II. Le niveau structurel

1. le niveau de l’intrigue : la dimension narrative

La pièce de théâtre s’appuie sur un matériau narratif  274 . De fait, dans l’article “Texte” de leur Dictionnaire…, O. Ducrot et T. Todorov (1972)  275 rappellent, au paragraphe intitulé “le cas du récit”, la typologie des “intrigues”  276 selon N. Friedmann (dans “Forms of Plot”, Journal of General Education, 8, 1955), qui propose des exemples tirés indifféremment des romans ou du théâtre. Ainsi Œdipe Roi et Le Roi Lear sont donnés comme modèles de l’intrigue tragique, Tartuffe illustre l’intrigue de châtiment, La Mouette celle dite de dégénération. Cette typologie classe les intrigues en trois grandes catégories : intrigues de destinées, de personnage et de pensée. Mais si elle insiste sur la fin  277 et surtout sur le processus de transformation  278 , on reste à un niveau très superficiel d’analyse de cette transformation, et l’examen porte surtout sur les situations initiale et finale.

L’adaptation de ce modèle au théâtre a été faite par A. Ubersfeld (1982). Cette dernière propose de découper le texte de théâtre, distinguant trois moments dans le continuum :

‘“1° une situation de départ (l’ici-maintenant de l’ouverture du texte)
2° le texte-action
3° une situation d’arrivée.
Ce mode d’analyse est une opération abstraite, effectuée à l’aide d’une analyse de contenu ; elle suppose un inventaire de départ, un inventaire d’arrivée et entre les deux une série de médiations plus ou moins enchaînées. Cette opération abstraite n’est pas sans importance pour déterminer non tant tout ce qui s’est passé que ce qui a été dit”  279 .’

De fait, ce mode de structuration a un intérêt incontestable. Le modèle théorique appliqué à une pièce en particulier transforme ce qui était une situation en une situation de personnage ; c’est ce que fait A. Ubersfeld (1982), p. 209, pour Le Mariage de Figaro :

‘“Au départ, le Comte Almaviva veut posséder la fiancée de son valet Figaro. À l’arrivée, le Comte a couché, à la place, avec sa propre femme ; la médiation : une coalition des opposants a retourné la situation”.’

Le retour sur le personnage conduit A. Ubersfeld à choisir la situation initiale et la situation finale du Comte en particulier, ce qui transforme ceux qu’on a tendance à prendre pour des sujets/objets/adjuvants en opposants, en l’occurrence. Il y a donc là un point de vue sur l’œuvre qui se manifeste par une hiérarchisation des personnages.

Le caractère très général du modèle le rend très utile pour mettre en valeur des invariants. On peut imaginer ainsi de rendre compte d’une œuvre par une généralisation du passage entre un type de situation initiale et un type de situation finale : cf. le modèle tripartite que G. Forestier (1996 c) définit par “union, désunion (ou séparation), réunion” pour le théâtre de Corneille (p. 248).

À un niveau supérieur, ce modèle délimite des sous-genres ; ainsi c’est un type de situation finale qui distingue la comédie de la tragédie.

L’analyse du matériau narratif adapté au théâtre présente donc un intérêt en ce qui concerne la description de la situation initiale et de la situation finale. Mais s’appuyant essentiellement sur un contenu et étant applicable indifféremment à tous les genres, elle ne rend pas suffisamment compte de la spécificité du théâtre. Elle ne permet pas de comprendre ce qu’est ce “texte-action” qu’A. Ubersfeld (1982), citée, place en intermédiaire, et qui constitue ce qui est proprement la dynamique dramatique.

Notes
274.

Sur ces questions, cf. R. Durand (1975), p. 114.

275.

Aux pages 375-382.

276.

À prendre au sens moderne, et non au sens de nœud que le mot a chez les doctes de l’âge classique.

277.

Cf. “le récit se termine dans le malheur”, “l’histoire se termine par l’échec des héros”, “un personnage central ‘méchant’ triomphe à la fin, au lieu d’être puni” (p. 380-381).

278.

Comme le signalent les auteurs, “toute intrigue se fonde sur le changement”.

279.

A. Ubersfeld (1982), p. 208.