2. descriptions techniques et commentaires non techniques

Outre ce contexte prescriptif, jalonné d’expressions jussives  112 , le dénouement intervient aussi dans un contexte descriptif, qui montre son caractère très codifié. Critère de genre, il sert, entre autres étalon­nages, à distinguer la tragédie de la comédie : la fin de l’une est aussi funeste que celle de l’autre est heureuse  113 . C’est même toute la dynamique de la pièce qui s’inverse d’un genre à l’autre :

‘“Dans la comédie, les débuts de pièce sont agités et les fins heureuses ; dans la tragédie, les débuts sont plus sereins et les fins épouvantables”  114 .’

La distinction porte sur des thèmes : les auteurs évoquent le mariage comme le dénouement standard des comédies :

‘“Comme l’amour est introduit dans presque toutes les intrigues comiques, et que la comédie doit finir gaiement, on est convenu de la terminer par le mariage ; mais dans les comédies de caractères, le mariage est plutôt l’achèvement que le dénoûment de l’action ; quelquefois même elle s’en passe. Voyez le Misanthrope”  115 .’

Elle porte aussi sur des codes liés à la présence de personnages : dans la tragédie, certains des principaux personnages manquent à l’appel à la fin de l’œuvre ou bien, s’ils sont toujours vivants, ils sont dans une affliction qui ne les incite qu’à l’isolement. La pièce se finit donc dans l’épure et le dépouillement. Dans la comédie et la tragi-comédie, voire la tragédie à fin heureuse et le “drame”, l’usage est au contraire de rassembler tous les personnages sur la scène, dans une montée progressive de l’énergie :

‘“Observons encore au sujet du dénouement en général, que pour qu’un Drame soit bien fait, il est essentiel que tous les Acteurs qui ont parus dans le cours de son action, servent à la terminer, & se trouvent sur le Théâtre lorsqu’elle est arrivée à sa fin”  116 .’

Ainsi, la présence de tous sur scène signe le dénouement de la comédie plutôt que celui de la tragédie, même s’il y a des contre-exemples  117 .

Sur ce critère du nombre de personnages présents sur scène, l’abbé d’Aubignac préconise même, dans la comédie, de faire répondre à un decrescendo dans l’Acte I par un crescendo dans l’Acte V, de sorte que les acteurs présents sur scène soient nombreux au lever et au baisser de rideau :

‘“La liaison de Présence est, quand en la Scène suivante il reste sur le Théâtre quelque Acteur de la précédente, ce qui se fait en trois façons ; La première, en mettant d’abord sur le Théâtre tous ceux qui doivent agir dans un Acte, et les faisant retirer les uns après les autres selon la diverse nécessité de leurs intérêts (…) et cette manière est belle pour un premier Acte. La seconde est, lorsque les Acteurs viennent sur le Théâtre les uns après les autres, sans que pas un des premiers ne sorte (…) et cette manière est bonne pour un dernier Acte…”  118 .’
Notes
112.

Par exemple “il faut que le dénoue­ment…”, “le dénouement doit toujours…”, etc.

113.

Cf. Delaudun d’Aigaliers (1597), 5, 4, p. 186, qui n’emploie pas le terme (“le commencement de la tragedie est ioyeux, & la fin est triste ; le commencement de la comedie est triste, & la fin est ioyeuse”) ; Lamy (1678), deuxième partie, ch. IX, p. 218 ; etc.

114.

Scaliger (1651), I, 6, p. 11 : “in illa (…) initia turbatiuscula, fines laeti (…). In Tragoedia (…) principia sedatiora, exitus horribiles”.

115.

Marmontel (1787), p. 362 ; voir aussi Corneille (1660), Premier Discours…, p. 179 ; Lamy (1678), deuxième partie, ch. IX, p. 218 ; etc. Développement et références dans J. Scherer (1981), p. 139-141.

116.

Nougaret (1769), p. 210 [p. 64].

117.

Cf. J. Scherer (1981), p. 141-144.

118.

D’Aubignac (1657), III, 7, p. 360.