Conclusion de la troisième partie.

Les chapitres qui précèdent permettent de saisir quelques unes des caractéristiques, propres aux conflits de voisinage.

La moitié des conflits a pour origine des injures verbales ou écrites ou encore des mimiques infâmantes. Celles-ci, en mettant en cause l’honnêteté ou la pureté des mœurs des victimes, notamment des femmes, cherchent à briser leur réputation. Si l’injure passe aussi souvent en justice, c’est que dans une société du « vis-à-vis » où l’honorabilité occupe une place de choix dans l’échelle des valeurs, jeter le discrédit sur autrui revient à menacer sa vie sociale et professionnelle. Pour les tribunaux cependant, le statut de la victime entre en ligne de compte. Conformément aux préjugés de l’époque, il est plus grave d’injurier une personne « de qualité » qu’un homme « du commun ». Aussi la faute peut-elle être sanctionnée plus lourdement ( 1417 ).

Un autre type de conflits et de délits pèse sur la collectivité : ce sont les querelles d’intérêt, les jalousies marchandes, les atteintes à la propriété et les défauts de paiement. Révélateurs d’un monde où l’opulence demeure l’exception, ils entretiennent un climat de tension et de suspicion entre membres du voisinage. Le vol, notamment, suscite peur et méfiance. Comme à Lille, le textile est la cible privilégiée des chapardeurs, les objets précieux et le numéraire venant ensuite ( 1418 ). Le vol, pourtant, reste rare. Il semble suggéré par les circonstances plutôt que médité et préparé.

Certaines querelles, enfin, découlent directement des structures de l’habitat. Surpopulation, étroitesse des lieux, promiscuité, incivilités, sont à l’origine d’une cohabitation difficile et astreignante. En posant la question centrale du mode d’occupation de l’espace, elles restent au cœur des préoccupations et de la vie quotidienne.

Une grande majorité de querelles est suivie de voies de fait. La violence éclate lorsque le voisin se sent attaqué dans sa dignité de père ou de mère, de travailleur ou de membre de la collectivité. Bien que l’agressivité demeure diffuse et reflète une société impulsive et encline aux rapports de force, les blessures sont exceptionnellement mortelles. Plutôt qu’attenter à la vie de son adversaire, le violent cherche à l’humilier publiquement, à le jeter à terre, à défendre ou laver son honneur bafoué. D’où des coups portés sur les parties du corps les plus symboliques : la tête, les bras, le bas-ventre. La plupart des bagarres se déroulent sans armes, à coups de pied et de poing chez les hommes, en mordant et en griffant chez les femmes. Au total, même si la violence est très présente dans la société lyonnaise, elle reste limitée et s’apparente plutôt à un « mode de vie » ou à une une culture commune qu’à un dérèglement des sens. Le confirme le profil socioprofessionnel des accusés. Si, parmi ces derniers, les couches populaires et artisanales sont largement représentées, les autres catégories ne sont pas nécessairement plus paisibles. Les femmes, les négociants, les membres des professions libérales savent, le cas échéant, user de la force. Certes, le prévenu type demeure, comme on pouvait s’y attendre, un individu de sexe masculin, jeune, issu des classes inférieures de la société lyonnaise. Toutefois, les actes de violence restent une pratique largement partagée, affectée d’un gradient social assez faible.

La multiplication des relations sociales est autant d’occasions génératrices de conflits. Dans ce domaine, Lyon ne présente aucune originalité. Les lieux de violence se concentrent autour des pôles habituels de sociabilité : l’intérieur des maisons, la rue, la boutique (ou l’atelier), le cabaret. Contrairement à ce que répètent certains historiens, ce dernier – il faut le préciser – ne constitue pas le cadre privilégié de la transgression. Ainsi que le souligne F. Bayard, il convient de relativiser son importance dans l’apparition des rixes et rappeler que ce sont dans les maisons que se produisent le plus gand nombre de conflits ( 1419 ).

L’analyse des conflits de voisinage permet de circonscrire des zones urbaines plus agitées que d’autres : la presqu’île, les quartiers populaires ou en construction, les abords des fleuves et des places, les immeubles surpeuplés. Elle autorise aussi une approche temporelle des comportements violents. Ceux-ci s’enflent tout au long de la journée, connaissent des pointes en début et en fin de semaine, s’affirment au printemps et pendant une partie de l’été. Si ces variations semblent témoigner d’une violence « en dents de scie », il faut rester prudent cependant. Ne reflètent-elles pas aussi et surtout les périodes d’activité et de vacances des tribunaux lyonnais ( 1420 ) ?

Notes
1417.

() Garnot (B.), (sld), Les victimes, des oubliées de l’histoire ?, op. cit., pp. 49-50.

1418.

() Guignet (P.), op. cit., p.329.

1419.

() Bayard (F.) in Garnot (B.) (sld), op. cit., « Porter plainte aux XVIIème et XVIIIème siècles » pp. 167-179.

1420.

() Ibid., p. 171.