2. une annonce de la fin ?

Il est notoire que le titre littéraire n’a pas vocation à révéler la fin de l’œuvre. Les théoriciens le disent explicitement : si la nature du dénouement peut être déduite du titre, alors le plaisir que le spectateur (ou le lecteur) peut trouver a priori dans le sujet de la pièce s’estompe d’emblée, du moins le plaisir qui réside dans la surprise de la découverte de la fable. D’Aubignac est catégo­rique sur cette matière ; Cailhava de l’Estandoux également  405 .

À cette aune, la plupart des pièces des dix-septième et dix-huitième siècles sont mal intitulées. En dehors de celles qui ont un titre injustifié, comme cette Orpheline léguée dont se moque Cailhava de l’Estandoux (1786), p. 122, et qui, au moment de tomber sous les murmures d’un public qui, dans l’intrigue et les dialogues, “ne trouvait rien de ce qu’il attendait”, fut sauvée du désastre par une nouvelle intitulation plus conforme, L’Anglomane, la plupart des titres de pièces en disent plus qu’il n’en faudrait. Par exemple, le sous-titre de la Cyminde de l’abbé d’Aubignac lui-même, à défaut de révéler leur identité, enlève en tout cas toute surprise sur le nombre des deux victimes et en dit déjà sans doute trop  406 .

Concernant Marivaux, qui, selon le critère de la conformité du titre aux règles établies par les doctes, n’est ni meilleur ni pire que les autres dramaturges, on peut tenter une première distinction grossière entre deux catégories : celle des pièces qui, dans leur titre, disent explicitement quelque chose sur leur fin et celles qui sont à cet égard résolument muettes. Cette première répartition isole d’un côté les pièces à titre trop loquace, selon les théoriciens, et les pièces au titre moins révélateur. Dans les premières, on classera Le Père prudent et équitable ou Crispin l’heureux fourbe, Arlequin poli par l’amour, Le Préjugé vaincu, Le Dénouement imprévu, Le Triomphe de Plutus, La Réunion des amours, La Joie imprévue et La Femme fidèle ; dans la seconde, L’Île des esclaves, L’Héritier de village, La Colonie, L’École des mères, La Méprise, Le Legs, Les Sincères, L’Épreuve, La Dispute, Félicie, Les Acteurs de bonne foi, La Provinciale.

Notes
405.

Cf. Cailhava, (1786), ch. XXVI (Du choix du titre), p. 117-118 : “Titres qui annoncent en même temps l’intrigue et le dénouement. On ne peut pas dire que ces titres soient précisément mauvais, mais ils sont maladroits, et je vais le prouver par Le Mariage fait et rompu de Dufresny (…). Il est question de briser des nœuds mal assortis, pour en former de plus heureux Le spectateur désire de voir casser le fatal contrat ; mais il le désire faiblement, puisqu’il n’est point alarmé par l’incertitude du succès. Le double titre lui annonce que le mariage sera rompu. L’auteur a ôté par là tout l’intérêt de sa pièce et a privé le spectateur d’une agréable surprise”.

406.

Il faut dans le titre ni trop ni trop peu d’informations. Cf. Cailhava (1786) : à la fin du chapitre XXVI, l’auteur conclut ainsi : “Régle générale, les titres sont bons quand ils tiennent ce qu’ils promettent et qu’ils exposent aussi simplement, aussi clairement, aussi brièvement qu’il est possible, ce qu’on trouvera dans la pièce, sans cependant instruire trop bien le spectateur sur les incidents, sans lui enlever, par cette maladresse, le plaisir de la surprise et celui que procure un intérêt gradué” (p. 123).