Deuxième partie : Typologie des structures événementielles

Introduction

Nous avons dans la première partie réfléchi à une modélisation théorique des niveaux d’analyse qui sont concernés par la question de la fin et nous en avons mesuré la complexité. Il ne s’agit pas d’appliquer ce modèle tel quel aux pièces en un acte de Marivaux pour en montrer l’éventuelle pertinence, mais de partir de l’œuvre marivaudienne pour la réinterroger à la lumière de ces réflexions.

Le théâtre de Marivaux peine à échapper à l’approche psychologique et la tentation de modèles structuraux parfois radicaux apparaît le plus souvent comme une protection contre une dérive menaçante : puisque les personnages de ce théâtre parlent de sentiments, il est tentant d’en conclure qu’ils les éprouvent, et cette prééminence du niveau du personnage contamine toute la réflexion sur la dramaturgie. Ainsi l’on insiste sur le fait que l’obstacle est intériorisé  320 et donc que c’est son “franchissement <qui> fait le nœud de la comédie”  321 . D’autres critiques présentent la dynamique de la pièce comme étant liée à l’évolution d’un personnage  322 . Cela est certes juste, mais réducteur puisqu’un seul niveau d’analyse est appelé en renfort.

Nous nous proposons donc d’aborder la question autrement en observant comment un lien s’établit entre thématique, structure et dramaturgie dans le corpus des pièces en un acte. Il est d’usage, en effet, de considérer que le théâtre de Marivaux traite uniment d’amour. Mais cela est-il si vrai dans les pièces courtes ? En outre, comment rendre compte d’une conversion entre thématique et structure narrative et dramatique ? Marivaux lui-même nous invite à y réfléchir lorsqu’il répond au reproche de ressemblance entre Les Serments indiscrets et La Surprise de l’amour :

‘“Je ne vois rien là-dedans qui se ressemble : il est vrai que, dans l’une et l’autre situation, tout se passe dans le cœur ; mais ce cœur a bien des sortes de sentiments, et le portrait de l’un ne fait pas le portrait de l’autre”  323 .’

La thématique est identique mais les situations et leur évolution sont différentes. Nous repérerons donc ce qui dans les titres réfère spécifiquement à la thématique et à la structure. En dehors des conventions et des usages, peut-on observer des indications sur les intrigues et leur aboutissement ou bien à un niveau supérieur, des références à un nouement (voire à un nœud) ou à un dénouement ? Ce sera l’objet du chapitre 1.

Comment la thématique se convertit-elle en une structuration qui rende compte des différents niveaux de l’intrigue et aussi de la dynamique de la pièce ? Nous proposerons, dans le chapitre 2, ce que nous nommons une topographie amoureuse ou un parcours amoureux.

Dans le chapitre 3, nous appliquerons ce modèle théorique aux grandes pièces afin de dégager, par contraste, la spécificité des pièces en un acte.

Quittant le niveau de l’intrigue, nous nous arrêterons sur l’organisation des scènes en séquences afin d’interroger la pertinence d’une transposition du modèle proposé par G. Conesa (1991) sur Molière à notre corpus. Y a-t-il une organisation séquentielle des pièces en un acte dans laquelle la séquence de fin trouverait tout naturellement sa place ? Ce sera la question du chapitre 4.

À l’issue de cette étude sur les procédés dynamiques à l’œuvre dans les pièces en un acte, nous réfléchirons à la façon dont ils posent autrement la question du personnage et dont ils déterminent des types de dramaturgie tout à fait particuliers (chapitre 5).

Notes
320.

Sur l’obstacle intérieur, cf. J. Scherer (1981), p. 65-66.

321.

F. Deloffre et F. Rubellin (2000), p. 1800.

322.

Cf. G. Poulet (1952) et B. Dort (1962).

323.

Dans F. Deloffre et F. Rubellin (2000), p. 1066.