III.1. Histoire des institutions éducatives en Livradois.

Les politiques de l’éducation suivent de près l’évolution des institutions de la France. Elles révèlent de multiples variantes, même au plus fort des périodes de centralisme. A suivre les mutations que connurent respectivement le département du Puy-de-Dôme et le canton de Cunlhat, nous pouvons comprendre, à travers les siècles, les enjeux, les fondements, voire les utopies conduisant soit à l’émergence, soit au déclin de structures éducatives, jusqu’à l’avènement de l’école laïque et gratuite et de l’instruction obligatoire.

Dès l’ère chrétienne et sous la domination des Romains, l’Auvergne accueille de célèbres écoles. Ainsi, à Clermont (Augusto Nementum) se trouvent respectivement, à la fin du V ème siècle, Dominitius, orateur distingué qui enseigne les belles lettres, le poète Héron, qui donne des leçons de poésie, et Nicétius, qui tient une école de droit. On ne sait pas précisément à quelle époque le Clergé prit la direction de l’éducation de la jeunesse clermontoise. De 725 à 931, se succèdent les invasions sarrasine, franque et normande, entraînant un recul manifeste de la civilisation et de ses structures éducatives. Les trente années du règne de Charlemagne sont une courte trêve, marquées par la naissance, dans les cathédrales et monastères, d’écoles gratuitement ouvertes à tous, comme le stipule le Concile de 789. Ainsi, au X ème siècle, sous la direction d’un Chanoine, des prêtres instruits, enseignaient la rhétorique, la dialectique, l’astronomie et le chant. Tout au long du XIII ème, les cours de philosophie et de théologie sont assurés par les Dominicains. Conduits par un chantre, près de trois cents élèves, issus des grandes familles de la région, étudient pendant sept années. Dans la deuxième moitié du XIII ème siècle, Billom compte une université qui, jusqu’au début du XIV ème, accueille près de deux mille étudiants.31 A l’école primaire, l’enseignement est dispensé en latin pour la lecture et en langue d’oc dans les autres matières. Les outils les plus rudimentaires sont utilisés pour écrire, tels que des bâtons de plomb mou, l’ardoise et les boîtes de sable fin. Dans le courant du XVII ème siècle, à l’invitation de Joachim d’Estaing, les Jésuites prennent le gouvernement du collège, se substituant progressivement aux Dominicains. Ils créent notamment un collège à Billom. Au cours du XVI ème siècle, rois et seigneurs se préoccupent de l’instruction et une ordonnance royale de 1560 la rend gratuite. Le clergé s’insurge alors contre cette incursion du roi dans la mission divine, conférée à l’Eglise, d’éduquer. Cependant, Henri IV persiste et édicte en 1598 une pénalité contre les parents qui négligent d’envoyer leurs enfants à l’école, à condition qu’il y en ait une. Il reconnaît, par ailleurs, l’ancien droit du clergé sur l’instruction publique. A leur tour, les Jésuites sont chassés en 1762. Le collège de Clermont, provisoirement confié à des prêtres séculiers à compter de 1771, se mute en institut dirigé par des instituteurs laïcs, nommés par le Directoire du département. En 1808, il devient collège impérial, avant de partager le même sort que tous les établissements de France.

En ce qui concerne les écoles primaires, en 1639, l’abbé Pierre Besse, seigneur de Meymond, fonde à Herment une école gratuite. Un autre Pierre Besse, Chanoine de St-Germain-Lembron, en crée aussi une dans cette localité. En l’An III, sous l’impulsion de Condorcet, la Convention vote l’obligation d’établir une école primaire en tout lieu où seraient comptés 2000 habitants. Des commissions de l’instruction publique sont chargées d’en étudier l’implantation et d’examiner les candidatures à l’emploi d’instituteur. Les bonnes moeurs et le civisme des candidats sont des conditions sine qua non pour les épreuves suivantes de lecture, écriture et calcul. Les jurys, faute de trouver en nombre suffisant des candidats compétents, incitent à la modération de ce projet. Les révolutionnaires désirent former des citoyens libres mais cette noble ambition ne trouve pas les moyens de se concrétiser. Talleyrand et Condorcet réclament dans tous les projets constitutionnels la gratuité. Le même Condorcet, suivi en cela par Romme, formule la nécessité de la laïcité, de la neutralité. Toutefois, à l’instar de Saint-Just, pour qui ‘“l’instruction chasse le vice”’ , les députés s’interrogent sur le bien-fondé du remplacement de Dieu par la France, de l’Eglise par l’Ecole, en somme de l’instruction religieuse par l’éducation morale et civique. Quant à l’obligation, c’est l’instituteur Lepelletier qui en est le plus chaud partisan, tandis que la question, discutée à la Convention, se heurte à la dure réalité du manque à gagner qu’entraînerait, pour les familles les plus pauvres, une telle décision. Pour autant, l’idée d’une école destinée à l’instruction du peuple, en dehors de tout catéchisme, est désormais lancée. Sous l’Empire, tout comme précédemment sous le Directoire, le souci de l’instruction populaire est quasi inexistant. La plupart des anciens instituteurs prêtent alors serment à l’Empereur et sont, sans difficulté, reconduits dans leurs fonctions. Leur nombre reste stable et leur niveau des plus médiocres, à l’instar d’une femme, enseignant à filer au rouet dans la commune de Nohanent, qui se voit confirmer le titre d’institutrice. En ce qui concerne les élèves et les écoles, Madeleine Schnerb relève une situation peu glorieuse dans le département du Puy-de-Dôme:

“D’ailleurs, pour se faire une idée exacte du nombre des écoles, il faut tenir compte de la multitude des petits cours clandestins qui séviront pendant tout le XIX ème siècle. D’écoles reconnues par les communes, un rapport de 1809 n’en signale aucune dans les arrondissements d’Ambert et d’Issoire, 67 seulement pour les trois autres arrondissements réunis...

Le reste échappe à tout enquête administrative, c’est dire combien l’Empire se désintéresse des petites écoles qu’il abandonne aux Congrégations là où elles veulent bien s’installer.”
32

Après l’utopie révolutionnaire, l’Empire se désintéresse de l’école primaire, pour ne faire porter ses efforts que sur la formation des fonctionnaires et des officiers. La Restauration constitue, dans sa dénomination, comme dans les faits, un véritable retour à la situation connue sous l’Ancien Régime. L’Eglise entend, dés lors, s’assurer des écoles. Un brevet de capacité est créé à l’adresse des maîtres, délivré par le recteur. Il ne dispense pas pour autant de l’autorisation de l’Evêque. Les congrégations religieuses reconnues n’ont pas à se soumettre à de telles procédures préalables. Enfin, la vigilance des Comités cantonaux place le maître sous la coupe du maire, du curé et de l’inspecteur, à l’unisson de l’ordre moral et des intérêts qu’ils défendent. Les paroles de Blatin, à cette époque Maire de Clermont, permettent d’appréhender les finalités

conférées à l’enseignement primaire par un pouvoir soucieux d’effacer l’épisode révolutionnaire.

“...Inculquer une éducation morale et religieuse, disposer les enfants à la docilité, cultiver leur mémoire et généraliser parmi eux l’émulation et les progrès.” 33

La loi du 8 avril 1824 veut aller encore plus loin, en confiant la surveillance des écoles aux évêques, ce qui constitue un camouflet à l’adresse de l’administration des précédents comités cantonaux. Ainsi, l’Evêque de Clermont, s’adressant par une circulaire du 16 juillet 1824 aux curés de son diocèse, recommande de veiller à l’assiduité des instituteurs aux offices divins. Si les comités n’eurent pas une réelle efficacité, faute de moyens matériels et de reconnaissance, il est difficile de porter un jugement relatif aux conséquences de cette politique. A titre d’exemple, le canton d’Ambert, n’ayant aucune école officiellement reconnue en 1809, en compte trente deux en 1824. Ces chiffres éveillent toutefois certaines réserves. D’une part, ces reconnaissances attestent, éventuellement, d’une grande facilité à obtenir des autorisations. Par ailleurs, les écoles clandestines continuent à fonctionner, hors de tout contrôle, et faussent les statistiques d’alors. Le quotidien des classes, pour ceux qui peuvent y accéder, est souvent affecté par la rigueur et l’autoritarisme sévissant. Le tout est généralement abrité dans un local de fortune. Pourtant, les idées pratiques d’Oberlin, de Jacotot et de Pestalozzi circulent tandis que, sous l’influence de la Société pour l’instruction primaire, l’enseignement mutuel entre en concurrence avec celui des congrégations religieuses. Rarement pratiqué dans le département, il est dépeint par ses détracteurs comme générateur d’athéisme et de républicanisme . Sans doute faut-il rappeler que, à cette époque, parmi les nobles et bourgeois à la tête de ce régime, certains pensent que trop de savoir déprave et que l’ignorance demeure un rempart contre le mal.

En somme, à la veille de la loi Guizot 34, rares sont les communes du Puy de Dôme à entretenir une école et il n’existe aucune méthode générale. Après l’épisode révolutionnaire, l’abandon sous l’Empire, l’enseignement primaire est retourné aux mains de l’Eglise, gage, pour les classes possédantes, d’une instruction recroquevillée sur sa morale, la foi et l’ordre.

L’Ecole Normale de Clermont-Ferrand est fondée en 1831. Les jeunes instituteurs mettent à profit leurs deux années de formation pour s’initier à l’écriture, à la grammaire, au dessin linéaire, à l’arithmétique, à la géométrie et à l’histoire. Une vingtaine d’élèves sont pris en charge, en partie par la ville, le département et le Ministère de l’instruction publique. Quatre vingts élèves y sont admis gratuitement, ce qui ne satisfait pas les besoins du département. Les congrégations religieuses ont vocation à combler de tels déficits, au regard de leur capacité à former d’autres instituteurs. En 1833, il n’est que 186 écoles, parmi les quelque 443 communes du Puy-de-Dôme. 35 Cette couverture insuffisante est à relativiser du fait de l’existence d’écoles non autorisées ou clandestines. La loi Guizot du 28 juin 1833, obligeant les communes de plus de 500 habitants à créer une maison d’école et à subvenir au traitement de l’instituteur, eut des conséquences diverses dans le département. Dans les faits, l’instruction demeure payante, bien que la gratuité soit consentie aux élèves indigents. L’école reste sous la férule du maire et du curé, puisque ce sont les comités qui désignent les instituteurs de leur choix. Dans l’arrondissement d’Ambert, six communes possèdent alors des maisons d’école. Dans le département, ces locaux sont dépeints comme humides et obscurs, laissant l’eau suinter le long des murs. Comme mobilier, on se contente d’une table carrée, de quelques bancs et d’une planche noire. Si le Ministère a fixé le revenu minimum de l’instituteur à 300 francs l’an, une grande disparité reste manifeste. A titre d’exemple, le maître de Montaigut perçoit l’équivalent de 1320 francs l’an, contre 60 francs pour celui de Saint-Magnier. Par ailleurs, les autorités, craignant l’arrivée en masse d’enfants pauvres, préfèrent se montrer plus larges en ce qui concerne les taux de rétribution horaire des maîtres, de manière à ce que ces derniers ne soient pas trop tentés d’augmenter leurs effectifs.

Ainsi, les familles les plus modestes, répugnant à déclarer leurs enfants indigents, les scolarisent rarement. Quand bien même certaines parviennent à en obtenir gratuitement la scolarisation, elles ont encore les plus grandes difficultés à fournir papiers et livres. Dans ces conditions, autant dire que cela condamne des enfants à ne quasiment rien apprendre.

En 1840, une estimation relève 14574 élèves garçons contre 10399 filles dans les écoles habilitées, tandis que 9200 élèves du département fréquenteraient des écoles clandestines.

A Cunlhat, en 1851, la commune dispose de deux instituteurs. L’un d’eux , Monsieur Viallis, tient son école dans sa propre maison, sise au hameau des Rouchoux. Au décès du second, Monsieur Mormilhat, des démarches sont entreprises en vue de l’établissement d’une communauté de Frères des Ecoles chrétiennes. Le conseil municipal, réuni en session extraordinaire le 25 octobre 1851, décide de leur installation à une majorité de 13 voix contre 4. Dés leur arrivée, le 19 novembre de la même année, trois classes sont ouvertes au profit de quelque quatre vingt dix élèves. Dés 1852, le Maire Bastien Deroure, considérant que ‘“l’Institution des Frères établie depuis peu donne les plus heureux résultats, qu’elle offre toutes les garanties d’avenir désirables quant au sentiment d’ordre, de morale, de religion, de famille et sous le rapport de la science’ 36 , propose au conseil la construction d’un édifice scolaire. A Cunlhat, l’Ecole communale resta jusqu’en 1885 tenue par les Frères, après quoi ils seront chassés. L’élection, le 15 mars 1851, au siège de maire de l’énigmatique Jean-François Edmond Guyot Dessaigne 37 bouleverse les données. Il recrute aussitôt une institutrice laïque en remplacement des religieuses, fondant ainsi une école laïque de filles dès 1882, avant même les lois Ferry.

A l’échelle nationale, durant la même période, il faut convenir que la loi Guizot a des conséquences inattendues, notamment en laissant une empreinte législative susceptible, par la suite, de faire le lit de l’oeuvre républicaine en matière éducative. Cela tient aux contradictions même de Guizot, comme le souligne Madame Schnerb.

“Une école gratuite mais pas pour tous, des écoles communales mais ni salles d’asile obligatoires, ni enseignement post scolaire, il semblait vouloir libérer l’esprit pour faire comprendre au peuple les rouages de la société, mais il ne voulait pas que l’esprit critique allât trop loin et attaquât les bases même de cette société...”

“L’attention des inspecteurs se portait donc vers les instituteurs qu’ils espéraient former selon un idéal plus conforme aux voeux du législateur de 1833: donner une instruction moyenne à tous, en développant le sens moral, pour éviter la progression du crime dans les classes populaires et pour attacher ce peuple au régime de Juillet...”
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Le Conseil Général de 1874 estime qu’il y a 31757 élèves, dont 18395 élèves dans les écoles laïques, contre 13362 dans les écoles religieuses. Peu importe l’établissement, les enfants ont alors pour unique lecture des livres de piété.

La loi Guizot, par la volonté affichée du législateur, renforce l’enseignement religieux. Elle conteste cependant le monopole des congrégations religieuses. L’école communale, pourvue d’un instituteur formé dans les limites de la mission qui lui est impartie, demeurant sous la férule des notables locaux, devient la rivale des ordres enseignants. Dans le même temps, les progrès de la scolarisation sont conséquents et la gratuité partielle favorise l’émergence de l’idée d’un service public de l’éducation. 39

Notes
31.

Grand dictionnaire historique du département du Puy de Dôme, éd Jeanne LAFFITTE, réédition de l’édition de Moulins, 1877.

32.

SCHNERB Madeleine, “L’enseignement primaire dans le Puy de Dôme, avant et après Guizot”; Revue d’Auvergne, 1936, tome 50, n°3.

33.

SCHNERB Madeleine, “L’enseignement primaire dans le Puy de Dôme, avant et après Guizot”; Revue d’Auvergne, 1936, tome 50, n°3.

34.

Guizot (loi du 28 juin 1833), en référence au Dictionnaire encyclopédique d’histoire de Michel Mourre, Bordas 1978.

“ Loi française sur l’enseignement primaire votée à la demande de François Guizot (4.X 1787- 12X1874), Ministre de L’Instruction publique. Elle disposait que chaque commune devait avoir au moins une école publique élémentaire et, si elle dépassait 6000 habitants, une école primaire supérieure. Une école normale primaire par département devait assurer la formation des instituteurs. La loi n’établissait ni l’obligation ni la gratuité, mais les conseils municipaux devaient désigner les enfants indigents, qui seraient admis gratuitement. Cette loi marque la création de l’enseignement primaire d’Etat, dés 1848, les écoles primaires accueillaient plus de 43000 élèves et 64 °/ 0 des conscrits savaient lire”.

35.

SEMONSOUS J., Puy de Dôme, Imprimerie Dumas, St Etienne; 1938.

36.

Archives de la Mairie de Cunlhat, copiées et gracieusement prêtées par mademoiselle Danièle FOURNIOUX.

37.

GUYOT-DESSAIGNE Jean François Edmond, homme politique français, né à Brioude en 1833, mort à Paris en 1907. D’abord avocat, puis magistrat (1863), il fut élu conseiller général en 1880, député de Clermont-Ferrand (1885) et fut toujours réélu. Il fut Ministre de la Justice dans le cabinet Floquet (1889), des Travaux Publics dans le cabinet Léon Bourgeois, à nouveau à la Justice dans le cabinet Clémenceau (éd Larousse du XX ème siècle, 1930).

38.

SCHNERB Madeleine, “L’enseignement primaire dans le Puy de Dôme, avant et après Guizot”; Revue d’Auvergne, 1936, tome 50, n°3.

39.

Bien plus tard, Monsieur Nique, observe ainsi que “...La doctrine de l’école de la république, qu’une imagerie militante nous fait apparaître comme une innovation bienfaisante, n’est au fond que la réutilisation de celle que définissait Guizot lorsqu’il créait l’école de la Monarchie de juillet.”

NIQUE C. & LELIEVRE C., Histoire bibliographique de l’enseignement en France, Retz, 1990, p116.