Conclusion de la première partie

Nous avons montré, dans les chapitres 1 et 2, que les problématiques de la fin s’appuyaient sur une terminologie flottante, pour plusieurs raisons : héritage et traduction, transmission de systèmes théoriques différents, niveaux d’analyse entrecroisés.

Dans le chapitre 3, nous avons posé comme postulat qu’il était important de clarifier sur quel plan le critique situe son analyse : personnage, structure de l’intrigue, espace textuel.

À chacun de ces niveaux correspond une dynamique propre et spécifique mais susceptible de trouver sa transposition dans un autre niveau. Ainsi, un projet de personnage entraîne le passage d’une situation initiale à un processus de transformation, se décline en actions et réactions, repérables dans des scènes ou des séquences textuelles formant unité.

Comment intégrer à cela le triptyque exposition / nœud / dénouement ? Selon nous, ces notions réfèrent à un niveau plus englobant, à savoir celui de la composition : elles décrivent en fait comment les trois niveaux analysés (personnage, structure, dialogue) s’articulent à l’intérieur de l’œuvre dramatique.

Elles sont du côté de la poétique : elles sont le moyen de la transformation du matériau narratif en matériau dramatique, de la gestion du système dialogal, de la mise en tension entre information et action à destination d’un lecteur-spectateur.

Ainsi, faire une exposition c’est à la fois faire parler des personnages pour la première fois, informer sur la situation initiale, montrer les conditions d’enclenchement de l’action, décrire un projet et le positionnement de chaque personnage par rapport à ce projet  319 .

Cela étant posé, nous prenons acte du fait que le terme nœud est problématique par son incapacité à rendre compte d’une dynamique que le terme dénouement restitue au contraire parfaitement. Aussi proposons-nous, dans les situations où il s’agit de mettre en valeur un processus, de remplacer nœud par nouement, terme qui a le double mérite d’être un parfait antonyme morphologique de dénouement et de rendre sensible ce processus. En outre, comme l’exposition et le dénouement, il se situe du côté de la composition, c’est-à-dire du travail du dramaturge : l’exposition c’est l’action d’exposer, le nouement est l’action de nouer, le dénouement l’action de dénouer. Nous réserverons nœud pour un autre usage, décrit ci-dessous.

Le nouement est donc un agencement d’actions et de réactions intégrées à un système dialogal, agencées dans des scènes qui sont mises en relation et composent des séquences. Le dénouement est constitué par les moyens mis en place pour que l’intrigue soit résolue et parvienne à la situation finale, pour que les personnages cessent de parler, pour qu’une macro-séquence de fin soit structurée par des séquences de natures diverses et achevée par les mots de la fin, pour que la pièce se termine selon les règles de l’art.

Si l’on pense le nouement comme un processus dynamique, son rapport au dénouement induit plusieurs modèles possibles. Le dénouement peut être considéré comme la fin de la dynamique, ce qui va l’interrompre pour permettre que s’installe une situation stable. Par exemple, si un projet de personnage dont on décrit l’évolution en étapes aboutit grâce à un stratagème, le dénouement est l’aboutissement logique du nouement ; il est situé dans son prolonge­ment. On se trouve alors dans le principe de composition suivant :

Il peut arriver aussi que le nouement soit mené jusqu’à une situation de blocage, que l’on nommera le nœud, point de cristallisation où l’action est immobilisée. Il s’agira d’observer comment ce blocage interagit avec le discours des personnages, le rythme de la pièce, de la séquence ou de la scène. Lorsqu’il y a un nœud, le dénouement, outre ses virtualités proprement dynamiques, a vocation à le supprimer. Prenons l’exemple de La Méprise : l’ignorance où est Ergaste de l’existence de deux jeunes femmes, que le port d’un masque rend à ses yeux indistinctes, entraîne une méprise. Ses entrevues alternées avec l’une ou l’autre de ces deux sœurs masquées qu’il prend à chaque fois pour l’unique Clarice, dont il a vu le visage, aboutissent à une aporie quand, dans la confrontation finale, Hortense se dévoile. Ergaste est alors stupéfait et la situation est bloquée : c’est le nœud. Lorsque Clarice, à son tour, se démasque, c’est le dénouement, puisque la méprise tombe d’elle-même et le projet initial d’Ergaste (épouser Clarice) peut se réaliser.

La triade prend alors la forme suivante :

Dans ce cas, le dénouement supprime le nœud tout en achevant le nouement. Mais il arrive aussi que le nœud soit supprimé avant que ne survienne le dénouement. Il s’agit de ces situations qui ressemblent à celles que nous avons décrites ci-dessus à partir d’analyses de V. Sternberg (1999) sur Molière : ce sont ces nœuds dont la disparition est nécessaire sans être suffisante (cf. p. 138). Nous proposons d’appeler cette phase de suppression de nœud le dénouage :

C’est désormais la terminologie que nous utiliserons dans notre étude du théâtre de Marivaux.

Notes
319.

Sur l’analyse de l’exposition dans cette perspective, cf. F. Epars Heussi (1998).