2. personnage et dénouement

a. les trois temps du personnage

Toute vie commence par une naissance et s’achève par une mort  255 . Mais la mort, programmée, prévisible, n’est pas un dénouement. C’est une fin qui ne se dévoile comme telle qu’au moment où elle est vécue dans le hic et nunc d’un temps dont la durée reste masquée pour celui qui le vit comme pour ceux qui y assistent dans une posture double de spectateurs d’autrui et d’acteurs de leur propre chemin.

Le personnage théâtral, création, “être de papier”, tire un de ses aspects mimétiques d’une inscription dans un laps de temps théorique situé entre sa naissance et sa mort. Lui attribuer un âge, c’est dire qu’il a accompli un parcours sur l’échelle du temps et qu’il peut aller potentielle­ment plus loin. Ce temps théorique est attesté par l’existence dans la tragédie de personnages historiques dont on connaît le destin ultérieur. C’est aussi peut-être parce que certains d’entre eux meurent au théâtre que l’on peut imaginer qu’il s’agit du temps théorique commun à tous.

Se superpose à ce temps théorique le temps du personnage à l’intérieur de la fiction, c’est-à-dire le temps dont on parle et celui que l’on montre.

Enfin il y a le temps de la pièce, celui qui est vécu par le personnage dans le cadre étroit du déroulement de la “machine infernale” ou de la “machine matrimoniale”.

Ces trois temps ont un début et une fin. Si l’on observe plus particulièrement les fins, on peut dire que la mort du personnage à la fin de la pièce réunit  256 et bloque à la fois les trois sortes de temps  257 . La mort du personnage offrirait donc un noyau idéal de condensation du temps  258 . Et comme le remarque Ionesco dans ses Entretiens avec Claude Bonnefoy,

‘“c’est la mort qui clôture une vie, une pièce de théâtre, une œuvre. Autrement il n’y a pas de fin. C’est simplifier l’art théâtral que de trouver une fin et je comprends pourquoi Molière ne savait pas toujours comment finir. S’il faut une fin, c’est parce que les spectateurs doivent aller se coucher”  259 .’

Notes
255.

F. Kermode (1967) inscrit les choses dans un lien avec le temps : “Men, like poets, rush ‘into the middest’, in medias res, when they are born ; they also die in mediis rebus, and to make sense of their span they need fictive concords with origins and ends, such as give meanings to lives and to poems” (p. 7).

256.

La condensation n’est peut-être pas si absolue que cela, car malgré ce qu’écrit finement J. Emelina (1986), p. 173, à savoir qu’ “elle est le point culminant effectif du malheur et a toujours lieu dans la pièce”, elle est parfois racontée et non montrée, ce qui crée une rupture dans le temps.

257.

Le Cid offre un exemple de condensation incomplète des trois sortes de temps : il ne montre pas la fin théorique de Rodrigue, c’est-à-dire sa mort ; la fin de la fiction est le mariage avec Chimène ; la fin de la pièce est la réconciliation des deux amants.

258.

Comme le dit M. Corvin (1986), p. 142, elle est “la meilleure négation du temps”.

259.

Cité par M. Pruner (1998), p. 38.