I. Causes historiques

Les préceptes principaux et la terminologie de la dramaturgie classique sont, évidemment, rangés sous le patronage d’Aristote, dont le nom est difficile à éviter dans les différents traités de nos doctes. Parfois même, il suffit de se référer au “philosophe” sans autre précision (ainsi chez l’abbé d’Aubignac), et chacun comprend de qui il s’agit.

En réalité, les choses sont beaucoup moins simples. L’héritage grec, dont l’ampleur est considérable, n’est pas exclusivement aristotélicien. Et même loin de là  166 .

Les modernes ont hérité en réalité de deux systèmes terminologiques grecs : l’un est bien celui de la Poétique d’Aristote ; l’autre est un bloc de doctrines qui a été filtré par les Latins et transmis par les grammairiens, dont Donat et Diomède, auquel on peut ajouter les préceptes de l’Art poétique d’Horace. Ce sont ces deux strates successives qui se sont télescopées à la Renaissance.

La plus ancienne, chronologiquement, est celle qui remonte à Aristote. Mais la Poétique d’Aristote a été éclipsée jusqu’à la fin du Moyen Âge et redécouverte tardivement  167 . Aussi, c’est la plus récente des deux traditions, que pour simplifier nous appellerons le système de Donat, qui est la plus ancrée dans les usages scolastiques. C’est précisément à l’époque où commence à se dessiner une pratique théâtrale renouvelée, la tragédie humaniste en latin et en langue vernaculaire, et où va naître parallèlement le souci de composer une théorie de la dramaturgie, qu’Aristote ressuscité de l’oubli et revisité par d’innombrables commentateurs va venir, en surimpression puis en premier plan, superposer son système à celui d’Horace et de Donat pieusement transmis par l’Antiquité et le Moyen Age. Donc, au moment où renaît en Occident le genre du traité dramaturgique, ce sont deux systèmes différents et deux terminologies dont il faut rendre compte à la fois.

Notes
166.

Un grand merci à Christian Nicolas pour ses lumières dans ces matières délicates.

167.

Un peu remise au goût du jour par G. de Moerbeke, qui en proposa une traduction latine en 1278, la Poétique redevint d’un seul coup d’une actualité brûlante à partir de 1498, date de la traduction en latin de Giorgio Valla. Suivront les éditions grecques de Valla, d’Érasme, les traductions latines de Madius [Maggi], Paccius [Alessandro de’ Pazzi], Riccoboni, les commentaires, en latin de Robortello, en italien de Castelvetro, Segni, Denores, pour se contenter des textes les plus importants, qui s’échelonnent sur tout le seizième siècle. Rappel des principaux auteurs dans M.-C. Hubert (1998), p. 259 et suiv. ; J. Roubine (1996), p. 189 et suiv. Commentaires des théories en cause et extraits de textes dans R. Bray (1966) et A. Kibédi Varga (1990). Pour la transmission de la Poétique d’Aristote, cf. C. Naugrette (2000) p. 88 et suiv. Un grand profit est à tirer, pour tout l’historique de la poétique classique, de C. et J. Scherer dans J. de Jomaron (éd.) (1992), p. 209-266.