c. conséquences du choix du mariage comme fin de pièce

Le mariage comme fin induit deux conséquences.

(i) la hiérarchie entre les personnages

Dans la comédie, il y a des personnages qui se marient et d’autres qui les regardent se marier. Cette fin qu’est le mariage n’est pas leur fin. Quelle est donc leur fonction par rapport à cette fin d’autrui ? Elle est uniquement de renforcer sa crédibilité. Car s’il existe sur scène, pour deux personnages jeunes, une possibilité de se marier, c’est qu’existe aussi, comme dans le monde imité, un réseau familial et social. La constellation  268 des personnages est ce réseau. Les personnages témoins cautionnent en outre l’existence d’un temps théorique qui dépasse le cadre de la fin : s’il y a des parents, c’est que le jeune amoureux et la jeune ingénue ont été des enfants  269 , qu’ils seront un jour à leur tour des parents, qu’ils deviendront vieux. Les personnages témoins sont donc des marqueurs de temps.

Le fait que certains personnages se marient et d’autres non induit de fait une hiérarchie entre ceux qui ont accès à une fin possible et ceux dont le destin ne sera pas fixé par une fin. Cette hiérarchie ne préjuge pas de l’importance réelle des personnages pendant le reste de la pièce  270 . Elle est juste établie par rapport à la fin.

Le mariage crée donc un effet de gros plan sur quelques personnages, réduisant les autres à l’arrière-plan ou à l’évanescence, leur faisant perdre leurs traits individualisants pour les constituer en groupe de spectateurs. C’est d’ailleurs une des différences entre la fin du personnage par mariage et sa fin par mort : lorsqu’il meurt, son temps s’arrête, et le relais est alors pris par d’autres personnages qui assurent la fin de la pièce. Le mariage n’entraîne pas cette translation, il est fondé au contraire sur un continuum.

Notes
268.

Ou “configuration”. Cf. P. Pavis (1980), p. 86.

269.

La référence au temps de la première enfance est assez rare. Chez Marivaux pourtant on en trouve quelquefois. Dans L’Île des esclaves, Iphicrate fait allusion à la prime jeunesse d’Arlequin : “Tu es né, tu as été élevé avec moi dans la maison de mon père” (sc. IX). L’allusion est évidemment fondamentale dans La Dispute : “Quatre enfants au berceau, deux de votre sexe et deux du nôtre, furent portés dans la forêt…” (sc. II).

270.

La question de l’importance relative des personnages est complexe. Elle peut être résolue selon des critères comme la présence, le nombre de répliques, le rôle dramaturgique, la fonction de pivot… Parfois l’auteur s’ingénie à créer des fausses pistes. J. Scherer (1989), p. 47, rappelle que, si l’on en croit la préface du Mariage de Figaro, le héros de la comédie est le Comte Almaviva, ce que la lecture et le spectacle réfutent évidemment.