d. le titre par condensation

Le titre ne figure pas dans la lettre, mais dans l’esprit du texte. Il apparaît alors comme la traduction condensée de plusieurs éléments épars dans la pièce. Il subsume plusieurs indices textuels plus ou moins synonymes, dont il est la substantifique moëlle, le substrat, l’idée-force.

Par exemple, l’expression Arlequin poli par l’amour n’apparaît pas telle quelle dans la pièce. Mais des expressions avoisinantes permettent de suivre les progrès d’Arlequin jusqu’au résultat qu’indique le titre. Par exemple, au début de la pièce : “…tous ses traits seront adorables quand un peu d’amour les aura retouchés”  396 . Plus loin : “As-tu vu comme il est changé ? As-tu remarqué de quel air il me parlait ? Combien sa physionomie était devenue fine ? Et ce n’est pas de moi qu’il tient toutes ces grâces-là!” ; “Ah! qu’il faut qu’il ait pris d’amour pour avoir déjà tant d’esprit!”  397  ; “…et ton changement est l’ouvrage d’une misérable bergère!” ; “…j’oublierai de quelle part t’est venu ton esprit”  398 .

Réplique après réplique, on suit l’évolution d’Arlequin jusqu’à ce que, dégrossi par l’amour, il réponde aux promesses du titre. Au début de la pièce, il est en devenir et ses progrès sont envisagés au futur ; le changement constaté s’exprime ensuite au passé composé ; le résultat acquis de la métamorphose s’exprime enfin au présent, ou au passé composé à valeur perfective. Les changements de temps s’expliquent par le changement qui s’opère dans les actants. La Fée, instigatrice de cette éducation, est progressivement écartée de son rôle et, déchue de tout pouvoir, se mue finalement en spectatrice de la métamorphose d’Arlequin opérée, sans magie, par la grâce d’une autre. Le titre, avec son participe passé à valeur perfective, notant l’achèvement de l’action de “polir”, représente l’aboutissement de tout le processus montré dans la pièce et qu’on peut schématiser ainsi :

Un procédé similaire de condensation s’observe dans La Femme fidèle, même s’il n’y a pas dans cette pièce le même genre de progression que dans Arlequin. Dans La Femme fidèle, de nombreuses occurrences ont pour fonction de montrer que la Marquise n’a pas oublié son mari. La fidélité est désignée par des formules périphrastiques qui émaillent le texte. Cela ne fonctionne pas sur le schéma d’une évolution dont on suivrait les progrès, puisque la fidélité est une notion absolue qui ne souffre pas le degré : la Marquise est fidèle, ou elle ne l’est pas ; et en l’espèce elle l’est. Les formules sont donc convergentes, plusieurs personnages affirmant chacun à sa manière la même idée, ce qui crée un sens par strates successives, par superpo­sition de couches de la même couleur, un sens par l’épaisseur. Quelques exemples :

‘“Frontin : ‑ [Rien ne semble changé dans ce jardin-là. Reste à] savoir si nos femmes sont de même. (…)
Le Marquis : ‑…je reviens toujours plein d’amour pour elle, fort en peine de savoir si ma mémoire lui est encore chère. (…)
Colas : ‑Il est certain qu’elle vous aime autant que ça se peut pour un trépassé. (…)
Le Marquis : ‑Elle lui était donc extrêmement attachée ?
Madame Argante : ‑Ah! Monsieur, cela passe toute imagination. (…)
Le Marquis : ‑Je crois qu’elle ne sera pas fâchée de me retrouver. (…)
La Marquise : ‑Que pourrait lui-même me reprocher le Marquis ? Je le pleure depuis que je l’ai perdu et je le pleurerai toute ma vie. (…)
La Marquise : ‑Le Marquis n’est point trompé. (…)
La Marquise : ‑Tout mon cœur est à lui”  399 .’

Il s’agit donc d’un thème avec variations, le thème étant défini par le titre, qui synthétise sous la forme la plus simple toutes les propositions émises par les différents personnages. Les répliques ne visent donc qu’à confirmer le titre. Le fait que tous les protagonistes disent la même chose prépare l’acmè de la pièce, la scène XVI de révélation et de reconnaissance. Le titre prend alors place dans une constellation qui a cette forme :

Dans les deux pièces évoquées ici, le titre est le relais d’un champ lexical ou de propositions sémantiquement équivalentes dont il assure à la fois la synthèse et la traduction fidèle, reproduisant dans son intégrité l’idée commune à tous ces éléments textuels.

La dernière catégorie est beaucoup plus complexe, s’établissant sur des relations très lâches entre titre et matériau textuel.

Notes
396.

Scène I.

397.

Scène VIII.

398.

Scène XIV.

399.

Respectivement scène I, scène II, scène VI, scène VII, scène XVI.