- Quelle conception de l’école rurale se dessine à travers l’oeuvre de Lucien Gachon?

Il nous semble utile de poser deux hypothèses en vue de saisir la présent problématique:

- l’oeuvre de lucien Gachon serait celle d’un pédagogue qui, au quotidien de son action éducative, de son analyse géographique ou de son travail d’écrivain, entend promouvoir une certaine idée de l’éducation des enfants des petits paysans. Il assigne à l’école la mission d’éduquer sans déraciner, pour préparer à la vie paysanne ou pour instruire en complément et à l’écoute du milieu.

- pour lui, l’émergence d’une école rurale resterait tributaire d’une volonté politique favorable au monde paysan. A la base des programmes devrait s’inscrire “ce que la vie de la ferme n’enseigne pas ou enseigne mal”. Par ailleurs, ce courant puiserait sa source dans un nouvel humanisme rural, à la fois base d’un renouveau de la langue française et ancrage des valeurs traditionnelles du monde rural.

Nous savons, par avance, combien les sociétés ont changé, que les questions soulevées par le monde rural ou les problématiques éducatives sont bien différentes de ce qu’elles étaient à l’orée du vingtième siècle. Le Livradois, les institutions éducatives, la sociologie et le monde politique d’alors, mis en parallèle avec Les enfances 4 de Lucien Gachon devraient nous conduire à comprendre ce qui a paru nourrir son cheminement. L’homme qui voulait “observer et comprendre les êtres et les choses de son pays” occupe le terrain, fait classe. Il écrit, analyse en géographe savant, toujours à l’écho de sa conscience paysanne et fidèlement à sa mission d’instituteur laïc. Nous approcherons Les écoles du paysan en nous attachant à souligner l’importance de leur préalable, le laboratoire de Saint-Dier. Nous observerons comment la guerre et la thématique vichyste emporteront cette utopie tandis que le pédagogue Gachon entendra agir à une autre échelle, sur d’autres enjeux, avec ce même souci du devenir des paysans. Toutefois, notre travail ne saurait se refermer sans le souci de trouver, à travers son oeuvre, une porte ouverte vers des questions tout aussi actuelles qu’essentielles à l’action de tout pédagogue.

“ Voilà le point cependant: le garçon de quatorze ans qui entre à l’Ecole Primaire Supérieure de la ville, il arrive de son village; si forte qu’ait été l’empreinte laissée par l’école primaire, elle n’est rien à côté de l’empreinte laissée en lui par le monde de la Nature, par le métier paternel, par l’exemple des siens. Il arrive déjà éduqué, déjà fortement façonné, si richement nourri d’expérience que le soumettre à la lecture du “Cid”, d’Esther”, du “siècle de Louis XIV” ou même d’un auteur contemporain vivant en ville, écrivant pour les adultes de la ville, c’est comme eût dit Montaigne, littéralement le déformer, lui imposer brusquement d’autorité l’exploration d’un monde d’idées absolument nouvelles pour lui. Et ainsi l’Ecole est un déracinement.”

(Lucien Gachon, L’Ecrivain-paysan , éd. des “Cahiers Bourbonnais”, 1970, p33).’

Notes
4.

Les enfances, premier volume d’Henri Gouttebel publié en 1971 par les éditions Guy de Bussac. Le roman après six révisions, comprenait initialement trois parties, les Enfances, l’Ecole Normale, la Carrière. Les Enfances sont la partie autobiographique du roman avant qu’Henri Gouttebel et Lucien Gachon ne séparent leur existence.