Ce choix correspond à ce que les linguistes nomment le “calque morphologique”. Si l’adaptateur analyse dans le terme grec une succession bien nette de morphèmes (préfixe, radical, suffixe), il peut être tenté de la reproduire en latin, ou en français 196 , morceau par morceau et dans le même ordre. Plusieurs mots de notre corpus sont concernés par ce procédé : ainsi sú(n)‑sta‑sis, régulièrement traduit en latin par con‑stitu‑tio 197 .
Le cas d’anagnórisis est particulièrement intéressant. Sa structure interne se décompose selon une formule métalinguistique / ’de nouveau’ + ‘reconnaître’ + ‘suffixe de nom d’action’ /. Insistant sur la formation même du terme, sur sa motivation et sa transparence 198 , Aristote invite les adaptateurs d’autres langues à utiliser le calque morphologique. Les traducteurs latins l’ont donc suivi en proposant a(d)‑gni‑tio 199 ; l’italien, au moins là où il faut traduire le passage en question d’Aristote, dit ri‑conosc‑enza ; le français, évidemment, dit re‑connaiss‑ance 200 .
L’inconvénient du calque morphologique est qu’il coupe le lien phonétique avec son modèle : reconnaissance n’a aucun rapport phonique avec anagnórisis, et, par conséquent, on perd facilement la trace de la source ; l’avantage du calque morphologique est qu’il rend accessible le sens étymologique du modèle : reconnaissance“veut dire”, tout comme anagnórisis en grec, “action de connaître une nouvelle fois”.
Ainsi avant-scène pour proscaenium.
C’est le terme qui sert de titre à Heinsius (1611 b et 1643), De tragoediae constitutione liber. Signalons que dans A. Duprat (2001), le mot constitutione manque cruellement dans la page de titre (p. 100). De constitutio, les doctes passent facilement à constitution, par emprunt lexical au latin : c’est le mot de Chapelain.
Il écrit en effet (Poet. 52 a 29) : anagnórisis d’ estín, hósper toúnoma semaínei…“l’anagnórisis est, comme son nom l’indique”…
Traducteurs et commentateurs néo-latins sont unanimes : Paccius (1549), col. 1338, ligne 38 donne agnitiones et systématiquement dans tout le texte ; de même Riccoboni (1590), p. 376 E, et passim) ; etc.
D’où des traductions telles que : “Agnitio est (ut etiam ex nomine liquet)…” (Paccius 1549, col. 1341, l. 44), “Agnitio autem est, ut etiam nomen significat…” (Riccoboni 1590, p. 378 D), “Et la riconoscenza, si come anchora il nome significa…” (Castelvetro (1576), TERZA PARTE, Particella decima, p. 238), “La reconnaissance, comme d’ailleurs le nom l’indique…” (J. Hardy, trad. de la coll. Budé) ; etc.