IV.3. Une nouvelle lecture de paysage.

A la rentrée 1931, la famille Gachon quitte Saint-Dier. Lucien Gachon est promu professeur adjoint à l’école primaire supérieure d’Issoire. C’est à Boudes que tout le monde s’installe, là où son épouse est nommée. Par cette nouvelle étape, l’horizon de l’instituteur va continuer de s’élargir, jusqu’aux heures sombres de la guerre.

Au début des années trente, Gachon est préoccupé par ses productions littéraires. Au souci de la publication de ‘Maria’ 54 succèdent ceux de la correction, puis de la sortie de ‘Jean-Marie, Homme de la terre’ 55 . Ce roman porte la ferveur de Saint Dier et rappelle ses amis paysans qui l’ont soutenu dans son entreprise éducative. Jean-Marie est un paysan courageux, symbolisant l’arrivée du progrès et la modernisation des campagnes. Par sa vigueur et sa jeunesse, il entreprend de détrôner le Maire de sa commune afin d’établir une plus grande solidarité entre tous ceux qui préfèrent aux vaines querelles ancestrales l’espoir d’un avenir nouveau pour les campagnes. Par ce roman, il se situe davantage dans la fiction que dans la lignée des témoignages de la vie paysanne tels que Maria. L’écrivain-paysan d’alors est des plus actifs au sein de la section départementale du syndicat des instituteurs, où le secrétaire national , Georges Lapierre, lui confie une chronique littéraire intitulée L’Oeuvre des Nôtres”. Elle paraîtra jusqu’au dernier numéro d’avant la guerre. A cette époque, il ne fait aucun doute, pour lui, que la cause paysanne doit épouser celle du monde ouvrier. Il est écrivain-paysan parmi les écrivains prolétariens. Par ailleurs, l’action syndicale et politique va lui permettre de défendre ’la cause’.

De 1931 à 1937 professeur à l’école primaire supérieure d’Issoire, il est secrétaire de la section locale de la S.F.I.O. Cet engagement, tout comme l’implication dans l’Ecole Libératrice, vise à joindre aux revendications ouvrières celles du monde paysan. Il est aussi membre de la Ligue des Droits de l’Homme et du Comité Antifasciste.

La famille Gachon profite de l’été 1937 pour déménager et s’installer à Chamalières, au Clos des Baumes. Lucien Gachon ambitionne un poste de professeur à l’Ecole Normale. A tout juste un kilomètre plus haut, il a acheté quelques années auparavant, une parcelle, peuplée d’anciennes vignes, traversée par une source, et située à deux pas du centre de Clermont -Ferrand 56. Il s’éloigne davantage encore du berceau paysan de la Guillerie, mais enracine ses projets. Une maison moderne est bâtie, une sorte de nid où il travaille à son aise, bien dans ses meubles, pour classer, trier, ordonner ses documents, recevoir dans de meilleures conditions ses indispensables amis. De sa chambre orientée à l’est, ses regards se tournent vers sa chère colline. Il peut encore toucher terre, demeurer paysan de sa vigne et de son potager. Profitant, pour l’année scolaire 1937-38, d’une année de mise en disponibilité, assortie de bourses glanées à l’Académie de Sciences et au Conseil Général, il écrit et soutient deux thèses (Les Limagnes du sud et leurs bordures montagneuses et Une commune rurale d’Auvergne au XVIII ème siècle: Brousse Montboissier).

Lucien Gachon a tout juste le temps d’exulter. L’orage gronde, se précise, et c’est bientôt la débâcle. Depuis l’Ecole Normale où il enseigne, il est assailli de doutes et de contradictions. Sa confiance envers le progrès, l’euphorie de sa jeunesse, le sens à donner à son engagement sont bousculés quand les événements semblent donner raison à la froide machine des envahisseurs.

Notes
54.

MARIA; Lucien GACHON (1925), préfacé par Henri Pourrat Paris, Aux éditeurs associés. La quatrième édition est parue en février 1994 aux éditions Lucien Souny.

55.

JEAN-MARIE, HOMME DE LA TERRE; (paru en 1932 , réédité en 1981 aux éditions Slatkine).

56.

“L’après-midi d’un jeudi de mai 1932, ayant été avisé qu’une vigne était à vendre sur le coteau des Beaumes de Chamalières, j’allais examiner la parcelle. Je me postai à l’angle nord-ouest de cette grande parcelle avec sa “tonne” en son milieu et toute sorte d’arbre fruitiers. Après une heure au moins d’observations et de supputations, je pris ma décision. Ce serait sur ce coteau à l’amont de l’amphithéâtre clermontois que j’espérais vivre le reste de mes jours, car, par delà la Limagne et ses buttes volcaniques, à l’horizon oriental, j’apercevais la haute colline natale”

(Mémoires, “Lucien Gachon ”, Exposition réalisée par le CRDP d’Auvergne).