Chapitre VIII. “Les écoles du paysan”.



“Je suis allé dire cela, dimanche dernier, à Vichy, au ministre Caziot. Qui m’a écouté, qui est sympathique, qui est bien de la terre et qui , en effet, n’était pas prévenu. J’ai pu le faire parce que notre ami, ton voisin d’été aux Terrasses, qui est tout bon sens, qui voit comme nous, qui est au fait de toutes les questions rurales, m’avait introduit. Mais, rien, rien n’est prévu encore dans les milieux officiels pour parer au nouveau danger d’exode rural ainsi créé, rien n’est prévu pour un enseignement secondaire rural.



Allons au fond des choses: le rural qui veut rester rural, veut un enseignement qui le déracine le moins possible. Or vivre au moins six ans de sa vie, pour apprendre le latin, dans une école urbaine, c’est le déraciner. Apprendre le latin pour revenir ensuite à la terre? Il est un fait qu’on ne voit plus cela si on le voyait au siècle dernier. Faut-il savoir le latin pour lire l’Homme à la Bêche et se pénétrer de son enseignement? Par contre, pour pénétrer de cet enseignement, il faut s’être éduqué par le français, par le vieux français, par le dialecte, par le vrai bon paysan, par le milieu rural, en vivant sa jeunesse dans une école rurale où, tout au moins, la moins “citadine” possible par son atmosphère et son esprit, en ne cessant pas, tout en s’éduquant, de toucher terre, de vivre le dimanche, aux vacances dans sa famille et le milieu rural. Tu sais bien que tout ça, c’est vrai, c’est évident, si évident que j’ai quelques gênes même à te l’écrire”.


(Correspondances Henri Pourrat-Lucien Gachon, lettre du 11 octobre 1940, Edition établie par Claude DALET, Cahier H. Pourrat n°13, Clermont-Ferrand, Bibliothèque Municipale Interuniversitaire, 1996).’

Au lendemain de la défaite, abasourdi comme ses compatriotes, Lucien Gachon veut espérer. est tout d’abord séduit par ce vieux Maréchal, proche des paysans, soucieux de ressusciter le pays en s’appuyant sur ses valeurs ancestrales. En charge du savoir-faire de ses parents paysans, Il entend s’engager dans un projet éducatif au service d’une France rénovée, forte de ses ruralités. La terre offre une voie de salut propice à une rédemption. Il est fait appel aux bonnes volontés, à l’union de bons Français disposés à relever le défi d’une pseudo révolution trop pressée, pour l’heure, de régler ses comptes. mais, en ce domaine si sensible que représente la politique éducative, le Gouvernement de Vichy ne tarde pas à révéler au grand jour ses contradictions, voire son incurie à trancher des débats où s’agitent, en son sein, des composantes rivales.

Pour Lucien Gachon, l’école doit poursuivre l’oeuvre éducative du milieu et c’est en vertu de ce principe fondateur qu’il faut agir. A cette fin, il s’appuie sur les cultures paysannes, dont les principaux pôles sont la famille, le milieu et la langue. S’il ancre son plaidoyer tout naturellement à l’écoute de sa culture paysanne, il le destine néanmoins à toutes les ruralités confrontées au modernisme et à la généralisation de l’enseignement. Les Ecoles du Paysan constituent une tentative originale qui, à défaut d’avoir pu aboutir, révèle, parmi les primaires, une conscience traversée par le doute.