Quatrième partie: Audience et devenir des idées de Lucien Gachon”.

Un demi siècle plus tard, la résurgence des cultures régionales, la reconquête du milieu rural s’opèrent en silence. L’urgence est dans les banlieues, à tenter de colmater les brèches, tandis que se profilent de nouveaux impérialismes avec l’apprentissage obligatoire de certaines langues régionales ou que s’affirme de manière plus ou moins larvée la volonté de rompre avec l’unité nationale. Il reste à inventer une nouvelle utopie éducative fédératrice des différences, soucieuse de transmettre des savoirs et des valeurs fondamentales nécessaires pour opérer les multiples choix imposés par la citoyenneté et les technologies modernes. En la matière, le rêve des écoles du paysan constitue une précieuse expérience dans la mesure où elle cerne des problématiques demeurées d’actualité, tout en illustrant de manière criante les risques de détournement encourus par toute utopie. Au-delà de cet échec, il nous reste cependant à savoir, en allant à l’essence même du projet, pour une école qui ne déracinerait pas, ce que la relecture de Lucien Gachon propose aujourd’hui.

Le message de Lucien Gachon n’est pas à prendre au pied de la lettre mais nécessite la mise en relief de réalités et de modes de pensée émanant d’une autre époque. Le vocabulaire, les pratiques et les outils éducatifs ont beau évoluer, les questionnements s’articulent continuellement autour d’une certaine idée de l’homme, d’une philosophie de la vie. Il demeure ainsi des textes et débats fondamentaux qui renvoient à de véritables choix éducatifs et contribuent à l’émergence d’une éthique de l’éducation comme étant à la base de l’avènement de sociétés et d’utopies nouvelles. Les crises traversées par les sociétés modernes révèlent cette même nécessité, le besoin de se ressourcer dans une conception plus écologique de la vie, au sens propre du terme.

Dans cette perpective, l’oeuvre de Lucien Gachon reste à décrypter dans l’art et la manière de s’impliquer, de comprendre et d’agir. Toutefois, la rencontre du chercheur avec un milieu, une époque, des orientations philosophiques, ne produit que des vérités éphémères, sinon discutables. C’est bien là une fragilité révélant aussi la liberté et la diversité, perceptibles dans toute aventure humaine.

L’affirmation de finalités d’une action éducative inscrite dans une approche philosophique de la vie et l’élaboration de dispositifs didactiques en rapport avec elles sont au centre des travaux de Lucien Gachon. Constamment, il oscille de l’action à une réflexion propice à l’élaboration d’outils nouveaux, porteurs de l’utopie humaniste et ruraliste constituant la sève de son engagement. Par l’analyse critique de sa tâche, il améliore ses pratiques, précise l’orientation de ses choix, avec pour objectif central de ne point déraciner ses élèves, par fidélité au peuple de sa petite patrie. Le message se veut universel, s’adresse à l’instituteur, à qui il assène la mission d’inventer quotidiennement l’école de la vie, à l’écho de la conscience paysanne.