2. le niveau de la dynamique : la dimension dramatique

a. nœud et dynamique

Le terme nœud pose problème. Il paraît caractériser l’état de ce qui est noué plutôt qu’un processus dynamique. P. Frantz, dans son livre sur l’esthétique du tableau, signale exactement les réticences que lui inspire le terme nœud, auquel il préfère celui de climax :

‘“On emploiera ce terme [climax] dans le sens des poétiques dramatiques anglo-saxonnes, parce que, plus exactement que les termes employés dans les poétiques françaises (le nœud, par exemple), il désigne le cœur d’une pièce comme apogée d’un mouvement, d’une intensité et d’une émotion dramatiques”  280 .’

Le nœud est-il donc, fonctionnellement, un blocage ou un mouvement ? N’est-il pas plutôt le processus qui permet de passer d’une situation à une autre ?

Ces situations peuvent être décrites par un contenu d’ordre narratif  281 ou peuvent être caractérisées  282 .

Le problème se situe donc à la frontière de ces deux situations stables. Il est fondé sur une dynamique qui résulte de la production d’actions qui interagissent selon des principes d’action-réaction  283 ou de parallélisme. Ces actions entrent en synergie, en opposition. Il y a synergie aussi longtemps que de nouvelles actions et de nouvelles contre-actions sont possibles. À un moment donné, ce processus peut s’interrompre et s’achever ; ou bien il peut aboutir à un nœud qui revêt deux formes essentielles.

Soit il y a une impossibilité à susciter quelque action que ce soit et l’on aboutit à un blocage ; la pièce est alors menacée d’aporie, d’immobilisation, de non-achèvement. Soit c’est le mauvais projet qui est susceptible d’aboutir sans qu’aucune contre-action puisse l’en empêcher. La pièce est alors menacée d’être ce qu’elle n’est pas : par exemple, pour une comédie, de basculer dans le tragique  284 . Ce risque provoque un moment de crise qui agit aussi comme un suspens, une immobilisation de l’action dans lequel on reconnaît le nœud.

Dans le premier cas (où les actions se contrecarrent toutes), le blocage instaure une égalité entre les différents projets. Dans le second cas, il y a une hiérarchie implicite qui distingue le bon et le mauvais projet. On peut formaliser ainsi, à plusieurs niveaux, le fonctionnement de la dynamique dramatique :

On peut imaginer que des cycles intermédiaires se produisent ou se prolongent. Par exemple, une série actions / réactions  blocage pourrait tout à fait être suivie d’une autre série actions / réactions. Toutes les combinaisons sont envisageables.

À cette complexité, il faut ajouter une caractéristique propre à la comédie, à savoir la présence d’actions parasites ou de non-actions. La comédie joue, comme le rappelle J.-C. Ranger, sur l’“esthétique de la rupture” :

‘“Les interventions du hasard, en faisant interférer deux séries causales indépendantes, introduisent dans l’action des ruptures”  285 .’

Il faut donc être vigilant pour repérer à travers la multiplicité des actions celles qui constituent un axe de projet.

Notes
280.

P. Frantz (1998), p. 6, note 2.

281.

Cf. Corneille (1660), Premier Discours…, p. 182 : “Ainsi, dans les comédies de ce premier volume, j’ai presque établi deux amants en bonne intelligence, je les ai brouillés ensemble par quelque fourbe, et je les ai réunis par l’éclaircisse­ment de cette même fourbe qui les séparait”. Ce petit récit décrit une situation initiale (“j’ai presque établi deux amants en bonne intelligence”), et une situation finale identique à la première (“je les ai réunis”), séparées par une période de trouble. Cf. G. Forestier (1996 a), p. 126 et suiv.

282.

Ainsi lorsqu’on signale, de manière récurrente à la suite d’Aristote, qu’un personnage passe du malheur au bonheur ou du bonheur au malheur.

283.

On peut préférer cette formule action-réaction au terme de conflit, d’une part par ce qu’elle induit de dynamique, d’autre part parce que toute dramaturgie n’est pas une dramaturgie de conflit. Nous considérons bien évidemment qu’une parole peut être action.

284.

Cf. Le Tartuffe ou La Mère coupable.

285.

J.-C. Ranger (1996), p. 269. Cité également par V. Sternberg (1999), p. 72.