b. le titre fragmenté

Parfois le titre, composé de plusieurs mots, est rappelé au fil d’une réplique, mais sans respect pour son intégrité. Il est livré démembré, en kit, en quelque sorte. C’est le cas pour Le Triomphe de Plutus, par exemple  389 , L’École des mères  390 , et, avec plus de complexité, pour L’Héritier de village  391 .

Le titre autorise un rapprochement entre des éléments disjoints, situés à proximité l’un de l’autre, que l’oreille ou l’œil remettent ensemble pour recomposer le titre, qui entre ainsi en résonance avec le texte. Il serait intéressant de savoir si Marivaux trouvait le titre préalablement à la fable  392 ou s’il le constituait après coup. Pour les pièces en un acte, en tout cas, l’originalité du titre n’étant pas, on l’a dit, un véritable enjeu, on peut supposer qu’il intitulait après coup, ou en même temps qu’il produisait et développait l’intrigue, en choisissant pour le titre une accroche brève et efficace  393 , sans recherche stylistique, créatrice spontanée d’un espace poétique. Les titres de Marivaux, dans les formes courtes, visent à la lisibilité.

Notes
389.

Sc. XVIII (Apollon) : “Plutus, vous l’emportez sur Apollon ; mais je ne suis point jaloux de votre triomphe”. Les deux mots principaux du titre, donnés en sens inverse, encadrent le verbe “(l’) emporter” qui figurait dès la sc. I : “Apollon : ‑Franchement, vous n’êtes pas fait pour me disputer son cœur. / Plutus : ‑Parce que je suis fait pour l’emporter d’emblée”.

390.

Les mots du titre de cette pièce n’apparaissent que dans le divertissement final, en post-scriptum pour ainsi dire. Il faut, comme dans l’exemple précédent, le recomposer en inversant l’ordre du premier et du dernier mot d’une micro-séquence : “Mère qui tient un jeune objet… (…) / Il faut l’envoyer à l’école”.

391.

Le rapprochement doit se faire entre une partie de la didascalie initiale et une partie du dialogue. La didascalie précise que “la scène est dans un village” et, dans la scène I, décrivant la situation de son mari par rapport au défunt, Claudine affirme : “T’es son unique hériquier”.

392.

La chose n’est sans doute pas rare. G. Genette (1977), p. 65, évoque “ce cas inverse du titre trouvé d’un coup, et parfois bien avant le sujet de l’œuvre (…). [Il] n’est nullement exceptionnel, et encore moins indifférent, puisque le titre préexistant a toutes chances d’agir alors comme certains incipits (voyez Aragon, ou le fameux “premier vers” soufflé à Valéry par les dieux), c’est-à-dire comme un incitateur : une fois le titre présent, ne reste à produire qu’un texte qui le justifie… ou non”.

393.

Peut-être que certaines pièces peuvent partir d’un défi lancé à soi-même : faire une utopie, par exemple. Dans ce cas le titre, assez convenu et traditionnel (La Colonie, L’Île des esclaves), ne contraignant en rien l’intrigue elle-même, peut très bien coexister avec le projet même d’écriture, et donc préexister au texte. On voit que c’est plus difficile avec Le Petit-Maître corrigé par exemple (en trois actes).