5.3 Le lexique mental

Les recherches menées en psycholinguistique nous éclairent sur la manière dont les mots pourraient être stockés dans la mémoire de chaque individu. Ces données sont à la base de tous les environnements d’apprentissage du lexique, et de tous les systèmes cherchant à représenter des processus mentaux : la notion d’hypertexte est aussi basée sur ce principe, et c’est pourquoi elle est souvent utilisée en environnements d’apprentissage (Issac, 1997).

Les recherches en psycholinguistique montrent que les mots ne sont pas disposés au hasard, sans aucun lien entre eux, dans notre mémoire. Le nombre considérable de mots dont dispose chaque être humain suppose un classement performant et systématique. Un empilement en vrac dans la mémoire ne pourrait pas expliquer les performances étonnantes de chacun en matière de vitesse de reconnaissance et de production des mots.

Il ne faut pas penser non plus que les mots d’une langue sont organisés par ordre alphabétique comme pour un dictionnaire et qu'elles couvrent la réalité d’une manière régulière. Si le rangement des items lexicaux était alphabétique, on s’attendrait à ce que les lapsus fassent apparaître des mots proches alphabétiquement de ceux qui devraient normalement être produits. Or ce n’est pratiquement jamais le cas.

Mais la différence entre dictionnaire et lexique mental ne s’arrête pas là. Elle est bien plus profonde. En effet, on peut constater que les quantités d’informations de part et d’autre ne sont pas comparables. Le lexique mental contient de loin bien plus d’information que tout dictionnaire. Une foule de détails ne sont pas considérés car les dictionnaires sont inévitablement limités et ne peuvent pas contenir tous les détails possibles sur chaque mot. Hudson (1984, cité par Selva (1999)) remarque : « Il n’y a pas de limite à la quantité d’information détaillée… qui peut être associée à un item lexical. Les dictionnaires existants, même les plus gros, ne peuvent spécifier les items lexicaux que de manière incomplète. »

Les résultats des recherches montrent que les mots du lexique sont plutôt proches des pièces d’un « puzzle » qui s’emboîtent les unes dans les autres et qui se conçoivent les unes par rapport aux autres. Les choses ne sont pas si simples car il peut y avoir plusieurs mots pour exprimer une même notion tandis que d’autres concepts ne sont pas lexicalisés. Il y a parfois recouvrement de sens lorsque plusieurs mots ont un ou plusieurs traits en commun.

Beaucoup de modèles essayant d’expliquer ces cohabitations des mots dans le lexique mental ont été proposés, mais l’ensemble converge vers deux grands types de théories (Selva, 1999). Il y a d’une part les « atomic globule theories » et d’autre part les « cobweb theories ». Les premières affirment que les mots sont construits à partir d’un ensemble commun d’« atomes de sens » (en fait de primitives sémantiques) et que les mots reliés possèdent plusieurs atomes en commun. Les secondes considèrent que si les mots sont reliés entre eux, c’est à cause de l’existence de liens créés par les locuteurs. D’un côté, les mots sont vus comme un assemblage de morceaux élémentaires, de l’autre ils sont considérés à part entière avec leurs caractéristiques et formant un réseau (théories des toiles verbales). Même si le consensus n’est pas total, les chercheurs se tournent désormais davantage vers la deuxième type de théories, car l’association de mots dans la mémoire a pu être mise en évidence tandis qu’aucune expérimentation n’a montré de façon concluante l’existence des primitives sémantiques.

La théorie des toiles verbales (Aitchison, 1987, pp. 72-85), considère le lexique mental comme un vaste réseau, une toile verbale, dans lequel les nœuds sont les items lexicaux reliés entre eux par des chemins. A partir des réponses données aux tests d’associations, on établit que les liens peuvent être principalement de quatre types, classés par fréquence de réponse, les plus courants en premier :

Bogaards (1994, pp. 71), fait remarquer que ce ne sont pas véritablement les mots qui sont liés entre eux mais leurs lexies, c’est-à-dire des éléments ayant une unité certaine au niveau sémantique. Ainsi, les toiles verbales sont organisées selon des critères exclusivement sémantiques. Les mots sont principalement rangés en champs sémantiques et liés entre eux par des relations plus ou moins fortes suivant leur nature.

L’étude des lapsus montre aussi que très fréquemment un mot est remplacé par un autre de même catégorie grammaticale. Sémantique et syntaxe sont donc indissociables.

Pour finir, un dernier résultat concernant la morphologie et la dérivation : il semble que les mots soient stockés comme un tout à part entière et non pas décomposés en affixes et bases et recomposés lors de la compréhension ou de la production du discours.

Néanmoins, pour les mots décomposables ou fléchis d'une manière régulière, il semble que les marques de flexion ne sont pas stockées avec le mot mais ajoutées dans le feu du discours. Voyons maintenant les conséquences de ces résultats dans le processus de l’apprentissage lexical.