XI.2. Pour une éthique de l’aménagement du territoire.

Il serait ambitieux de prétendre connaître les solutions miracles, propices à l’avènement d’un nouvel âge d’or du monde rural. Ce dernier ne peut manquer d’être affecté par le dédale des nouvelles technologies, par la circulation des personnes, le brassage des cultures et les nouvelles données politiques et économiques. Les scénarios sont multiples; les indices précurseurs de toute ébauche d’analyse bien trop contradictoires. Dés lors, nous limiterons nos investigations à l’étude de quelques hypothèses vers lesquelles convergent les recherches et discussions concernant

l’aménagement du territoire et l’avenir du monde rural.

Evoqués, au singulier, le monde rural ou, au pluriel, les campagnes, les deux termes, aux consonances respectivement technocratiques ou passéistes, ont en commun la désignation d’une réalité fluctuante aux multiples facettes. L’hétérogénéité de terroirs et de réalités économiques et culturelles est désormais mise en valeur dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire, visant parallèlement l’égalité des chances des citoyens. L’Etat est garant de l’équilibre recherché. Les politiques conduites comptent désormais avec les pouvoirs locaux et avec l’Europe. Ces différents échelons administratifs se concurrencent et c’est encore l’Etat qui régule le tout, demeurant, à différents degrés, le principal pourvoyeur de fonds. Les 36558 communes nationales relèvent de situations extrêmement différentes. Il est des communes de moins de 50 habitants, d’autres dépassant le million. Les ressources naturelles ou industrielles, la richesse ou, par contraste, la pauvreté des résidants concourent à façonner des styles de vie très variés. L’entité communale tend à devenir obsolète, dépassée par d’autres échelons administratifs autorisant de véritables actions d’initiatives locales, tels que les syndicats ou communautés de communes à l’échelle des cantons. De même, l’arrondissement et, dans une certaine mesure, le département constituent des rouages administratifs qui ont perdu de leur importance au profit des régions. Les créateurs d’entreprises, les acteurs locaux souhaitent de longue date des simplifications tendant à leur substituer un interlocuteur unique. L’administration pourrait trouver ainsi un grand chantier de rénovation, à moins qu’elle ne se contente de profiter de l’occasion en vue de réaliser de substantielles économies. La recherche de qualité et d’efficacité des services publics n’interdit pas la proximité et la rentabilité. Dans tous les cas, le statu quo serait le plus mauvais choix. A tout échelon de la pyramide administrative, il est nécessaire de prendre en compte la volonté, les mentalités et l’histoire des populations concernées, tout en gardant la possibilité d’offrir les équipements disposés dans un quadrillage repensé pour plus d’égalité.

A défaut de s’en tenir à une lecture de paysage, un certain nombre d’indices attestent l’évolution du monde rural. Ainsi, les flux de l’activité humaine révèlent un réel changement. De nombreux géographes se sont ingéniés à comptabiliser les déplacements des ruraux, mettant en évidence leur multiplication pour des motifs professionnels, la satisfaction de besoins de consommation ou les loisirs. La qualité sans cesse accrue des réseaux routiers, la démocratisation de l’accès à l’automobile ont permis de rompre avec l’isolement qui caractérisait les ruraux. De la sorte, les campagnes ont connu une première révolution, parallèle à l’évolution économique, exigeant mobilité et réduction des coûts de production. Le monde rural n’est plus seulement la chasse gardée des agriculteurs et des retraités; des populations jeunes, salariées dans l’industrie, effectuent quotidiennement les trajets vers les pôles économiques qui les accueillent. Les modes de vie et les habitudes de consommation s’alignent sur ceux d’une même classe d’âge citadine. En certaines régions, la frontière entre la ville et les bourgs-centres avoisinants est imperceptible. Dans les zones rurales profondes, en autant de déclinaisons qu’il peut exister de terroirs différents, se côtoient dans un même village des populations frappées par la crise économique et venues trouver refuge, des “résidants secondaires” et des populations favorisées, parfois étrangères, attirées par le cadre rural et le faible coût d’acquisition du patrimoine foncier français. De toute évidence, il se produit quelque chose de nouveau en milieu rural, à défaut de quoi il ne subsisterait qu’un désert autour des quelques grandes agglomérations. La sociologie des campagnes révèle un brassage en cours, qui ne devrait pas manquer d’attiser des tensions, tout en annonçant l’exercice d’une citoyenneté de proximité de populations mues par des aspirations nouvelles. Dans L’ombre des communiqués alarmistes se nouent de formidables rencontres humaines, des rapports différents avec le milieu. En somme, si l’étude sociologique d’un bassin d’emploi, d’un pays, encourage à la perception d’un mouvement de recomposition du monde rural, il reste à cerner les outils et les limites d’un tel phénomène.

L’espace rural se trouve à une époque charnière de sa recomposition. L’étude des flux révèle toute l’importance des voies de communication et des politiques de transports au profit du développement des zones rurales. Les politiques les plus volontaristes ne peuvent à elles seules déplacer les montagnes; elles se heurtent systématiquement à des réalités financières. Le siècle de l’industrialisation, de la concentration massive des moyens de production et la recherche effrénée de gains de productivité traduit des signes d’essoufflement. L’apparition d’un syndicalisme paysan, soucieux de la qualité de ses produits et conscient du rôle qu’il doit jouer dans l’environnement, a réveillé les consommateurs les plus résignés. Les tentatives de marginalisation de cette audacieuse réaction n’ont fait qu’accroître sa vitalité. En quelques mois, un courant nouveau a traversé villes et campagnes, soucieuses de l’intérêt alimentaire commun. Par ailleurs, la recherche de la qualité, l’apparition d’unités de production à une échelle plus humaine, l’expérimentation du télétravail sont autant d’atouts profitables au tissu rural, du moins pour les territoires n’ayant pas atteint un point de non-retour. Le dernier recensement national (1998) a montré la fin de l’exode rural. Il se pourrait que l’Auvergne, à son tour, vienne à profiter de cette embellie. Le repli vers les campagnes semble n’avoir rien de commun avec un effet de mode mais résulter plutôt d’un besoin profond de se “ressourcer”, assorti nécessairement d’un solide projet de reconversion ou de redéfinition des activités professionnelles 214.

En somme, l’évolution économique et le grand chantier de la construction européenne constituent un nouveau défi, en Livradois comme dans toutes les zones rurales sensibles du territoire national. Dans la mesure où les contraintes économiques tendraient dans un proche avenir à s’atténuer au profit d’une plus grande facilité de lieu de vie, il reste à savoir si le “vouloir vivre” cher à Lucien Gachon, restera plus fort que les facilités d’une vie urbaine. A trop baliser des sentiers de grandes randonnées parsemés de maïs transgéniques, nous prenons le risque, au coeur des campagnes, de nous couper d’un espace de liberté indispensable à l’équilibre humain.

Notes
214.

A cet égard, nous avons pu profiter de la lecture du N°1872 Nouvel Observateur, de Septembre 2000, 20 F “Un citadin sur deux rêve de fuir la Ville. Vivre à la campagne”.