CHAPITRE 2 : Structuration de l’intrigue
ou le triomphe de l’amour ?

Il est d’usage de considérer que le thème principal du théâtre marivaudien est l’amour  420 . Si l’on superpose à cette opinion les codes habituels de la comédie, on peut faire l’hypothèse que le thème amoureux construit dans le temps et dans l’espace une dynamique propre qui mène au mariage. Cette hypothèse est justifiée par l’expression machine matrimo­niale qu’utilise M. Deguy (1986) et qui contient l’idée d’un mouvement, d’une évolution : “Fonctionnement d’une machine, machinerie et machination, matrimoniale, donc, que nous pourrions appeler aussi machine paradisiaque, pour l’opposer cette fois à la machine infernale, en nous souvenant que c’est de se terminer en paradis plutôt qu’en enfer qui donne au poème de Dante son titre de Comédie” (p. 135).

Le thème amoureux serait alors créateur d’une intrigue qui s’enclencherait au début de la pièce pour trouver son aboutissement à la fin  421 .

Cependant, cette approche rend-elle compte de la spécificité de notre corpus ? Peut-on réellement affirmer que toutes les pièces en un acte développent la thématique amoureuse ?

Notes
420.

Ainsi P. Voltz (1964), p. 109, en précisant que c’est un “thème plus romanesque que théâtral”. C. Yetter-Vassot (1996 a) apporte à ce sujet une indispendable nuance : “Marivaux n’a pas pu cependant rester indifférent aux nouvelles façons de penser qui surgissaient à cette époque, comme nous le témoigne une dizaine de pièces (presqu’un [sic] tiers de l’œuvre théâtrale complète) dans lesquelles il n’est point question d’amour, mais plutôt du comportement des hommes et des femmes dans une société transformée peu à peu par l’influence croissante de la philosophie et de l’esprit des Lumières” (p. 55).

421.

Nous insistons sur cette notion de dynamique temporelle. E. Lintilhac (1909) propose une autre image spatiale du théâtre de Marivaux, celle de la carte du Tendre : “La carte du pays de Marivaux, c’est la carte du Tendre : on s’y embarque sur le fleuve d’Inclination au port de la Nouvelle amitié ; on y fait toutes les escales de Soumission, de Petit soin, de Sincérité (témoin, ci-après, Les Sincères), de Tendre sur Inclination surtout ; puis le fleuve ayant reçu les affluents de Reconnaissance par la gauche et d’Estime par la droite (témoin Le Prince travesti), après deux dernières escales à Tendre sur Reconnaissance et à Tendre sur estime (témoin encore Le Prince travesti), on arrive à la mer dangereuse que hérissent les écueils de la Terre inconnue. À la mer dangereuse cesse le voyage chez Marivaux. Les orages de la mer dangereuse, c’est la tragédie de Racine” (p. 305). Cette présentation semble plutôt donner une image d’ensemble de l’œuvre marivaudienne et non le parcours topographique de chaque pièce tel que nous le proposons ci-dessous.