II.1.L’enfance sauvage à La Guillerie.

Lucien Gachon est le cadet des trois enfants d’Etienne et de Marie Gachon, née Chenenaille. Il voit le jour à La Guillerie, à l’aube du 21 septembre de l’année 1894. Dés lors, l’environnement et l’entourage vont exercer sur lui, dans les premières années de sa vie, une influence indélébile.

Agrandi et rénové par Etienne Gachon au printemps de l’année 1893, le domaine de La Guillerie, petit hameau de la Chapelle Agnon, est le berceau de la famille Chenenaille depuis 1707. Le grand -père, François Chenenaille, voit dans la naissance du petit François Lucien ‘“l’assurance de la continuité de l’exercice de la vie.”’ 13 Son affection et l’intérêt qu’il porte à son petit fils et filleul vont marquer celui-ci.

Le nourrisson est baptisé le lendemain de sa naissance. Il est entouré et soigné par tous‘.“Le berceau allait, venait, comme un nid au balancement d’une branche. D’autres fois, pas de banc de charpente dans la cuisine. Le père rempaillait une chaise ou tressait un panier en écorce de noisetier. Le dos contre la caisse de l’horloge, du côté de la lampe, la grand-mère tirait la laine de sa quenouille, enroulait son fil sur son fuseau. Reculé sous la cheminée, près de la caisse en bois, le grand-père entretenait le feu, crachotait, songeait.”’ 14

C’est du moins ce qu’a connu Henri Gouttebel 15. Dès qu’il est en âge de marcher, commence pour le petit enfant une première découverte du monde, dans un univers riche et vaste mais non sans risques. Le petit Ritou est mis en garde face au danger de s’approcher du puits de la ferme où, au dire de sa mère,

‘“il y a une bête, jaune et grise, la Bête qui tire à elle les enfants...”’ 16

Ce ne sont pourtant pas les interdits qui caractérisent l’enfance des petits de paysans. Les parents, tout entiers tournés vers leur tâche, en viennent à oublier leur marmaille. Tantôt ces derniers en profitent pour s’émanciper, tantôt ils aident les grands, à leur manière. Ainsi, le tout jeune enfant commence par découvrir un milieu végétal et animal à l’heure où les sens sont en éveil. Le milieu est ainsi appréhendé par les couleurs, les odeurs, les saveurs, et ces ancrages constituent la base de cette éducation du jeune paysan.

Plus fréquemment, il joue à suivre les uns et les autres dans leur tâches quotidiennes, avant de

partir explorer “le grand monde”, l’univers de la ferme familiale.

‘“...Voyages du cerisier, à l’orme, au châtaignier du côté de la bise, au frêne du côté du midi, voyages à l’étable et au jardin jusqu’au petit pré, devant la maison. La maman donne la main. Les petits sabots s’entravent dans les herbes. Devant les yeux, plus d’arbres: seulement, le ciel, et la montagne se joignant là bas, au bout du monde.

Monter l’escalier des chambres: plaisir à la fin trop connu; mais grimper dans la touffe du noisetier au coin du jardin, choisir sa branche, se cacher dans les feuilles, reparaître en haut quelle ivresse! Ritou est dans une forêt. En bas sont les choses qui font mal: les pierres, les ronces, les verres des bouteilles. Mais, sans les sabots, que les pieds sont légers! Une poussée du bras et la branche balance. Ritou est oiseau. Il a des ailes. Passe un coup de vent et sans qu’il bouge, il est balancé. Lui aussi, il est branche, feuille, noisette. Ah, cueillir cette touffe d’olagnes, là, au bout du rameau. Il monte encore, il s’étire, se fait serpent, ventre sur la tige, tête coulée. Miracle. Lentement, la tige s’écarte, pointe hors de la touffe, s’incline en arc sur le pré. Baisse, baisse-toi gente olagnière. Ainsi, descendre, glisser, sortir de la forêt triomphant..”
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Il en profite dès lors pour copier ses proches, s’initier, s’essayer à cette indispensable et incomparable école de la vie paysanne. La liberté et, de toutes parts, la vie l’accueillent. C’est l’âge des premières découvertes, celui où tous les sens sont en éveil, dans ce milieu où la diversité des stimuli n’a d’égale que leur vigueur. Il observe et, surtout, expérimente. La Guillerie, c’est la sérénité, l’immensité et la rudesse inscrits au coeur même du paysage. Au versant de la montagne, la vie est un combat et ne saurait laisser sans marques ceux qui y naissent.

Des racines de cette petite enfance, Lucien Gachon tire néanmoins, avant tout, le bonheur, sublimé par la mémoire. Des êtres et un environnement d’exception sont le berceau d’un homme d’une solide trempe.

Notes
13.

RICHARD Micheline, Lucien Gachon et les problèmes d’expression du monde rustique dans le courant du XX ème siècle. Doctorat d’état 1997, p36.

14.

Henri GOUTTEBEL, éd G. de Bussac, 1971 (épuisé), Tome I , Les enfances, p.17.

15.

Henri GOUTTEBEL, roman autobiographique de L. Gachon, auquel nous emprunterons de nombreuses citations. Il tient une place singulière dans son oeuvre et nous permet d’approcher une partie de sa vie.

16.

Henri Gouttebel, (op. cité), p.18, vol 1.

17.

ibidem, p.20.