XII 1.La fin des instituteurs:

L’instituteur est mort, vive le professeur des Ecoles! Le slogan, au début des années 90, a marqué l’aboutissement des débats relatifs à la revalorisation de la fonction enseignante. Pour les composantes rivales du monde syndical, politique et les professionnels de l’éducation, la clameur, à défaut de s’étrangler, prend alors des accents bien différents.

L’enseignant du primaire est un être contesté, en proie aux contradictions nourries par sa fonction. M. Debesse 225, a cerné de manière poignante le lot quotidien des enseignants, aujourd’hui comme hier. Dans les années soixante-dix, les discours sont empreints de la lutte des classes, amplifient le doute. Un certain fatalisme se lit quant à la marge d’action de l’instituteur, ce que ne manquent pas de confirmer les propos de Baudelot et Establet 226. Cette critique des maîtres va de pair avec celle que traverse le système éducatif, à la même période. Dans les années quatre-vingt, pour un temps, les débats sont catalysés sur la question du monopole de l’enseignement. Les tentatives de reprise en main opérées par la suite, tant aux accents de l’élitisme républicain que par la caporalisation des directeurs, ne débouchent sur aucune véritable perspective pour les quelque 300 000 instituteurs.

Il faut attendre l’audacieuse réforme de la mise en place des cycles pour que des revendications remontant au plan Langevin Vallon puissent être entendues. La nouvelle loi d’orientation votée en 1989 suppose l’évolution des pratiques pédagogiques, en conséquence de quoi le recrutement et les modalités de la formation des enseignants des écoles primaires sont à revoir. A l ’instituteur recruté au niveau du baccalauréat, puis du DEUG, est substitué le professeur des écoles, obligatoirement titulaire d’une licence. Bien des propos aigres seront proférés à l’encontre de cette mesure. A gauche comme à droite, la parité entre professeurs et instituteurs paraît communément une hérésie. Au delà des corporatismes étroits, l’opinion générale se range à l’idée que le métier s’apprend sur le terrain et que sa complexité ne s’accroît qu’en fonction de l’âge des publics enseignés et ce n’est pas la Société des Agrégés qui le démentira. Le texte de madame Issambert Jamati, Les primaires, ces “incapables prétentieux” 227, dénonce avec force les arguments d’un procès conduit à l’encontre les instituteurs à chaque étape du lent processus d’établissement de la parité avec les enseignants du secondaire ou à l’émergence du collège unique. Les instigateurs, d’hier à aujourd’hui, ont pour trame commune de révéler la menace que font peser sur la prééminence des savoirs, des primaires rompus à la pédagogie puis aux sciences de l’éducation. Au delà de l’amalgame et de la caricature, il faut y lire la simple volonté de mise à distance de ceux qui n’ont pas accédé aux diplômes les plus élevés et qui, du fait de leur seule implication professionnelle, s’autorisent à aborder les questions éducatives.

La rupture syndicale suivra de peu la décision de faire du nouvel instituteur un cadre A. Dans la pyramide administrative héritée des armées napoléoniennes, cela fait de lui un officier. Plus concrètement, le professeur des écoles devra s’affirmer comme un concepteur, non plus comme un cadre exécutant. Il a ainsi trouvé un statut émancipateur. Il lui restera à en conquérir les outils, dans l’urgence des banlieues, sous la menace de fermeture des classes uniques. Enfin, les évolutions salutaires et les nouveaux défis se rapportant à la fonction ne justifient pas d’avoir abandonné la dénomination évocatrice d’instituteur, propice à inscrire ces chantiers dans une tradition de lutte.

Notes
225.

DEBESSE Maurice, in Traité de sciences pédagogiques, puf, n°7.

”-Tenu à distance par une administration lointaine et autoritaire, ignoré du grand public, manipulé par l’idéologie bourgeoise, l’enseignant occupe une place inconfortable. Il est dépossédé du pouvoir institutionnel qui incombe à son rôle social, par toutes les contraintes et les suspicions qui pèsent sur lui. Il est dépossédé du prestige lié au savoir, dans la mesure où on ne lui reconnaît pas de savoir spécifique. Il est un agent essentiel dans la transmission des valeurs qu’il lui arrive de récuser. Sa difficulté à conquérir un statut vient des craintes

qu’inspire sa situation “stratégique pour la stabilité et la continuité de l’organisation sociale. Perçu comme potentiellement trop puissant, l’enseignant est sans cesse menacé et refusé par tous ceux qui ne peuvent se passer de lui”.

226.

BAUDELOT & ESTABLET, L’école capitaliste en France, Paris Maspero, 1971; p:340.

“...Les instituteurs entretiennent par la situation de classe qui leur est faite, une double illusion laïque et démocratique. Il sont tout à la fois les agents de base de la scolarisation et des produits de la scolarisation. L’instituteur est à la fois sujet et objet d’inculcation... C’est sa situation de classe qui permet à l’instituteur d’adhérer aux représentations de l’idéologie bourgeoise.../ Ainsi, l’instituteur, issu des classes populaires, se trouve par sa formation, son désir d’ascension sociale et les pressions qui pèsent sur lui, un “sûr allié de l’idéologie bourgeoise.””

227.

Viviane ISAMBERT-JAMATI, Les primaires, ces “incapables prétentieuxRevue Française de pédagogie, n°73 de 1985, INRP.

Les livres récents qui dénoncent une dégradation catastrophique de l’école sont lus ici comme référant à un stéréotype de l’instituteur surgi à bien es reprises depuis un siècle dans la presse spécialisée. C’est un ignorant, un médiocre, un tâcheron qui emploie des techniques à l’aveugle et ne connaît rien à une démarche scientifique. Dans l’ancien stéréotype, il était dogmatique, dans celui d’aujourd’hui, il est laxiste, mais c’est un simple retournement de terme. Son grand forfait, c’est de s’enfler pour être confondu avec le professeur. Cette représentation est une arme de défense des plus titrés, qui a surgi à chaque tentative institutionnelle entre le primaire et le secondaire .”

(Résumé d’introduction au texte, p.57)