VI.3. La classe promenade.

Depuis son poste de Saint-Dier, d’où il s’attache à promouvoir son projet éducatif, Lucien Gachon est pionnier dans la pratique des classes promenade pour le département du Puy-de-Dôme. Il profite de la reconnaissance qui leur est donnée par les Instructions Officielles parues en

en 1923.

Il est encouragé par l’Inspecteur d’Académie de l’époque, H. Blanguernon. En poste dans la Marne, ce dernier s’est illustré au lendemain de la première guerre mondiale en évoquant l’adaptation de l’école au pays’. A son arrivée en Auvergne, il voit en Gachon l’artisan promoteur d’un tel dessein. Il ne se trompe pas, car ce dernier s’engouffre aussitôt par ce qui constitue une brèche dans la rigidité du dispositif éducatif.

Jusqu’alors, la géographie était enseignée à partir de nomenclatures. Il apparaît progressivement que l’espace vécu offre une illustration de qualité de faits géographiques. L’idée vient aux autorités éducatives de proposer des classes promenades, afin d’étudier ce que le maître aura choisi de présenter. Toutefois, il n’est pas concevable de laisser accréditer l’idée qu’il s’agit d’une promenade de santé; et les corps d’inspection ont en charge d’en contrôler le bon usage. Ces dernières sont soumises à autorisation et doivent être suivies d’un compte-rendu adressé à l’inspecteur. On imagine qu’elles s’adressent en priorité aux élèves des campagnes. Chanet 90 observe néanmoins une étonnante diversité dans les lieux où seront menées ces sorties. De l’usine au monument aux morts, le plus souvent à la recherche de verdure, ces classes promenade ont en commun de témoigner, de la part des instituteurs, d’une grande minutie dans leur préparation. A l’époque où les grands géographes dressent la carte de la grande France, les petits écoliers sont invités à découvrir leur proche environnement, à s’y enraciner. A terme, il apprendront à aimer les deux, la géographie constituant un auxiliaire précieux en vue de l’émergence d’un sentiment patriotique.

D’après les témoignages que nous avons pu recueillir, les pratiques de classe promenade de Lucien Gachon semblent peu intégrées par les maîtres de l’entre-deux-guerres. ‘’La classe promenade, élucidation du milieu concret, fusion de l’école et de la vie’ 91 , est l’instrument qu’il attend, de manière à ce qu’au sein de sa petite patrie l’instituteur puisse mettre ses élèves en situation de comprendre leur milieu de vie. Lucien Gachon part en classe promenade avec, pour seule préparation véritable, un itinéraire. Il réunit ses élèves et ne manque pas de répondre à leurs questions, tout au long de la marche. Il importait à ce maître que le groupe soit confronté à la vie. C’est un appel, la découverte d’une foule d’indices, de clichés à saisir pour qui apprend à exercer son regard. Le quotidien, le banal s’habille de l’étonnement, et c’est principalement dans les lectures de paysage que l’instituteur parvient à ses fins. C’est ’l’événement’ qui fournit le prétexte de la leçon. Les saisons, les reliefs, le règne animal, une simple taupinière, et voilà Lucien Gachon parti dans une envolée lyrique. Fort de ses savoirs paysans, de ses compétences de géographe, il confronte au regard naïf de ses élèves le point de vue de la nature dont il se fait l’écho. En cela, sa démarche est originale, en rupture avec le cours magistral.

Un témoignage recueilli auprès de Monsieur Paul Four 92, ancien élève du Cours Complémentaires de Lucien Gachon, permet d’approcher l’ambiance des classes promenade à l’époque de Saint Dier.

“ Nous sommes partis, toute la classe du cours complémentaire, aux beaux jours. Tout d’abord, nous sommes allés à la carrière. En chemin, Lucien Gachon s’arrêtait.

- Que vois-tu là?


Au besoin, il affinait sa question et s’il fallait, il répondait.


Nous sommes arrivés à la carrière. Les questions ont fusé.


- Qui connaît cette roche? ...-goûtez-là...


Nous avons ensuite observé le tuilier, au travail, et suivi la cuisson de sa production.


Ensuite, en direction de Trézioux, nous avons fait une lecture de paysage, profitant d’une vue dégagée surplombant Saint Dier. Enfin, nous nous sommes dirigés jusqu’au château fort de Boissonel.


Alors, notre maître nous a demandé d’en retrouver l’ancienne structure. Petit à petit, nous avons ainsi reconnu jusqu’au donjon.


Nous sommes rentrés non pas en rangs, mais en marchant tranquillement. Il y avait toujours un compte rendu collectif à la suite de chacune de nos sorties. Si nous avions l’habitude de ces sorties où se glissaient parfois d’autres instituteurs et même l’inspecteur, seuls les gens que nous rencontrions semblaient étonnés.”

Ce témoignage confirme à la lettre la méthodologie donnée par Lucien Gachon dans un de ses nombreux articles en faveur de la pratique de la classe promenade.

“ La classe promenade: on observe, on s’arrête, on prend note, on dessine, on arpente, on cube, on marche, on s’arrête, on s’assied et à nouveau on explique, on prend note de mots de phrases, on prépare sa composition française, on inscrit des données d’un problème, bref, on fait provision de matériaux qui seront ensuite élaborés proprement, minutieusement à l’école même. Car après la classe de plein-air, il faut la classe dans la classe, celle où l’on sort la langue dans la tension de l’effort après avoir bien respiré, bien ri et bien chanté, dehors dans la liberté de la nature sauvage, ou sur les routes civilisées.” 93

Il en sera de même, lorsque Lucien Gachon enseignera à l’Ecole primaire supérieure d’Issoire.

A l’Ecole Normale, il lui sera cependant conseillé, par la voix de son directeur ” de profiter de la disponibilité des jeudis pour organiser des classes promenade.” Pourtant, ces sorties tendent quelques années plus tard à se généraliser, notamment par les nouvelles Instructions données sous le Ministère Jean Zay et l’apparition, en 1938, des activités dirigées, incitant les maîtres à puiser dans le milieu local. Dans cet esprit et par l’exemple fourni par Lucien Gachon, il s’agit bien d’établir un tremplin démocratique vers des connaissances plus poussées du milieu. Les hommes de Vichy s’empresseront de faire disparaître ces dernières au profit de marches dont l’unique objectif est d’enraciner les enfants à leur proche milieu. Une telle interprétation annonçait de simples promenades d’oxygénation, où l’acquisition de savoirs importe peu et reste sans commune ambition avec les finalités que Lucien Gachon conférait à la classe-promenade.

Notes
90.

J.-F. Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Aubier, Histoires, 1996, voir chapitre “IX Eduquer hors les murs”.

91.

GACHON L., in H. GOUTTEBEL, instituteur, tome 2 p.44.

92.

Paul FOUR, ancien élève de Lucien Gachon à Saint-Dier d’Auvergne. Il a été son pensionnaire à compter de 1923, jusqu’à ce qu’il réussisse au certificat d’étude, avant de devenir, à son tour, instituteur.

93.

Lucien Gachon, “La pédagogie de l’enseignement primaire”, La classe promenade. (BMIU).