3. dénouement et jugement de valeur

Critère de réussite ou d’échec, le dénouement est également couramment invoqué comme pièce à conviction, presque toujours à charge, pour juger de l’efficace d’une œuvre particu­lière ou d’un auteur. Ainsi en quelques pages du père Rapin (1674) :

[livre II], ch. XXII, p. 196 : “<L>es denoüemens <d’Euripide> ne sont point naturels, ce sont des machines perpetuelles : Diane fait le denoüement de la Tragedie Hippolyte, Minerve celuy d’Iphigenie dans la Taurique, Thetys celui d’Andromaque ; Castor & Pollux celuy d’Helene, & celuy d’Electre : & ainsi des autres” ;

[livre II], ch. XXVI, p. 215 : “Mais les denoüemens de Terence sont plus naturels que ceux de Plaute comme ceux de Plaute sont plus naturels que ceux d’Aristophane” ;

ibid., p. 219 (de Molière) : “Ses denoüemens ne sont point heureux”, etc. ;

[livre II], ch. XXIV, p. 209-210 : “Mais le foible le plus ordinaire de nos Comedies est le denoüement : on n’y réussit presque jamais, par la difficulté qu’il y a à dénouër heureusement ce qu’on a noüé. Il est aisé de lier une intrigue, c’est l’ouvrage de l’imagination : mais le denoüement est l’ouvrage tout pur du jugement : c’est ce qui en rend le succés difficile”.

Même les plus grands s’y sont parfois cassé les dents. Il est ainsi habituel de dire que Molière n’est pas un dénoueur (sauf chez ses partisans les plus fidèles : cf. Cailhava de l’Estandoux (1786), p. 361).

Étant le terme d’une œuvre qui se présente en théorie comme une progression continue de l’intérêt du spectateur  119 , il est de fait un moment particulièrement crucial pour juger de l’enthousiasme ou de l’ennui du public  120 . A. Bouchard (1878) résume, dans son article Dénouement, ces diverses données, d’une manière simpliste mais centrale :

‘“C’est le démêloir de l’imbroglio dramatique, et la partie d’une pièce la plus difficile à bien traiter. C’est le dénouement qui fait le plus d’impression sur le public ; il doit, tout en étant la conséquence logique de l’intrigue, satisfaire le spectateur et le laisser sous une bonne impression. Il doit être naturel et naître du SUJET. La comédie et le vaudeville usent et abusent du mariage comme dénouement : C’est dénouer une chose en y formant un nœud! Le drame et la tragédie ont le meurtre, le suicide, le poison et les grandes reconnaissances : C’est ma fille! C’est mon père!!”  121 .’

Au-delà même des règles proprement théâtrales, le dénouement est également le critère définitif qui permet de juger de la moralité de l’œuvre :

‘“Il faut surtout qu’à la fin de la pièce le vice se trouve puni, la vertu récompensée. Aussi est-ce toujours d’après son dénouement qu’une pièce est jugée morale ou immorale”  122 .’

C’est la raison pour laquelle Le Cid pose tant de problèmes à ses exégètes : son dénouement par mariage en espérance est par trop inconvenant. On est donc tenté de récrire la fin de la pièce de Corneille. Rappelons quelques propositions de Chapelain, telles qu’elles sont résumées par G. Larroux (1995), p. 213-214 :

‘“Un seul exemple, fameux entre tous, suffira à rappeler cette évidence, ce sont Les Sentiments de l’Académie française touchant les Observations sur la tragicomédie du Cid. Chapelain y reproche notamment à Corneille de s’être écarté du but moral de la poésie. Il y a du scandale dans les mœurs représentées comme dans le dénouement. En l’occurrence, Chapelain explique qu’il eût été préférable de sacrifier la vérité du sujet historique à la raison et à la bienséance. Ce qu’il fait en proposant plusieurs versions rectifiées de la fable du Cid : coup de théâtre et retour du père de Chimène qu’on croyait mort ; maintien d’un ‘mariage si peu raisonnable’ mais à la condition que le salut du royaume en dépende absolument ; victoire de l’honneur sur l’amour. Mais de ces ‘améliorations’ sans portée réelle une fois que le mal est fait, il semble que Chapelain lui-même ne soit pas véritablement satisfait, puisqu’il ajoute à leur suite : ‘mais le plus expédient eût été de n’en point faire de poème dramatique, puisqu’il était trop connu pour l’altérer en un point si essentiel, et de trop mauvais exemple pour l’exposer à la vue du peuple sans l’avoir auparavant rectifié’”.’
Notes
119.

Cf. par exemple La Motte (1730), Troisième Discours…, p. 632.

120.

Corneille (1660), passim, d’Aubignac (1657), à propos duquel cf. H. Baby (2001), p. 519 et suivantes, d’autres théoriciens aussi parlent souvent de spectateurs qui se morfondent, à cause d’une faute de compo­si­tion du dramaturge, comme par exemple un dénouement trop précoce suivi de nombreux vers et scènes de ré­cits devenus inutiles. On peut croire à les lire que c’est le respect des règles qui fait tout le succès de la pièce.

121.

A. Bouchard (1878), p. 85.

122.

Cailhava (1786), I, 54, p. 372.