et Doriel ont été obligés de se retirer ( 1411 ).

61% des conflits de voisinage ayant lieu dans un cabaret se déroulent un dimanche ou un jour férié. Ce sont en effet les moments forts de la semaine, ceux où les débits de boissons connaissent la plus forte affluence et où la clientèle aime s'attabler durablement derrière une bonne bouteille. Avec l'alcool, bien sûr, les passions s'exacerbent. Tout est prétexte à dispute : une parole désobligeante, un regard trop appuyé, une plaisanterie un peu lourde, des cartes mal distribuées. Le ton monte vite, surtout lorsqu'on est jeune, et ce qui n'était au départ qu'une querelle sans importance peut rapidement tourner à l'aigre. Sans crier gare, les adversaires en viennent aux mains et échangent quelques coups bien sentis. « Le jour d’hyer sur les six heures du soir, raconte un plaignant, ….il entra dans un cabaret de la rue Jérusalem…. ….Jacquet invita le plaignant à boire un verre de vin et il accepta sa proposition qui n’avait jusque là rien que d’honnête et de gracieux….Bientôt ledit Jacquet lui chercha ce que l’on appelle une querelle d’allemand, luy dit des injures atroces et scandaleuses et en abusant de la supériorité de ses forces, il saisit le plaignant au collet, luy porta plusieurs coups et notamment sur le bras gauche qu’il tient en écharpe depuis quelque temps par l’effet d’une chatte » ( 1412 ). Selon la violence de la rixe, les consommateurs présents interviennent - ou non - pour séparer les bagarreurs. Quant à la garde, le cabaretier ne sollicite son appui que dans les cas les plus graves. Ainsi, le cabaret, espace de sociabilité et de divertissement, est aussi, et par excellence celui du conflit. S'y expriment les deux faces d'une même culture, la violence et la convivialité, que plusieurs siècles de « dressage » - l'expression est de R. Muchembled - n'a pu modifier. Dans les cabarets, le peuple est encore chez lui, en dépit d'une police des moeurs toujours plus vigilante et contraignante.

Il reste à examiner les heures de la journée pendant lesquelles le voisinage se querelle. Si l'on reprend la classification traditionnelle qui divise le jour en quatre périodes bien distinctes - le matin (de 5 heures du matin à midi), l'après midi (de midi à 6 heures du soir), le soir (de 18 heures à minuit) la nuit (après minuit)- on obtient la distribution suivante :

Graphique 49.
Graphique 49.

La violence entre voisins ne cesse de croître tout au long de la journée pour culminer le soir, après 6 heures. Si l'on excepte la période de nuit - de minuit à 5 heures du matin - elle ne connaît aucune pause véritable. Des conflits naissent dès les premières heures de travail et se poursuivent tard, dans les cabarets notamment, bien au-delà de l'heure officielle de fermeture.

A l'extérieur de l'immeuble d'habitation, sur la voie publique, les premières manifestations d'hostilité débutent tôt. Elles concernent généralement des salariés qui rejoignent leur poste de travail ou des petits revendeurs en train de s'installer au coin des rues. Cette violence redouble après le lever du jour et progresse régulièrement jusqu'en début de soirée.

Graphique 50. Les querelles entre voisins sur la voie publique. Etude de 128 cas
Graphique 50. Les querelles entre voisins sur la voie publique. Etude de 128 cas

Tous ces conflits, bien sûr, renvoient aux multiples activités journalières des riverains et aux fonctions commerçantes de la chaussée publique. Ils résultent aussi des nombreuses occasions de rencontres - donc de frictions - entre voisins qui arpentent quotidiennement les rues et les ruelles du quartier. Finalement, ce n'est qu'à la nuit tombée, après 9 heures du soir, que le calme se réinstalle peu à peu dans la rue. Un calme précaire, cependant, régulièrement perturbé par une foule de maraudeurs, de couche tard ou d’ivrognes qu'il vaut mieux ne pas croiser. Les femmes, notamment, le savent bien et hésitent toujours à sortir le soir. En cas de nécessité, elles préfèrent se faire accompagner. Ainsi l'épouse de Pierre Descombes, âgée de 19 ans, obligée d'affronter la nuit noire : « le....voisin se proposa de la raccompagner chez elle, ce qu'elle accepta volontiers attendu que la nuit était close » ( 1413 ). De fait, la nuit est propice aux agressions : celles des ivrognes, repus de vin blanc ou de bière, celles des voleurs tapis dans l'ombre et toujours prêts à saisir l'occasion qui se présente. Pour limiter ces violences nocturnes, le Consulat améliore l'éclairage urbain. A partir de 1767, il substitue aux lanternes garnies de chandelles des réverbères placés tous les 60 mètres. Il multiplie les patrouilles de la compagnie franche du Lyonnais et du guet pendant la nuit et ferme les portes de la ville. Enfin il interdit aux hoteliers d'héberger des « personnes inconnues ou sans aveu » ( 1414 ). De son côté, l'intendant décide l'ouverture de deux dépôts de mendicité, la Quarantaine et le Bicêtre. Il y place les mendiants de la ville et des faubourgs qu'il contraint à un labeur extrêmement rigoureux. Toutes ces mesures restent de peu d'effet. A cause d'un déficit evident des effectifs policiers d'une part mais aussi parce qu'elles suscitent une résistance populaire tenace( 1415 ). Les crises qui secouent l'Ancien Régime et qui précipitent sa fin ne contribuent pas non plus à cette entreprise de pacification sociale. Elles renforcent même la violence et l'insécurité urbaine.

A l'intérieur des immeubles, là aussi, les premières disputes commencent aux aurores. Dans ce microcosme qui vit au rythme des métiers à tisser, des scènes de ménage ou des disputes entre voisins, une agitation fébrile saisit la communauté des habitants dès le petit matin. Des altercations éclatent et secouent la maisonnée à tout moment de la journée.

Graphique 51. Les querelles entre voisins à l'intérieur de l'immeuble. Etude de 248 cas.
Graphique 51. Les querelles entre voisins à l'intérieur de l'immeuble. Etude de 248 cas.

Le matin, la journée de travail débute tôt. A l'aube, l'immeuble se remplit de monde : les travailleurs rejoignent leurs ateliers établis à l'étage; les domestiques vont puiser l'eau dans la cour; les ménagères astiquent leur intérieur; les riverains s'engouffrent dans les « allées qui traversent ». Une belle animation gagne l'immeuble et transforme le lieu en un « espace de vie épaisse » selon l'heureuse expression de Philippe Ariès. Cette effervescence se poursuit la journée toute entière. En fin de compte ce n'est qu'à partir de 10 heures du soir, quand les portes d'allée sont fermées, que l'agitation cesse peu à peu ( 1416 ). La maison, alors, retrouve sa tranquillité et ses habitants, le repos.

De l'examen des lieux, des espaces et des tranches chronologiques dans lesquels se répartissent les conflits de voisinage, il ressort plusieurs conclusions.

La première a trait à la densité des relations sociales et de la vie collective. Les cercles de sociabilité - le quartier, l'immeuble, la rue, le cabaret - définissent des espaces conflictuels nombreux et variés. Ils témoignent d'un mode d'existence où le « dehors » et le « dedans » ne s'opposent pas encore. Cette imbrication des espaces et la juxtaposition des fonctions - commerciale, familiale, ludique - qui en découle se traduit par une multitude de querelles qui ont pour cadre tant l'extérieur que l'intérieur des maisons. En recouvrant l'itinéraire quotidien du voisinage, ces litiges soulignent bien la mobilité des populations lyonnaises. Ils expriment aussi la diversité et l'intensité de leurs activités.

L'immeuble, la rue et le cabaret composent les trois espaces principaux d'affrontement. Le premier reste plutôt voué à la vie familiale, la seconde aux activités marchandes, le troisième aux loisirs. Sans exclusive pourtant puisque souvent les fonctions se chevauchent. Tous cependant sont l'objet d'une vigilance accrue de la part du Consulat qui cherche à transformer l’espace habité. Ces exigences nouvelles d'ordre et de salubrité se heurtent néanmoins à des obstacles difficiles à surmonter. L'entassement humain des quartiers centraux interdit toute intimité véritable et provoque de vives tensions. La chaussée publique reste un marché ouvert et turbulent en dépit des ordonnances municipales qui cherchent à refouler les riverains. La fréquentation des cabarets constitue une pratique populaire massive et illustre un code de la force et de l'honneur qui n'est pas celui des élites. En un mot, malgré l'effort des autorités urbaines pour policer l'espace et le temps - y compris nocturnes - les comportements collectifs demeurent encore très largement « traditionnels ».

Quant aux moments où s'exprime la violence entre voisins, ils suivent les activités ordinaires et quotidiennes des Lyonnais. Les mois d'été s'avèrent particulièrement conflictuels à cause d'une sociabilité plus intense et plus ouverte sur l'extérieur. D'autre part, les dimanches et les jours fériés sont les jours de la semaine qui voient éclater le plus grand nombre de querelles. Une intense décharge émotionnelle se manifeste. Elle permet d'évacuer les nombreuses tensions qui traversent la communauté de voisinage. Mais à ces périodes d'explosion succéderont des temps plus calmes. Chacun, ragaillardi pourra alors affronter les difficultés journalières avec une énergie et une vitalité renouvelées.

Notes
1403.

() Brackenhoffer (E.), op. cit., p. 119.

1404.

() Bayard (F.), Vivre à Lyon sous l'Ancien Régime, op. cit., p321.

1405.

() Arch. dép. Rhône, BP 3516, 15 juin1787.

1406.

() Arch. dép. Rhône, BP 3516, 2 juillet 1787.

1407.

() Grussi (O.), La vie quotidienne des joueurs sous l’Ancien Régime à Paris et à la cour, Hachette, 1985, 257 pages, pp. 103-119 ou Freundlich (F.), Le monde du jeu à Paris. 17815-1800, A. Michel, 1995, 294 pages.

1408.

() Arch. dép. Rhône, BP 3510, 3 août 1786; BP 3458, 30 septembre 1779.

1409.

() Roche (D.), Le peuple de Paris, op. cit., pp. 274-275.

1410.

() Roche (D.), Le peuple de Paris, op. cit., p. 262.

1411.

() Arch. Comm. Lyon, procès- verbal du 26 mai 1776.

1412.

() Arch. Dép. Rhône, 11 G 303, 7 juillet 1779.

1413.

() Arch. dép. Rhône, BP 3472, 20 juillet 1781.

1414.

() Arch. comm. Lyon, FF 09, ordonnance du 7 septembre 1729.

1415.

() Cf. troisième partie, chapitre 3.

1416.

() Sur les difficultés de voisinage liées au bruit, cf. troisième partie, chap.1, C.