b. titres opaques

Les autres titres n’ont pas de relation directe avec le dénouement. Quel lien, dans ce cas, entretiennent-ils avec la structure ?

Certains titres paraissent relever de la simple désignation. Ce sont, pour reprendre la sommaire typologie de Cailhava de l’Estandoux (1786), par exemple des “titres qui éta­blissent le lieu de la scène” (La Colonie, L’Île des esclaves), des “titres qui annoncent un personnage” (Félicie), des “titres qui annoncent la patrie du principal personnage” (La Provinciale), des “titres qui annoncent un caractère” (Les Sincères, sans doute aussi La Provinciale, titre mixte), des “titres qui annoncent une chose utile à l’action” (Le Legs), des titres inclassables selon le même Cailhava, qui n’offre aucune entrée possible dans la liste de catégories de titres qu’il propose au chapitre XXVI à une désignation telle que Les Acteurs de bonne foi, à moins qu’il ne faille le ranger parmi les “titres qui promettent des moralités”, parmi lesquels il range exclusivement quatre “École” : celle des maris, des amis, des mères, des cocus (p. 121)  417 . En tout cas, le titre focalise sur un lieu particulier ou une situation de personnage spécifique, soit psychologique, soit géographique, soit dramaturgique.

L’état, la situation ou le lieu décrit dans le titre servent d’arrière-plan à l’histoire racontée. Parfois, la situation théâtrale naît du choc entre plusieurs parties du titre, le déterminant et le déterminé entrant parfois en collision (Les Acteurs de bonne foi). En outre, on peut toujours, surtout chez Marivaux, se demander quel est le degré de vérité du titre : sont-ils (ou peut-être sont-elles) sincères ? Est-ce leur sincérité qui va leur nuire ? Est-ce une indication ironique ? Et L’Héritier de village ? La désignation porte à la fois sur un personnage et un lieu ; en même temps le rapprochement des deux termes crée un effet de surprise par une sorte d’incongruité fondamentale. En fait, il s’agit d’un élément déclencheur : le titre définit en l’occurrence les éléments constitutifs de l’exposition. Il en va de même avec Le Legs et L’École des mères  418 .

D’autres titres, enfin, décrivent le nouement de la pièce, c’est-à-dire ce qui va en représenter la structure centrale : il s’agit de La Méprise, L’Épreuve et La Dispute. Les trois titres ne se situent pas au même niveau, puisque l’épreuve et la dispute sont des éléments internes à l’action, assumés par des personnages, alors que la méprise s’impose au protagoniste de l’extérieur. Le dénouement résulte des trois structures que le titre laisse attendre. La méprise et l’épreuve sont découvertes à la fin de la pièce par ceux mêmes qui en étaient les victimes ; la dispute, quant à elle, constitue l’exposition et le dénouement encadrant la pièce enchâssée qui sert de nouement, avec une structure complète exposition-nouement-dénouement : la pièce enchâs­sée est, finalement, l’argumentation même de la dispute.

Notes
417.

On voit donc dans quelle catégorie il faut ranger L’École des mères selon Cailhava : c’est le seul titre marivaudien cité dans tout ce chapitre. Au demeurant, Marivaux n’est à peu près jamais mentionné pour illustrer les règles comiques dans le traité de Cailhava de l’Estandoux, au point qu’il y a lieu de croire que L’École des mères citée dans ce passage de Cailhava est en fait celle de Nivelle de La Chaussée (1744).

418.

Cf. M. Deguy (1986), p. 65, note 1.