II. La dramaturgie en question

Le dénouement est associé dans les critiques de l’époque à des remarques plus générales sur l’intrigue ou l’action. Par exemple on oppose l’absence de l’une à la présence de l’autre. C’est ce que fait le Marquis d’Argenson critiquant L’Héritier de village :

‘“ Véritable farce, sans intrigue ni mariage. Il y a cependant un dénouement qui est la faillite du banquier”  43 . ’

La première phrase met sur le même plan l’intrigue et le dénouement attendu. La deuxième révèle le dénouement réel. En revanche, on unit complètement les deux notions, dans un jugement négatif, à propos des Sincères :

‘“Cette pièce est écrite avec bien de l’esprit et du feu, mais elle n’a presque rien de théâtral. C’est plutôt un ingénieux dialogue qu’une comédie. Dans une comédie, il faut une action, il faut une intrigue, un nœud et un dénouement. M. de Marivaux a cru pouvoir négliger cette règle”  44 .’

La structure interne est très clairement mise sur le même plan que l’intrigue et l’action. C’est donc toute une dramaturgie qui est questionnée  45 . Au-delà, se profile un nouveau problème : dans un théâtre réputé sans action et sans intrigue  46 , peut-on encore parler de nœud et, a fortiori, de dénouement ?

La dramaturgie marivaudienne semble donc poser des problèmes spécifiques qui expliquent peut-être que la critique ait préféré déplacer l’interrogation sur ce théâtre du côté de la structure.

Notes
43.

Dans F. Deloffre et F. Rubellin (2000), p. 623.

44.

Extrait de La Bibliothèque française, année 1739, vol. XXIX, p. 160, cité par F. Deloffre et F. Rubellin (2000), p. 1626.

45.

La critique n’est pas seulement formulée par les contemporains de Marivaux. F. Deloffre et F. Rubellin (2000) portent sur La Joie imprévue un jugement comparable : “non dépourvue de qualités, La Joie imprévue souffre d’un défaut essentiel, la quasi-inexistence de l’intrigue” (p. 1580). Plus loin, l’intrigue est qualifiée d’“assez mince”. Plus loin encore, dans un renchérissement : “c’est dire que la pièce ne peut subsister que par des éléments extérieurs à la combinaison centrale” (p. 1581).

46.

Cf. la curieuse autocritique de Marivaux à propos de L’Île de la raison, citée par F. Deloffre et F. Rubellin (2000), p. 668 : “Point d’intrigue, peu d’action, peu d’intérêt”.